Cargo de nuit (vague 19) : la poudre noire du Monchegorsk et son feu d’artifice final

Etape 4 : le Monchegorsk, un brise glace méditerranéen (?) bourré de poudre d'obus :

L'un des meilleurs exemples de la duplicité à plusieurs niveaux à propos de cest trtafics est un bateau tout rouge, le Monchegorsk. Au départ, la gamme des Monchegorsk est assez particulière : ce sont des cargos à soute destinés à embarquer en priorité du minerai de nickel, étant commissionnés au départ par une société minière… russe, Norilsk Nickel, l'une des plus importantes au monde et une des plus riches (*), qui les a conçus selon ses propres directives : ce sont donc tous des... brise-glaces, munis d'une propulsion particulière en diesel électrique avec des bulbes orientables sur lesquels sont montés les hélices principales, appelés Azipod, qui leur permettent de briser ainsi jusqu' 1,50 m de glace (visible ici en foncttionnement, montrant comment il arrive à se sortir des glaces) en déplaçant le navire dans tous les sens, lorsque les glaces se font trop pressantes.  Le procédé s'avère pratique dans les ports également, ou pour les paquebots notamment, leurs manœuvres étant nettement facilitées avec cet équipement. Le Monchegorsk est le second lancé en 2008, précédé par le Norilsk Nickel et suivi par les Zapolyarny, Talnakh et Nadezhda. Des brise-glace que l'on retrouve en Méditerranée ou jusqu'en Guadeloupe ce n'est pas la moins des surprises dans ce dossier ! Ce navire a fait l'objet de la une des journaux, il y a deux ans déjà aujourd'hui, là où des israëliens étaient déjà apparus dans la rocambolesque aventure.

Car comme par hasard aussi, les israëliens connaissaient bien ce type de navire : le 29 janvier 2009, au large de Limassol, leurs services secrets avaient aidé la marine chypriote à faire mettre en drapeau l'hélice du Monchegorsk, arrivant à Chypre en provenance d'Egypte (en photo, le Monchegorsk mouillant au large de Limassol, muni de ses containers bleus remplis de poudre pour obus). Le bateau était alors soupçonné de transporter des armes iraniennes vers la Syrie, vers le port de Latakia. Il était parti en janvier de Bandar Abbas, en Iran, port stratégique iranien, le plus au sud du pays, près de la frontière du Pakistan, et donc aussi le moins bien surveillé. Disposant d'un aéroport à gros porteurs à une quarantaine de km seulement, de quoi effectuer les transferts via les gros Ill-76 du pouvoir iranien. C'est à dire qu'il aurait pu avoir le Hamas ou le Hezbollah comme commanditaires. Il avait en effet été affrété par l'Islamic Republic of Iran Shipping Lines (IRISL) à Bandar Abbas même. Selon la presse de l'époque, à savoir Le Monde, un bien étrange fait c'était déjà produit avec ce navire : quelques semaines auparavant, il aurait déjà été intercepté par la marine américaine de la Task Force 151, par l'USS San Antonio (enfin performant , et vu ici en train de remonter le Canal de Suez….)  qui avait constaté les armes à son bord, l'avait emmené en Egypte, à Port Saïd, pour le fouiller… et l'avait ensuite relâché "pour des raisons légales" précisait le quotidien. Ne contenant que de la poudre, qui échappe à la dénomination d'arme, pour des raisons qui échappent à tout le monde encore aujourd'hui, les containers ne pouvaient être retenus par les USA, dont la législation propre permet en effet la circulation de la poudre à canon.

Etrange comportement. Qu'avaient fait à bord les américains ? Mystère ! Avaient-ils prélevé quelques exemplaires des armes soupçonnées ou de la poudre emportée ? Ça on ne le sait pas non plus, mais si c'est le cas, on peut en imaginer l'usage, sur laquelle nous sommes déjà revenus également. Prélever des armes siglées iranien peut toujours servir en effet. L'Egypte, qui a offert aux américains des prisons déportées, a certainement fermé les yeux ce jour-là. "L'inspection" faite, les Etats-Unis avaient ensuite renvoie le navire, et prié le gouvernement chypriote de s'en occuper lui-même… selon le quotidien, l'affaire avait provoqué une gêne certaine : "Embarrassé, le président de la République chypriote Demetris Christofias a tout de même laissé entendre que la cargaison du Monchegorsk se trouvait "en infraction avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies". Notamment la résolution 1 747 du Conseil de sécurité qui interdit à l'Iran d'exporter des armes." Or, à ce moment là, la définition des "armes" soupçonnées d'étre à bord était semble-t-il bien floue :  "Il y a un problème à cause de l'origine de la cargaison et il faut décider si ce chargement spécial tombe sous le coup de l'interdiction. C'est ce que nous attendons comme aide des Nations-Unies" avait alors affirmé le président de la République Chypriote. 

Un commerce d'armes iraniennes par bateau, mais aussi sur terre. Au même moment, en effet, les avions de Tsahal avaient fait un raid éclair laissé inexpliqué au Soudan…. en plein attaque de Gaza, l'information avait été plutôt passée sous silence. Vingt trois véhicules soupçonnés de transporter des armes en provenance d'Iran auraient été bombardés par les F-16 et les F-15 . A 1400 Km des bases israéliennes, certains y avaient vu l'affirmation d'attaques possibles de l'Iran, directement si besoin était… les avions ayant dû ravitailler obligatoirementau dessus de la Mer Rouge. Le convoi venait de Port Soudan, et partait en direction de l'Egypte et du Sinaï. A ce jour, on ne sait pas s'il s'agissait bien d'un convoi d'armes, faute d'images le prouvant, mais à coup sûr on pouvait s'y attendre. Un trafic d'armes iraniennes supposé qui pouvait aussi prendre la direction de la Turquie se disait-il alors : en janvier dernier, les douanes turques arrêtaient en effet un cargo avec à bord 22 containers marqués "pièces de tracteur". Dedans, "des produits chimiques capables de devenir des explosifs", parait-il, selon israël encore une fois. Le cargo avait pour destination le Vénézuela . Personne n'avait réussi à démontrer alors qu'il s'agissait d'armes, même potentielles. La Turquie, le Soudan et … encore les côtes soudanaises. 

Le Monchegorsk aurait en fait été l'objet d'une surveillance par sous-marin ou de plusieurs et d'un sous-marin israélien, notamment. Selon certaines sources encore, la marine israëlienne, le 26 avril 2009, aurait même carrément coulé un navire iranien au large du Soudan. Pour certains, c'est à coup de torpilles que le cargo aurait été envoyé par le fond. Or les sous marins israéliens sont localisés à Haïfa et les vedettes Sa’ar 5 porteuses de torpilles également, ce qui signifierait que l'un des sous-marins aurait dû traverser le Canal de Suez en plongée, ce qui est fort improbable, ou avait été contraint à faire le grand tour de l'Afrique…où deux arrêts sont nécessaires, ce qui est ingérable. .…En fait arrivé à ce stade, cela devient difficile de vérifier les dires : pas de photos, aucune preuve tangible n'existe, on est dans le domaine de l'expectative. Le Monchegorsk, lui, étant bien réel avec une cargaison bien typée, en revanche. Pour ce qui est de Suez, ce n'est que le 3 juillet qu'on en a vu remonter ostensiblement le canal. Or, selon les autorités israéliennes, " le mois dernier, un sous-marin de la classe Dolphin a emprunté le canal pour passer de la Méditerranée en mer Rouge. Des responsables israéliens ont précisé qu’il avait effectué la traversé en surface et qu’il ne l’avait pas en secret". On est alors en juin. Le passage en avril devient possible . Cela fait longtemps qu'ils semblent évoluer en Mer Rouge en réalité : "avec ses 3 sous-marins Dolphin I (U-212), l’arme la plus coûteuse de son arsenal militaire, l’Etat juif peut ainsi patrouiller 24 heures sur 24 le long des côtes de la Mer rouge et de l’Egypte jusqu’à la Syrie . Mais selon l’hypothèse de travail qu’au-moins un submersible subit des travaux de réparation pendant que les autres sont opérationnels, Israël a voulu étoffer sa flotte". Israël attendait pour 2010 ses deux nouveaux Dolphins II allemands , le premier lui ayant été livré en 2010. En décembre, on en était à un accord pour un 6eme submersible de type Dolphin, toujours avec leur équipage de 35 hommes, dont la livraison était suspendue à l'arrêt de la colonisation, paraît-il, d'une valeur comprise entre 500 et 700 millions de dollars.

A l'époque, pour le Monchegorsk, la France et l'Angleterre avaient parlé de "grosse violation des résolutions existantes bannissant l'Iran de l'export d'armes en raison de son programme nucléaire controversé". Au final, affirmait au contraire l'Iran, le Monchegorsk "n'avait pas outrepassé les accords de vente traditionnellement admis"…. et qu'en conséquence sa saisie jugée illégale pouvait signifier aussi la demande en retour de compensations financières. Finalement, le bateau était déchargé dans une base navale chypriote en février, où étaient comptabilisés 98 containers dont une douzaine contenant "du matériel brut pouvant servir à la réalisation de munitions". Le reste contenant en fait... de la poudre à canon. Qu'était-ce à dire exactement ? Selon les américains, le bateau contenait effectivement des obus d'artillerie, affirmait le Jerusalem Post .  Selon d'autres indications, ces obus-roquettes autopropulsés étaient bien là et étaient capables d'avoir plus de portée (9 km) que les roquettes Kassam et étant sortis d'ateliers d'armement, étaient de bien meilleure qualité, plus précises et donc bien plus dangereuses. Indubitablement, on était dans le cas des fameux Hasseb de 107 mm iraniens, copies des S-63 chinois. Pourtant, officiellement, les containers du cargo ne contenait que de la poudre noire et des pièces de mortier. Et aucun obus de 107 mm. Ce qui avait surpris, c'était le nombre de containers : "un total de 98 conteneurs à bord du navire a été transporté par route par la marine à l'aide de 15 camions. Des convois de trois camions, escortés par deux voitures de patrouille de la police ont fait le chemin sur l'autoroute Limassol-Nicosie pour le transfert de la cargaison entière".

Le 26 février suivant, le président Shimon Peres, en visite à Chypre, venait féliciter Markos Kyprianon, le ministre des affaires étrangères, pour la saisie du navire. Juste après, le cargo était autorisé à repartir… vidé de sa centaine de containers délictueux. Le bateau appartenait à une firme russe, dont le siège était à Bazel…en Suisse, enregistrée sous drapeau chypriote.. NB Maritime Management, sur sa fiche, elle annonçait la couleur : "we provide professionnel russian crew or éther nationalities of your choice". La firme est bien russe, même si elle a été créée en Suède à Helsingborg,en 1995. Les russes employés sont ceux de Polar Crew, situé à Mourmansk et Arkhangelsk ; fief semble-t-il du recrutement de marins à casquettes doubles chez les russes : à savoir mi-marins, mi-espions. Le Monchegorsk est en effet capable de circuler parmi les icebergs grâce à son étrave particulière, on l'a vu. Selon certaines indications, le Monchegorsk a bien été "recruté" par l'état russe.. "Recruited by Russian Federation as Selected Ship" . En septembre 2008, il était au large de Las Palmas… au large du Sahara Occidental… qui semble être un lieu de rendez-vous important pour ces trafics illicites (le Thor Liberty en revenait), ou les "transvasements" discrets. Pour un brise-glaces, il effectue de drôles de trajets, ma foi... ce bateau rouge.

L'histoire du Monchegorksk n'est pas terminée pour autant. Comme je viens de le dire, les navire contenait un chargement de poudre noire destiné à remplir des obus, provenant très certainement du lot acheté en pleine guerre Iran-Irak à un consortium où les français étaient bien en vue et où le Luxembourg avait fait plaque tournante, comme le relate en détail l'indispensable livre de Walter de Bock et Jean-Charles Deniau, bible indispensable pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui encore dans le trafic d'armes en Méditerranée ou au Proche et Moyen-Orient .... Des stocks ahurissants de poudre avaient été stockés par l'Iran durant ce conflit, logique d'en voir répparaître une partie un jour où l'autre. Ces fûts de poudre avaient été dissimulés dans des containers de couleur bleue, qui avaient donc été déchargés à Chypre, sur un terrain militaire d'une des bases de l'île, celle de base navale Evangelos Florakis. Et ce, sans autre forme de sécurité : laissés à l'extérieur, en plein soleil, et ce qui devait arrivé arrive le 11 juillet dernier .... avec une explosion catastrophique  de l'ensemble, ravageant tout le secteur (filmée ici par un amateur, et ici encore par un second) et tuant 13 personnes, dans une déflagration digne de celle survenue en Croatie à Gerdec.  Les dégâts sont similaires, un laboratoire sismique grec ayant enregistré lui aussi les traces de l'explosion. La principale centrale électrique de l'île avait dû être stoppée, trois de ses quatre bâtiments principaux ayant été fortement endommagés, entraînant sur toute l'île des coupures de courant. Le paysage montré aux actualités de l'époque est quasi-lunaire, tout a été ravagé sur plusieurs kilomètres à la ronde. Aux actualités, on donne en explication un feu de broussailles comme origine de la catastrophe, explication en effet la plus plausible, tant la sécurité était défaillante sur ce stockage de produits explosifs. L'explosion provoquera 17 jours après la démission du gouvernement, rendu responsable de la catastrophe.

Une enquête diligentée rendue publique récemment (le 16 juillet dernier seulement) conduira à l'explication d'une inflammation accidentelle des containers, portant sur... 98 containers ayant contenu des matériaux explosifs, pour 2 millions de dollars de dégâts. Les huit villages alentour réclamant que plus une seule implantation industrielle n'ait lieu dans les années à venir à cet endroit, dévasté par la catastrophe. L'image d'un container fort abîmé illustrant l'article laissant songeur : très certainement un cliché pris avant l'explosion, montrant un stockage de container déjà fort abîmé.

Au sortir de l'affaire du Monchegorsk, on avait donc des russes, avec un bateau appartenant à une société très proche du pouvoir, contactés par l'Iran, pour transporter des armes sans doute destinés au Hezbollah ou au Hamas, et un navire ayant été intercepté par les USA et par Israël, via un port égyptien. Jolie affaire, donc, d'une intéressant complexité, portée devant l'ONU, qui n'avait pas su condamner ce transfert, faute de texte adéquat : en jouant sur le transport de poudre seulement d'un côté, voire des cylindres d'obus d'un autre, l'Iran avait réussi à déjouer les blocages habituels. On conçoit cependant à partir de là que tout mouvement de bateau d'origine russe, d'un type similaire, partant d'Iran ou de Russie, vers une destinée proche de milieux terroristes (ou vers l'Iran, via un pays intermédiaire) se verra étroitement surveillé par plusieurs services secrets…dont les israéliens. Ou surveillé étroitement par la marine russe...ou les USA bref, suivi par deux, voire trois sous-marins.

(*) "Norilsk Nickel (NN) est une société russe spécialisé dans l'exploitation et la transformation du nickel, du palladium (3/4 de la production mondiale)... dans la région de Norilsk, dans le Krai de Krasnoïarsk. Le siège central de l'entreprise Norilsk Nickel se situe à Moscou. Norilsk Nickel dans une moindre mesure exploite et transforme l'or, le platine, le cuivre et le cobalt. MMC Norilsk Nickel est de loin le premier producteur mondial du nickel et du palladium, et le principal producteur d'or de la Russie donc un des premier du monde. Il est classé parmi les quatre principaux producteurs mondiaux de platine. Norilsk Nickel est également parmi les dix premiers producteurs de cuivre au monde."

La saga complète du Monchegorsk est lisible ici :

http://lewis.armscontrolwonk.com/archive/4248/saga-of-the-monchegorsk