Brevet des collèges : vive le collège inique pour tous !
"Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ! " Abraham Lincoln
Les 27 et 28 juin se déroulent les épreuves communes du Diplôme National du Brevet , Brevet des Collèges, (Mathématiques, Français et Histoire-géographie-Instruction Civique).
Le DNB, diplôme national, est-il garant de l'acquisition des savoir- faire et des connaissances fondamentales que tout citoyen serait en droit de maîtriser et de partager après six ans d'école élémentaire et quatre années de collège unique. Le collège n'est-il pas encore "le petit lycée" des années 50 ?
Le Haut Conseil de l'Education, dans le rapport 2010 sur le collège, ( 35 ans après la reforme HABY qui prévoyait déjà l’instauration d’un collège pour tous en continuité avec l’école élémentaire ). proclame la nécessaire fin du collège copié sur le lycée. Dans le prolongement de l’école élémentaire, le collège doit achever "l’acquisition par toute une classe d’âge des connaissances et des savoir-faire indispensables à la vie dans la cité aujourd’hui." Ces grands principes cachent une réalité bien différente.
DU SCHÉMA ACTANCIEL ET DE LA MAÎTRISE DE LA LANGUE
L'enseignement au collège consiste d'un coté à jeter en pâture à des élèves immatures de prétentieux concepts, et de l'autre à être d'une grande mansuétude sur les connaissances de base à acquérir comme la maîtrise de la langue. Pour illustrer le propos, voici un extrait du cahier d'un élève, en classe de 5 ème au collège, en cours de Français, en mars 2013, quelque part en France :
" Le schéma actanciel peut s'appliquer à tout récit et considérer les personnages comme des actants, c'est-à -dire uniquement selon leur rôle dans l'action. Suivent les définitions : sujet : celui qui agit - objet : ce que veut le sujet - destinataire : celui qui bénéficie de l'action du sujet - destinateur : ce qui pousse le sujet à agir - adjuvant : ce qui aide le sujet à agir - opposant : ce qui s'oppose à l'action du sujet " suit un exemple et puis c'est tout ; on passe à autre chose. Heureusement que tous les parents des collégiens de France sont linguistes ; ils pourront prolonger aisément l'acquisition de ces connaissances fondamentales.
Après la hauteur stratosphérique des concepts abordés en classe, vient le brevet des collèges, où on est censé vérifier les connaissances acquises. Alors les enseignants doivent affronter la dure réalité des copies et tenter de décoder le texte :
« Pour temps il avais un paire est une mer. Mais son pair ne pensé pas à lui et sa maire ne l'aimait poing.c'étaient un de ses enfants dinieux de pitié antre tous ki on perd et mêre ait qui sont orphelins. Ils n'avaie pas deux gîte, pas de pin, pas de feus, pas d'amoure ; mais ile était joiieu parce qu'il été libres. » (1)
Les Misérables ( les pauvres !)– Victor Hugo Le Monde 7/072000
A travers ces deux exemples opposés on note que ce" socle commun" des connaissances qui ne devrait pas être négociable et loin d'être acquis par tous et est à géométrie variable suivant les établissements. Le résultat est le suivant :
- Un collégien sur cinq quitte la 3ème avec de graves lacunes en français et en Mathématiques (rapport 2010 du Haut Conseil à l’Education).
-
Une enquête inédite révèle le faible niveau des élèves en histoire-géographie ( Le Monde du 26/06/2013 )
Les enseignants sont en permanence tiraillés entre les consignes pédagogiques alambiquées des inspecteurs généraux ( 2), véritables gardiens du temple, et la dure réalité du terrain, entre l'ambition démesurée des programmes et le constat des divers rapport commandés par les ministres ( 3).
Sournoisement le métier d'enseignant au collège est devenu très difficile à exercer, avec les attentes d' élèves impatients, qui ne conçoivent l’acquisition de connaissances que par l’excitation de l’expérience et du jeu, et des consignes énoncées dans un langage abscons "pédago-gisant" trés éloignées de la réalité de la classe.
LE COLLEGE UNIQUE POUR TOUS, LA RÉUSSITE POUR QUELQUES UNS
Telle semble être la devise de l'institution tant le collège est devenu une grande machine à trier le bon grain de l'ivraie. Le bon grain étant ceux qui poursuivront au lycée la préparation d'un baccalauréat des séries S, E, ou L pour ensuite s'attaquer aux concours des Grandes Ecoles ; l'ivraie étant tous les autres. Un exemple de ce renoncement à traiter et évaluer tous les élèves de la même façon est l'existence de 2 séries au DNB : une générale, l'autre professionnelle. (4). Trop souvent le collège, et l'orientation qui en découle, se réduit à n'être qu' une machine à exclure les plus récalcitrants à toute consigne, à stigmatiser l'échec au lieu de le traiter et à flatter la réussite individuelle.
Malgré les ambitions répétées des gouvernements, on a assisté depuis le milieu des années soixante, avec une série de réformes successives, à une lente mais inéluctable dégradation dans la transmission des savoirs et de leur évaluation. Alors que l’accueil de toute une classe d’âge au collège aurait dû se traduire par un renforcement de l’autorité et de la compétence de l’enseignant dans sa mission de transmission des connaissances et d'accompagnement des divers élèves, et par une multiplication et une diversification des dispositifs d'aide et de soutien, on a assisté au contraire à la métamorphose mal assumée mais bien réelle du maître en animateur d’expérience d’éveil où l’élève est censé trouver par lui-même le résultat et atteindre les objectifs. Au lieu de mettre en condition d’écoute les élèves, on a encouragé « l’agitation créatrice ».
En réalité l'institution scolaire, tout en s'en défendant, n’a fait que copier dans le jeu de séduction, cette autre faiseuse de cerveau qu’est l’industrie "culturelle" de la télévision. « Ce troisième parent » (5), cette faiseuse d’opinions « prêt-à-porter » qui affaibli chez l’individu toute velléité de réflexion et toute fonction critique.
Face à la difficulté d’enseigner dans une classe de plus de 30 élèves en déficit d’attention, de nouvelles pratiques pédagogiques ont tenté de « moderniser » l’enseignement, « de rendre l’élève acteur de sa formation ». « L’approche par les compétences » et « l’évaluation des compétences acquises », pratiques pertinentes en formation professionnelle où l’apprentissage « des gestes du métier », « du tour de main » est important, ont peu à peu transformé la pédagogie de l’ensemble des enseignements disciplinaires. Les connaissances, les textes des grands auteurs ne sont plus expliqués et appréhendés dans leur ensemble, ni dans leur contexte historique ; ce ne sont trop souvent qu’un matériau parmi d’autres pour amener à l’acquisition d’un savoir-faire. Les livres scolaires ne développent plus de contenus mais sont organisés en une série d’injonctions : « je me rappelle, j’utilise un vocabulaire précis, je cherche, j’apprends la leçon (moins d’une page) je participe en classe, je découvre les méthodes …."
Pour l'acquisition de ces "compétences" on triture, on démonte, les textes des auteurs classiques comme des cadavres que l'on dissèque. ( A lire la note A de Antonio Gramsci sur l'enseignement par compétences que l'on utilise à toutes les sauces.).
Alors tout devient procédure, la pensée est standardisée, formatée pour vivre dans une « société automatique » ( Bernard Stiegler ) et pour faire se "prolétariser " l’ensemble des éléments de la société . Penser par soi-même deviendrait inutile puisqu’il existerait toujours une « façon de faire » pour résoudre un problème.
Le collège devait être, comme le prévoyait la loi HABY, la clé de voûte de notre enseignement élémentaire ( 6 ). Mais depuis presque quatre décennies, les pratiques n’ont pas su ou non pas voulu tout mettre en oeuvre pour cette noble mission qui est de faire de tous les jeunes des citoyens égaux devant les savoirs et capable d'agir et de penser par eux-mêmes. En 2010, le H.C.E. le rappelle à des acteurs politiques qui semblent bien sourds à ces préoccupations. ( 7 ).
Mais dans ce domaine aussi la "double pensée" sévit : Aux discours institutionnels sur "le collège unique pour tous" s'opposent les objectifs cachés mais bien réels "d'un collège inique" qui au lieu d'élever , s'adapte au réalité du terrain et réduit ses ambitions pour le plus grand nombre :moins d’esprit critique, plus d’actions, plus de conditionnements, peu de cours et beaucoup d'exercices, pour formater les cerveaux à obéir à des séries de procédures, sans se préoccuper de vérifier si l'élève est capable de penser par lui-même. Et pendant que tous s’activent et s'agitent dans la classe, en dehors des murs de l’école publique, dans la sphère privée, la sélection se prépare et l’élite se reproduit avec force cours particuliers et activités culturelles.
_______________
(1) Exemple d’une dictée de juin 2000 au Brevet des Collège qui, en respectant les consignes données aux correcteurs, aurait pu être notée au-dessus de la moyenne ( pour l'esprit créatif du candidat ?)
(2) les Documents d’accompagnement du programme de Troisième, dans la partie « Outils linguistiques pour la lecture, l’écriture et la pratique de l’oral », sous partie « grammaire du discours, les actes de parole »
« L’étude des actes de parole est donc essentielle. Elle peut se décomposer en trois approches complémentaires :
- la dimension locutoire, c’est-à-dire le fait de produire des énoncés structurés, organisés et ayant un sens ;
- la dimension illocutoire, c’est-à-dire le fait de chercher à exercer une action sur autrui en lui parlant (l’interroger, lui donner un ordre, lui interdire de faire quelquechose, le convaincre ou le persuader…) ;
- la dimension perlocutoire, c’est-à-dire l’effet sur l’interlocuteur, qui répondra ou non à la question, qui exécutera ou non l’ordre…(…)
Il est très important d’amener l’élève à prendre conscience de cette triple dimension des actes de parole, en particulier dans une optique de formation du citoyen ». (Association des Professeurs de Lettres.)
(3 ) Au sujet de notre" schéma actanciel " : "la terminologie grammaticale doit permettre aux parents et aux grands-parents d’accompagner sans difficulté l’apprentissage de leurs enfants et leurs petits-enfants. Les termes désignant les classes et les fonctions grammaticales doivent être simples, transparents et rigoureux" recommandation N°8 Page 32 - Rapport de mission sur l'enseignement de la grammaire - Alain Bentolila, linguiste,Professeur des Universités, Paris - Sorbonne
(4) Voir tout ce qui concerne le DNB sur le site "education.gouv".
(5) D.R. Dufour « L’individu qui vient … après le libéralisme » Ed ; Denoël reconstruire l’école - page 312 et suivantes
(6) après la maitrise des savoir-faire élémentaires : s'exprimer correctement oralement et par écrit, et savoir utiliser les 4 opérations en arithmétique, acquise à 'école élémentaire, le collège devrait aussi être le lieu où l'on dispense les connaissances et les savoirs à maitriser et à partager dans les grandes disciplines littéraires scientifiques et techniques, et où l'on apprend les règles de vie à respecter dans tous les domaines de l'activité humaine, que ce soit dans la cité ou dans la sphère familiale.
(7 ) Que penser de JF Coppé qui a proposé l’instauration d’un concours d’entrée en 6 ème ? Pourquoi pas une sélection à la fin de la maternelle. C‘est reconnaitre qu‘il existerait en France des sous-citoyens qui n‘auraient pas droit à l‘acquisition de la totalité des connaissances que doit enseigner l‘école républicaine.
Note A
Antonio Gramsci et l’enseignement par compétences...
Dans ses « Ecrits de prison » de 1931, le dirigeant marxiste italien Antonio Gramsci, emprisonné par les fascistes, réagissait déjà avec force contre l’idée de confiner les enfants du peuple dans des savoirs plus « pratiques » que ceux des enfants de la bourgeoisie, des savoirs plus « instrumentaux », davantage orientés vers leur profession future.
« Dans l’école actuelle, la crise profonde de la tradition culturelle, de la conception de la vie et de l’homme entraîne un processus de dégénérescence progressive : les écoles de type professionnel, c’est-à-dire préoccupées de satisfaire des intérêts pratiques immédiats, prennent l’avantage sur l’école formatrice, immédiatement désintéressée. L’aspect le plus paradoxal, c’est que ce nouveau type d’école paraît démocratique et est prôné comme tel, alors qu’elle est au contraire destinée non seulement à perpétuer les différences sociales, mais à les cristalliser (...) L’école traditionnelle a été oligarchique parce que destinée à la nouvelle génération des groupes dirigeants, destinée à son tour à devenir dirigeante : mais elle n’était pas oligarchique par son mode d’enseignement. Ce n’est pas l’acquisition de capacités directives, ce n’est pas la tendance à former des hommes supérieurs qui donne son empreinte sociale à un type d’école. L’empreinte sociale est donnée par le fait que chaque groupe social a son propre type d’école, destiné à perpétuer dans ces couches une fonction traditionnelle déterminée, de direction ou d’exécution. Si l’on veut mettre en pièces cette trame, il convient donc ne de pas multiplier et graduer les types d’écoles professionnelles, mais de créer un type unique d’école préparatoire (élémentaire-moyenne) qui conduise le jeune homme jusqu’au seuil du choix professionnel, et le forme entre temps comme personne capable de penser, d’étudier, de diriger, ou de contrôler ceux qui dirigent ». [Gramsci dans le texte, tome II, p 148]
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