Chemin de fer Cameroun – Tchad : un tracé et des questions !
Si la perspective d’un chemin de fer entre le Cameroun et le Tchad est à saluer, elle soulève cependant des interrogations sur son coût et son tracé.
Maxwell N. Loalngar
Les travaux du chemin de fer entre le Cameroun et le Tchad seront bientôt lancés, rapporte la presse. Ce projet, qui remonte à l’ère Tombalbaye et a bercé l’imaginaire des générations de l’époque et d’après, prendrait alors forme. Un accord entre les deux pays devrait l’entériner au deuxième trimestre de l’année. Si des détails précis ne sont pas encore connus, des informations relayées par la presse renseignent cependant sur le futur tracé et le coût du chemin de fer. Il partira du terminal Camrail de N’Gaoundéré, la capitale de l’Adamaoua, à N’Djaména, la capitale du Tchad, sur un linéaire de 1400 km qui desservira certainement les localités nord camerounaises de Garoua, Maroua et la ville voisine de N’Djaména de l’autre côté du confluent des fleuves Chari et Logone, Kousseri. Son coût : 1400 milliards de francs CFA ! Ce tracé exclut ainsi l’option 2 prétendument priorisée par les autorités tchadiennes. Laquelle devait porter sur un linéaire de 400 km reliant N’Gaoundéré à Moundou, la capitale économique du Tchad, pour un coût de 1160 milliards de francs CFA ! Le gouvernement tchadien s’engageant à construire lui-même, ajoute-t-on, l’extension de ce chemin de fer entre N’Djaména et Moundou. Les travaux seront conduits par Cameroon railways (CAMRAIL), filiale du groupe Bolloré Africa Logistics et concessionnaire (BAL) du chemin de fer au Cameroun, souligne-t-on.
Les Tchadiens aimeraient sans doute beaucoup apprendre et mieux sur un projet dont les détails sont bien gardés. C’est bien de leur argent qu’il s’agit et non celui provenant des poches du très « sultanissime » Général « Don de Dieu pour le Tchad et l’Afrique », Idriss Déby Itno, comme le chanteraient bien les médias d’État tchadiens prompts à verser dans les louanges envers leurs autorités qu’à s’interroger sur leurs actes. Comme par exemple sur ce projet de chemin de fer qui ne soulève pas moins d’interrogations. A commencer par le coût des travaux à venir : 1400 milliards de francs CFA pour le linéaire de 1400 km reliant N’Gaoundéré à N’Djaména contre 1160 milliards de francs CFA pour le linéaire N’Gaoundéré-Moundou de 400 km, trois fois et demi moins distant que le premier (?) ! En plus qu’il semble exorbitant, peut-on nous dire la logique qui voudrait que pour une distance trois fois et demi moins (N’Gaoundéré-Moundou) l’écart de coût ne soit pas aussi grand avec celui de la distance trois fois et demi plus grande (N’Gaoundéré - N’Djaména) ? 240 milliards FCFA d’écart alors qu’une logique simple et profane voudrait que le coût du linéaire trois fois et demi moins (N’Gaoundéré-Moundou) soit de 400 milliards de francs CFA ! Il est certes évident que le relief des deux linéaires ne présente pas les mêmes difficultés d’ouvrage et que l’arithmétique profane n’est pas celle des finances et de l’économie, mais cela ne manque pas de points d’ombre qu’il faille éclaircir.
Par ailleurs, comparaison n’est pas raison, mais le coût des travaux du futur Niamey-Cotonou, lancés le 7 avril dernier par les présidents Mahamadou Issoufou et Yayi Boni à Niamey, est estimé à près de 700 milliards de francs CFA pour un linéaire total de 1050 km, selon le site Afrik.com. Soit un coût inférieur à celui du linéaire N’Gaoundéré – Moundou (400 km) presque trois fois moins long et pratiquement la moitié du coût du linéaire N’Gaoundéré – N’Djaména (1400 km) plus long que de 350 km.
Une fois la pilule des coûts avalée, il faudra s’intéresser à la configuration de l’ouvrage promis. Sera-t-il simplement le prolongement du transcamerounais tel que nous le connaissons ? Un train lent avec d’antiques wagons sur une seule ligne de rails qui arrivera 12 heures ou 24 heures plus tard à destination comme c’est déjà le cas depuis la nuit des temps sur le trajet N’Gaoundéré -Yaoundé et vice versa ? En 2014, peut-être 2016 ou 2017 d’ici la réalisation du chantier, à l’heure des marchandises vite livrées, des voyages vite effectués, des navettes journalières entre plusieurs villes et des moyens de transport confortables dotés des technologies pointues, une telle configuration n’est pas la bienvenue, disons-le clairement, n’est pas souhaitée ! Surtout pas à ce coût-là qui fera sûrement du bien dans d’autres domaines tels la santé, l’éducation, l’hydraulique, l’agro-pastoral, etc. ! Il est assurément vital pour le Tchad d’être désenclavé vers la côte atlantique par le rail mais une « tortue » ou un « caméléon de fer unijambiste » ne résoudra rien et ce n’est pas ce que les Tchadiens veulent.
Intéressons-nous maintenant au tracé du projet. Pour quelles raisons le gouvernement tchadien s’est-il finalement rangé sur la position du Cameroun d’un onéreux linéaire N’Gaoundéré – N’Djaména ? L’écart de 240 milliards FCFA n’est pas rien. Le Tchad est certes demandeur mais il n’est pas obligé d’accepter le tracé proposé par la partie camerounaise. Nos négociateurs ont-ils vraiment défendu, avec un brin de nationalisme raisonnable, l’option linéaire N’Gaoundéré – Moundou ? Il est permis d’en douter quand on sait la légèreté avec laquelle de pseudo-négociateurs défendent nos dossiers à l’extérieur et même sur notre propre sol avec des interlocuteurs étrangers. Le projet Doba-Kribi et tous les autres qui ont suivi dans son sillage sont là pour le prouver. Le Cameroun a beau jeu de vouloir le linéaire Ngaoundéré – N’Djaména qui désenclaverait du coup ses grandes localités, bourgs et villages du grand nord jusqu’à la pointe de Kousseri qui tire déjà beaucoup, économiquement, de sa proximité avec la capitale tchadienne.
Sur ce tracé, le Tchad, au finish, ne gagne rien, rien du tout ! Car il n’y aura que N’Djaména comme simple terminus pour la « tortue unijambiste de fer ». Il est pourtant aussi de bonne guerre pour le Tchad de se cramponner à son option initiale, de loin la meilleure pour les deux parties. Le linéaire N’Gaoundéré – Moundou désenclavera, en effet, les localités frontalières sur son tracé et pratiquement toutes les grandes localités, bourgs et villages qui longent sa remontée vers N’Djaména (Kélo, Bongor, Nguélendeng, La Loumia, Mandélia, Koundoul, pour ne citer que ceux-là). Économiquement, le Tchad y gagnera beaucoup : le principal produit d’exportation du pays par cette voie, le coton, part vers le port de Douala, des usines de la CotonTchad de Koumra, Kélo, Pala et Moundou ; la plupart des produits alimentaires locaux alimentant N’Djaména venant des régions sud du pays via Moundou, outre ceux descendant du lac Tchad. Les avantages qu’en tireront les gros comme petits producteurs de ces contrées et autres opérateurs économiques seront énormes. Sans compter que pour les voyageurs ordinaires cela diversifiera les moyens de transport, en fera baisser les frais en plus de contribuer à fluidifier le trafic, d’amener les transporteurs, pour être plus compétitifs, à moderniser leurs parcs automobiles, à cadencer leurs offres avec le gain de temps induit pour le client, etc. De quoi provoquer toute une révolution dans le secteur des transports qui n’ira pas sans un gain écologique pour l’environnement local. Le volume des transactions et des affaires internes, en dehors de l’import/export, gonflera sans doute dans les deux sens, du sud vers le nord et du nord vers le sud. Le Cameroun pour sa part verra ce linéaire désenclaver quand même les localités de l’Adamaoua et de l’est longeant le tracé. A contrario, il sera le seul grand gagnant avec le tracé N’Gaoundéré – N’Djaména. Le Tchad n’y gagnant juste en ce sens que les marchandises en provenance de Douala quitteront le moyen routier classique, le camion, pour le rail. Jusque dans les menus fretins, c’est le Cameroun qui gagnera avec ce linéaire. Même les vulgaires bandits et pickpockets, qui sévissent en grand nombre déjà sur le tronçon Yaoundé – N’Gaoundéré, auront le loisir, avec la couverture des véreux agents de sécurité sur la ligne, de dépouiller les commerçants et autres voyageurs tchadiens jusqu’à Kousseri. Sur l’autre linéaire, le parcours en territoire camerounais étant raccourci, la crainte d’être livrés à la « barbarie » du « guerrier » tchadien dont ils ont une peur bleue les en dissuadera.
Même si le montage financier du projet reste un secret bien gardé pour l’heure, il est loisible de penser que le Tchad assurera en partie le coût de la ligne dont presque la totalité sera en territoire camerounais(?) ! N’Djaména n’étant qu’une gare terminus au bout peut-être d’à peine 15 km de rail si d’aventure celle-ci est prévue dans la partie sud de la ville, c’est-à-dire non loin du passage frontalier entre Kousseri et N’guéli. Ce qui l’éloigne, du coup,# du centre névralgique des activités et aussi des périphéries nord, ouest et est de la ville, et des bourgs à la sortie nord vers Djermaya, Massaguet, etc. Le compte devrait être salé pour le Tchad qui devra ensuite dégager un autre financement presque identique voire supérieur pour la connexion N’Djaména – Moundou qu’il promet réaliser lui-même. La distance entre N’Djaména et Moundou (409, 48 km) légèrement supérieure au linéaire N’Gaoundéré – Moundou (400 km) supposerait, en effet, un peu plus du double du coût pour si peu ! On n’évoque même plus, une fois l’ensemble des deux volets du chemin de fer réalisé, le coût que les producteurs dont la CotonTchad devront consentir pour faire remonter leurs produits vers N’Djaména puis le nord Cameroun pour les faire redescendre vers le port de Douala ! Le linéaire N’Gaoundéré – N’Djaména s’apparente ainsi à une grosse pilule en travers de la gorge.
Avec le pipe-line pétrolier Doba – Kribi, lequel a fait l’objet d’une révision en hausse récemment des frais de transit, le Cameroun a gagné et gagne déjà gros de la coopération économique avec le Tchad et devrait être raisonnable pour accepter le linéaire initial proposé par le gouvernement tchadien. Si les Camerounais, avec ce pipe, se réjouissent depuis 11 ans bientôt que l’ « éléphant blessé au Tchad » soit allé mourir chez eux », il est hors de question qu’un deuxième « éléphant » tchadien blessé aille rendre encore l’âme sur le territoire de Paul Biya, leur livrant toute la chair, l’os, la peau et l’ivoire ! Le Cameroun ne doit pas ruser avec la situation d’enclavement du Tchad pour désenclaver et développer exclusivement son grand nord au détriment du Tchad et des Tchadiens. Et de surcroît avec, en partie, l’argent du contribuable tchadien ! Ce fut déjà le cas quand il s’est agi du projet d’interconnexion électrique à venir entre les deux pays. Le Cameroun exigea et obtint que la future interconnexion se fasse par son grand nord pour que les localités de cette partie en bénéficient. Au détriment des régions sud-ouest du Tchad (Mayo-Kebi, les deux Logone, la Tandjilé) et celles tout le long du tracé jusqu’à N’Djaména. Le voilà qui remet le couvert cette fois-ci encore pour le rail.
Last but not least, quelle garantie de fiabilité des travaux offre Camrail pour ravir le marché ? L’a-t-elle gagné au terme d’un appel d’offres international ? Juste le label Bolloré, dont elle est filiale, suffit-il pour garantir la livraison d’ici deux ou trois ans d’un ouvrage solide et performant ? En dehors de l’antique ligne de chemin de fer reliant la capitale de l’Adamaoua à celle du Littoral qu’elle gère et dont elle ne fait qu’assurer l’entretien depuis des lustres – laquelle connaît d’ailleurs de fréquents déraillements de train, la Camrail n’a pratiquement pas construit de nouvelles lignes ferroviaires au Cameroun. Ce qui suscite l’interrogation sur son expertise de constructeur du rail. Aussi, pour faire un peu juste dans le partage, quelle part de sous-traitance, ne serait-ce que pour des fournitures, la logistique et de menus services, revient-elle aux opérateurs tchadiens, étant entendu que le Tchad ne dispose pas d’expertise dans le domaine des rails ? Autant de questions qui, sans réponses précises et claires, feront croire que l’ « éléphant blessé » devra une fois de plus aller mourir au Cameroun.
Le gouvernement tchadien devra se faire plus persuasif auprès du Cameroun et obtenir une révision des termes annoncés de ce projet. Il a, au vu des éléments évoqués, plus de raisons de faire changer à Yaoundé sa position. Ceci, en plus d’avoir d’ultimes autres arguments dissuasifs, en cas d’inflexibilité du pays de « Popaul ». Il n’est pas besoin de rappeler au ministre tchadien des Affaires étrangères, Moussa Mahamat Faki, et ses stratèges du palais de Gardolé que le statut d’acteur géostratégique actuel de leur pays dans la Cémac et au Sahel sert aussi à dissuader et à mieux défendre les intérêts du Tchad. Si tant est que les États n’ont que des intérêts et le Tchad donc, les siens à faire valoir, fussent-ils face à un pays ami de la même région et de même communauté d’intérêts. Mais qui, en l’espèce, semble plus égoïste qu’il ne le faut ! Le Cameroun ruse à fond avec sa position de privilégié et l’enclavement de son voisin ! Au Tchad de ruser aussi avec son nouvel statut d’acteur régional de premier ordre. Plus qu’en RCA, les réalités sociologiques de la région lui donnent des arguments d’une « guerre froide » avec son voisin outre-Logone qui en a d’ailleurs, sans l’avouer, une craintive appréhension.
Pour un projet de cette facture, qui engage les ressources du pays sur plusieurs générations, l’amateurisme n’est pas permis. Aussi les autorités doivent faire preuve de transparence totale et de minutie dans la défense de l’intérêt national. Les élus du peuple, notamment ceux majoritaires du parti au pouvoir, sans esprit partisan et de propagande, doivent se saisir du sujet et demander des éclaircissements, au besoin, opposer un veto à l’option retenue. Le Tchad n’a pas à tout accorder au Cameroun, ni demain au Soudan, au Nigeria ou à la Lybie, pour la simple raison qu’il est enclavé.
Il importe que le dossier soit repris, que tout soit remis à plat et que le linéaire N’Gaoundéré – Moundou qui semble le plus juste soit remis sur les rails. Car celui aujourd’hui dans les cordes des deux gouvernements, dans l’intérêt compris des peuples camerounais et tchadiens, dans un partenariat sous-régional gagnant-gagnant, semble dérailler. Vers l’inégalité que les projets fédérateurs et réducteurs de pauvreté, sont censés pourtant combattre !
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