Cap au pire
A tous les niveaux, nous sommes à un tournant où le système ne sait plus jusqu'où nous enfoncer.
L'expression empruntée à Becket est je crois celle qui caractérise le plus notre situation actuelle. Et rien n'y semble remédier.
L'économie est sens dessus-dessous, la géopolitique est orientée irrémédiablement vers la guerre, l'espace social est un désastre, les entreprises des lieux où la contrainte est à son comble, l'environnement dévasté, les ressources énergétiques en voie d'épuisement, les conditions sanitaires en grave danger, et la corruption généralisée jusqu'aux sommets des États, les dettes de ceux-ci explosent littéralement.
La turbocrise, après son démarrage flamboyant de 2008, en est à une étape où les dérèglements de toute sorte s'agglomèrent, se complètent, s'entraînent les uns les autres dans une conflictualité généralisée à tous les étages.
Comme je l'ai déjà souvent souligné ici, le moteur fondamental de cette turbocrise, désormais en mode d'accélération catastrophique, se situe dans les années quatre-vingt, lorsque l'idéologie libérale, combinée au développement des High Tech, a fait passer le système du mode Fordo-keynésien au mode Gato-hayekien, ce dernier faisant référence à Bill Gates et Friedrich Hayek, entre autres ami de Thatcher et encenseur de Pinochet, dont Milton Friedman fut également un conseiller.
La production n'est plus l'essentiel pour créer du profit, la main d'oeuvre nécessaire n'est plus la masse, mais un néoprolétariat éduqué, et soumis, les taux de profits sont largement supérieurs à la période précédente, et la masse des superflus, au lieu d'être protégée, comme lorsqu'elle était réemployable à la fin des cycles de crise, n'a plus à l'être. La consommation repose également sur une population plus restreinte, et est aidée à la fois par le crédit et les aides pour ceux qui sont en marge du marché (les travailleurs pauvres et les chômeurs aidés).
Tous les services publics, ne s'adressant plus à l'ensemble de la population, mais aux employables et au "consommateurisables", sont à démanteler et privatiser.
Le but ultime de ces privatisations est la diminution de la part publique des impôts. Le reste étant une redistribution cachée des pauvres vers les riches, à l'inverse du modèle précédent. L'acceptation de ces politique réellement anti-sociales est dû à deux arguments chocs : la dette et la compétitivité.
Mais l'une comme l'autre sont justement dues à cette modification du modèle, puisque la part de richesse revenant aux créateurs de la valeur, les salariés, est en constante diminution, au profit de la croissance sans fin des dividendes.
La masse de la dette n'est pas due à la préservation du modèle social, mais au contraire, à la participation de l'Etat aux dividendes des entreprises. Par la baisse des impôts (l'Impôts sur les sociétés était du temps de De Gaule de 50 %), la possibilité pour les entreprises de frauder massivement, via des comptes off shore par exemple, ainsi que les derniers cadeaux (CICE) du gouvernement de la droite dure dirigé par ce couple diabolique valls-hollande au pouvoir, la dette est une ponction de la finance sur le futur de la nation.
Quant à la compétitivité, elle est le coeur du problème, le moteur qui nourrit jusqu'à rupture la turbo-crise, puisque c'est justement cette néo-compétitivité des entreprises de haute technologie, qui reproduit des produits de conception à haute valeur ajoutée de façon quasi-gratuite, et fait tendre toutes les autres vers une compétitivité que structurellement elles ne peuvent pas atteindre (pour fabriquer une table, il faut, pour chaque table, un temps de travail qui n'existe pas pour reproduire un logiciel), sauf à rendre la travail gratuit et faire retomber l'humanité en esclavage.
Les deux arguments fondamentaux pour justifier les mesures anti-sociales sont ceux à l'origine desquels la crise s'accentue chaque jour. Il n'y a donc pas de solution avec nos politiques actuels. Soit ils sont incompétents, soit ils sont malhonnêtes, soit les deux.
La fuite en avant qui en résulte pousse à tendre toujours davantage le climat social, là aussi, jusqu'à la rupture. Dans les entreprises, la conception de la compétitivité à tout prix rend les conditions de travail catastrophiques. Appel à la sous-traitance non contrôlée, augmentation de la pression, cadres vus comme roue de transmission, au mieux, ou utilisés comme néoprolétariat notamment dans les start up, non respect du droit du travail et demande permanente de son assouplissement jusqu'à sa disparition totale (retour au seigneur dans ses terres avec tous les droits afférents, mais high tech).
Les desideratas du MEDEF est de supprimer le SMIC, et de réduire drastiquement les congés, soi-disant pour créer de l'emploi. Cela aurait bien entendu l'effet inverse, la politique de l'offre étant une chimère lorsqu'on crée délibérément l'effondrement de la demande, toutes les entreprises et tous les États ayant la même politique !
Au niveau européen, chaque tour de vis crée une augmentation de l'endettement des États par la privatisation, l'amplification de la récession, la diminution des impôts des hautes fortunes, qui justifie un nouveau tour de vis.
La déstabilisation générale du monde occidental entraîne des politiques agressives pour garder la mains sur une population victime de ces agissements. Chaque Etat qui n'entre pas dans le moule de l'hyper-libéralisme gato-hayekien se retrouve mis en marge de la communauté internationale réduite au camp euro-étatsunien et leurs alliés. Les Mégasociétés sont celles qui imposent leurs vues, quoiqu'il advienne, comme Exxon, Monsanto, Microsoft, Google. Ils universalisent leur modèle afin de dominer la planète, dans le but ultime d'optimiser leurs dividendes.
Les banques sont une courroie à la fois de transmission et de création de valeur fictive, certes, mais qui repose sur le pillage systématique des États périphériques, qui les poussent à la ruine comme elles ont poussé à la ruine les acquéreurs étatsuniens de maisons dans les années avant 2008.
La conflictualité généralisée du turbolibéralisme s'étend désormais à tous les États, y compris en Europe, où d'une part les conflits régionaux sont poussés par une commission avide de pouvoir sans contre-partie, faisant régner le désordre pour mieux imposer son ordre. Quant aux USA, le facteur de désordre principal de la planète, il est également en mode turbo contre l'islamisme qu'il a lui-même instrumentalisé et la Russie, qu'il attaque de façon brutale et erratique, sans calculer les conséquences potentielles qui pourraient en résulter.
Cap au pire, dans le mesure où le totalitarisme en marche, dû à une hybris généralisée de l'oligarchie, crée en lui-même son propre abîme, car étant dans l'incapacité structurelle d'imposer un modèle qui par essence ne peut pas fonctionner. Alors en lieu et place du réel, se crée un mode quasi-virtuel offert par les politiques et les médias, nous faisant croire que la démocratie reste le fondement du modèle euro-étatsunien. Il n'en est rien, c'est un modèle de ploutocratie achevée, un totalitarisme discret et subtil, qui bloque toute transition vers un changement nécessaire du profit vers l'humain.
Il est probable que rien ne se fera avant que tout ne soit bloqué par l'incapacité productive du système arrivé à bout de souffle, et des populations lasses de leur esclavage progressif sans contrepartie, et par l'épuisement de toutes les ressources, tant humaines qu'énergétiques ou matérielles.
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