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Accueil du site > Tribune Libre > Comment être Grec en Turquie ?

Comment être Grec en Turquie ?

 Vahan Isaoglu, citoyen arménien de Turquie, avait, peu après l’assassinat de Hrant Dink, journaliste arménien de Turquie abattu à Istanbul le 19 janvier 2007, signé un article intitulé « Etre Arménien en Turquie ». Cet article dévoilait sans faux-semblants, le quotidien édifiant d’un Arménien de Turquie. Aujourd’hui, c’est Herkül Millas, politologue et Rum de Turquie (les Grecs de Turquie sont désignés sous le terme de ‘Rum’) qui signe dans le journal turc Today’s Zaman, un article ironique sur la situation préoccupante des membres de sa communauté. Et comme on le constatera, la situation des Rums, décrite avec cet humour dont on dit qu’il est la politesse du désespoir, n’est pas sans rappeler celle des minorités juive et arménienne de Turquie… Le Collectif VAN vous soumet la traduction de l’article en anglais de Herkül Millas, paru le vendredi 8 janvier 2010 dans le journal turc Today’s Zaman.


Légende photo : Patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier

Today’s Zaman
Vendredi 08 Janvier 2010


Comment être un Rum bien sage* de HERKÜL MİLLAS*

*Attention ! Cet article se veut ironique. Ceci peut être mal interprété par ceux qui ne sont pas habitués à l’ironie. (HM)

Lorsque le Patriarche Orthodoxe grec, Bartholomée, a récemment parlé, lors d’une visite à l’étranger, de certaines de ses plaintes concernant la vie en Turquie, nombreux sont ceux - des dignitaires de l’État aux types patriotiques civils – qui ont montré des réactions allant de : « Les Turcs ne peuvent pas être ainsi crucifiés » à « Quoi que tu veuilles dire, ne le dis pas à l’étranger – mais dis-le ici. »

Et quand je me suis rappelé que ma grand-mère, qui adorait les chats, avait l’habitude de nous dire quand nous étions vilains et que nous tirions la queue des chats : « Min ta stavronete ta gatia » ou « Ne crucifiez pas ces chats ! », je me suis dit en moi-même : « Eh bien, je suppose que nous sommes des Rums et nous avons commencé avec cette histoire de crucifixion assez tôt dans la vie ! » En tout cas, le point véritable de cet article est tout à fait différent.

J’ai été capable de tirer une leçon de cet incident et maintenant je voudrais donner aux lecteurs – ainsi qu’aux rares véritables spécimens Rum (« Rum » est un terme utilisé pour qualifier les citoyens turcs d’origine grecque) qui liront peut-être ces lignes, quelques idées pour être un bon Rum. Voici ma liste :
Un Rum sage ne parle jamais de la Turquie lorsqu’il est à l’étranger. Et bien sûr, la position la plus sage de toute est de tout simplement ne jamais mentionner quoi que ce soit qui pourrait sembler être une plainte pour quiconque. De fait, moins vous parlez, plus cela vous sera bénéfique !

L’idéal ici est le silence total. Encore moins que le silence. On se réfère parfois à ceci dans les termes « savoir où est sa place. »
Si un Rum sent qu’il ou elle doit absolument parler d’un sujet, alors l’un des sujets à aborder serait l’injustice des politiques appliquées par la Grèce aux minorités de Thrace occidentale. Les plaintes concernant la vie des minorités en Thrace peuvent être mentionnées.

Le fait qu’il existe une minorité TURQUE vivant en Thrace occidentale doit être soulignée dans ces remarques en particulier. Il y a un certain avantage à répéter encore et encore comment l’État grec ignore l’identité nationale de cette minorité de Thrace occidentale et qu’au lieu de se référer à elle en disant Turcs, il les qualifie de « musulmans. »

Bien sûr, en mentionnant tout cela, il est important d’éviter de mentionner le fait que les Rums d’Istanbul ne peuvent eux-mêmes pas se qualifier de « Grecs » et qu’il n’est même pas question qu’ils aient le droit d’avoir des fondations ou des associations qui auraient le mot « Grec » dans leur titres.
Le double standard doit être utilisé d’une manière créative et bénéfique (pour nous) : il faut demander à l’autre partie de se tenir à ses principes, mais également lui demander de faire preuve de compréhension quand à nos « actions ».

Un autre domaine dans lequel ce conseil « Sois sage ! » s’applique est l’arène de l’histoire. Nos paroles doivent toujours souligner le fait que depuis que les Turcs sont arrivés dans ces régions, ils nous ont toujours bien traités, ils n’ont pas essayé de tous nous assimiler, nous ont permis de vivre nos vies et généralement nous ont montré une grande tolérance. Et il y a bien sûr toujours un bénéfice à en retirer, lorsque l’on mentionne que le contraire est vrai, aussi, comment nous, nous sommes les « Rums ingrats » et comment nous avons un jour trahi les Turcs.

Des opinions similaires et l’harmonie entre Rums et Turcs peuvent survenir dans la mesure où les Rums et les Grecs sont méprisés, car mauvais, et les Turcs loués. Par exemple, l’insistance avec laquelle on déclare que : “Sans les Turcs, il ne resterait pas un Rum en Occident” est assez satisfaisant, bénéfique, apaisant, et bien sûr, constructif à entendre pour certains. Le vrai secret de la sérénité réside dans ce genre de déclarations plaisantes.

Les Rums ne devraient pas aborder leur propre histoire d’un point de vue partisan et égocentrique ou ethnocentrique. Et puisque le rappel de certains événements particuliers, tels que les migrations forcées, les échanges forcés de populations, l’impôt sur la richesse, les événements des 6-7 septembre 1955 , les campagnes « Citoyens, parlez turc ! » et le pillage de diverses fondations, peut créer un certain désagrément, on ne devrait pas parler de ces choses – ni même y faire référence — en public.

Comme nous en avons tous été témoins, il y a eu quelques intellectuels turcs qui ont, ces dernières années, soulevé le sujet de ces souvenirs déplaisants du passé. Par conséquent, il est bénéfique pour tous les Rums sages de rester éloignés de ces « prétendus Turcs » qui sont soupçonnés de toute façon de collusion avec certaines puissances étrangères (comme l’Union européenne ou George Soros).

Les Rums devraient saisir toutes les opportunités qu’ils ont pour parler de la profonde gratitude qu’ils ressentent envers l’État turc. Et bien sûr, ceci devrait s’accompagner d’une répétition continuelle sur ô combien la société grecque est vraiment mauvaise et comme elle a mal jugé et mal traité les Rums qui sont arrivés de Turquie. Il faut répéter encore et toujours les histoires regrettables de ces Rums partis précipitamment de Turquie pour Athènes et tout ce qu’ils veulent à présent, c’est revenir en Turquie pour recommencer leur vie ici.

Les Rums devraient aussi abandonner leur position de déni et admettre tout simplement que leur objectif réel a toujours été de reformer l’Empire Byzantin à İstanbul, selon la Grande Idée**. Et une fois qu’ils auront montré leur regret sincère, ils devront demander une amnistie quant à ces pensées qu’ils mûrissaient.

Car, tant que les Rums, qui sont bien sûr responsables de toute décision prise par la Grèce, refusent de le faire, pas un d’entre eux ne sera vraiment à l’aise ici.
Les Rums ne tireront aucun bénéfice à répéter inlassablement qu’ils ont vécu à İstanbul depuis des centaines d’années. Les temps ont changé, et chacun doit rentrer chez lui à présent. Et pour les invités, ils doivent être satisfaits de ce qu’ils ont trouvé et non de ce qu’ils espéraient trouver.

Selon ces lignes de vérités, les Rums doivent commencer à être un peu plus modestes, pas si belliqueux, cesser d’avoir des exigences déraisonnables – qui vont de parler des droits de l’homme à répéter les arguments démagogiques de L’UE sur la multiculture – arrêter de rêver la tête dans les étoiles au lieu de commencer à être réalistes.

Et bien sûr, les Rums ne doivent pas provoquer la société turque en s’appuyant sur les puissances étrangères telles que la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Les Rums doivent également comprendre combien il est insensé pour eux de se plaindre de leur vie en Turquie aujourd’hui. Avant toute chose, chaque problème sera éventuellement résolu. Une quantité infinie de temps s’étend devant nous. La patience est la clé de tout problème. Rien ne peut causer autant de désagrément qu’une minorité se plaignant constamment.

Il existe des lois, une Constitution, une Cour Constitutionnelle dans ce pays, il n’y a pas d’obstacles. La patience montrée envers un groupe de Rums mécontents testera la limite de la tolérance historique envers eux. En l’état, l’histoire pratique nous a déjà enseigné que les Rums n’ont jamais abouti à quelque chose en se plaignant.

Ce que les Rums ont vraiment besoin de comprendre à présent, c’est que plus ils se plaignent de leur statut en Turquie, plus l’estime de la nation à l’étranger et l’image que les citoyens ont d’eux-mêmes est endommagée. La majorité veut un genre de minorité différente aujourd’hui : une minorité qui est douce, heureuse et enjouée, – ou du moins qui prétend être heureuse.

Oui, la majorité turque veut une minorité dont les enfants gagnent tous les concours nationaux de poésie, qui a comme langue maternelle le turc, qui mentionne constamment ô combien « elle est reconnaissante à la nation », qui dresse deux tables de rakı par jour, qui joue de la musique « rebetiko » toute la journée pour ceux qui l’entourent et qui travaille pour donner à Beyoğlu cette atmosphère cosmopolite et festive que tout le monde désire.

Les Rums qui, prenant à cœur les émotions de certains de nos citoyens les plus racistes, ne cessent de répéter des choses telles que : « Nous sommes aussi des citoyens de la République turque ! » doivent cesser de le faire. Même s’ils le sont, ils n’ont pas besoin de le clamer ! Ces serments affirmant : « Je suis Turc, j’ai le droit... », n’étaient que des formalités.

Les Rums doivent aussi se souvenir de ne gagner qu’une quantité limitée d’argent en Turquie. Un membre riche de cette minorité ethnique ne fait rien d’autre sinon confirmer l’idée que tous les Rums sont en train d’essayer d’exploiter la Turquie. Les Rums doivent garder à l’esprit la tradition « gauchiste » de longue date en Turquie, qui soutient la saisie des richesses « étrangères », tout en pensant que ce n’est pas être raciste.


- Les Rums devraient ressentir un amour absolu envers la majorité, qui leur dit : « Nous vous aimons. » Sinon ils méritent ce que le sort leur réserve.

- Les mots les plus émouvants et sensibles sur ce sujet ont été prononcés par un homme politique qui est aussi un diplomate à la retraite (Je ne donnerai pas son nom car les Rums devraient essayer de rester à l’écart des conflits personnels !).

C’est lors d’une émission télévisée que le politicien ci-dessus évoqué a donné un coup de couteau émouvant sur ce sujet, en disant « Les Rums sont nos citoyens ; leurs problèmes sont nos problèmes, et s’ils ont un conflit, cela me fait mal. » Plus tard cependant, ce même homme politique a ajouté un « mais » à ces paroles, et à la lumière du « principe de réciprocité », il a commencé à lister une par une les plaintes émises par les Turcs vivant en Thrace.

Et donc, à la fin, si les Rums pouvaient seulement comprendre la raison guidant cette sorte de mentalité, si seulement ils voulaient bien abandonner leurs exigences irréalistes et réussir à mieux percevoir leur statut réel d’otages dont la présence en Turquie assure l’équilibre, eux aussi alors vivraient mieux. Et c’est cela, en bref, qui fait un bon Rum.

*Herkül Millas est politologue.

**Nota CVAN  : La Grande Idée (en grec moderne : Μεγάλη Ιδέα / Megáli Idéa) était l’expression du sentiment national grec aux XIXème et XXème siècles. Elle visait à unir tous les Grecs dans un seul État-nation avec pour capitale Constantinople (l’actuelle Istanbul).


©Traduction de l’anglais : C.Gardon pour le Collectif VAN 
Article en ligne sur le site du Collectif VAN [Vigilance Arménienne contre le Négationnisme]
 

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3 réactions à cet article    


  • L'enfoiré L’enfoiré 23 janvier 2010 15:28

    Extrait de ce que j’ai résumé ici :

    "La galaxie grecque encadrée par l’église orthodoxe vers les États-Unis et l’Australie et des Turcs, très européens qui s’organisent dans leur pays d’accueil de manière plus souple.
    Au départ de la Bohème, les Roms, parents pauvres de l’Union, gens du voyage en marge des sociétés, opportunistes, ils traversent en empruntant les cultures des visités.

    Pour y avoir été dans les deux pays, il y a des similitudes mais beaucoup de différences.
    Chypre est le point de contact et de friction.


    • CVAN CVAN 23 janvier 2010 21:06

      Il semble que vous confondiez les Roms et les Rums. L’article, que nous avons traduit, traite des Rums (Grecs de Turquie) qui n’ont rien à voir avec les Roms.


      • L'enfoiré L’enfoiré 24 janvier 2010 16:15

        CVAN,
         Vous avez raison. J’ai confondu.
         Toutes mes excuses.
         

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