De la manipulation des masses
Cela fait maintenant quelques mois que j’observe la pièce de boulevard jouée par nos gouvernants, l’opposition et les syndicats sur la question des retraites. J’en retire un désagréable gout d’amertume et une sorte de malaise, puisque j’ai le sentiment qu’au fond, comme au théâtre, tout est joué d’avance.
Ha, quelle belle mise en scène ! Des acteurs convaincants (ou presque), des millions de figurants (pour les scènes de manifestations), un scénario bien ficelé malgré un décor un peu convenu.
Pour le contexte, on a choisi aussi quelque chose de classique, puisqu’il faut avouer que la crise est à notre paysage économique ce que l’église est à nos villages. Elle est toujours là, même si on y fait parfois plus vraiment attention, jusqu’à ce qu’il soit nécessaire de nous faire avaler une nouvelle perte dans nos acquis sociaux. C’est donc là-dessus que commence le jeu sur les retraites, que le roi avait promis de ne pas toucher pendant son mandat. Encore des paroles en l’air, mais ce n’est ni le premier, ni le dernier à faire le contraire ce qu’il aura annoncé.
Bref, le pavé est lancé, et le ballet tant répété commence à dérouler ses chorégraphies. Indignation de l’opposition, appel à la manifestation des syndicats. AUCUN débat populaire, aucun débat télévisé digne de ce nom (jusqu’à la farce de jeudi dernier dans l’émission A vous de Juger d’Arlette Chabot, où se sont succédés sans se rencontrer les différents acteurs). Une orgie de chiffres, à coups de milliards, de % de PIB, de projections alarmistes en 2020 ou en 2050. Le matraquage est massif, pas un jour sans qu’on nous explique que la France a trop dépensé, que nous vivons au-dessus de nos moyens, que les autre pays européens, EUX, travaillent déjà jusque 65, voire 67 ans !
Que sommes-nous, à part de gros fainéants pas fichus d’accepter 2 petites années de travail supplémentaire pour assurer à nos enfants les retraites qu’ils méritent au même titre que leurs parents ?
Les médias ont bien fait leur boulot, puisque le fatalisme s’installe, et malgré l’injustice criante d’une réforme bâclée, surtout pour les femmes et les poly-pensionnés (ceux qui ont côtisé à plusieurs régimes de retraites), les Français acceptent peu ou prou l’idée qu’il faudra bien accepter la chose. Bien sûr, on entendra peu ou pas du tout parler de solutions alternatives, on ne parlera pas de la confiscation progressive des richesses par le capital au détriment des travailleurs ; 10 % ont été grignoté ainsi depuis 10 ans passant d’une répartition travail/capital de 70/30 à 60/40. Pour les plus concrets, cela représente à peu près 200 milliards d’euros, avec lesquels on aurait pu évidemment boucher pas mal de trous (Sécu, Assurance Maladie, et pourquoi pas la caisse des retraites !). Passons...
Comme toute bonne pièce, on voit la qualité du scénario à la fin ; c’est ainsi qu’après les manifestations massives du 8 septembre, le gouvernement nous pond des amendements sur la pénibilité, évidemment déjà dans les tiroirs depuis longtemps, que les médias vont nous servir comme un "recul" du président de la République. Ouf ! L’honneur est sauf pour les syndicats, et le gouvernement arrive là à ne pas égratigner son image de "réformateur ne cédant pas à la rue" tout en feignant une ouverture au dialogue, censée garantir la démocratie.
Je fais un aparté sur ces amendements sur la pénibilité : le gouvernement, magnanime, recule donc le taux d’invalidité de 20 à 10% pour pouvoir quand même partir à taux plein à 60 ans. C’est ce qui est mis en avant par les médias et la majorité. Dans le même temps, un autre amendement remanie la médecine du travail ; en effet, ce ne sera plus le médecin du travail qui jugera si le salarié peut ou non partir à 60 ans, mais une commission regroupant le médecin, des employés de l’entreprise et des représentants de l’employeur. Je vous laisse juger de l’indépendance de ces derniers et donc de la relative concession du gouvernement.
Ceci étant dit, voilà une réforme qui va passer sans trop de dégâts, en tout cas du point de vue du gouvernement et du MEDEF. On en profitera aussi pour apprécier le vote du pack législatif sécuritaire LOPPSI 2, qui marque un nouveau recul de nos libertés, totalement indolore dans une actualité saturée par la pièce sociale ou l’affaire Woerth-Bettencourt.
Difficile d’être optimiste dans ces conditions, avec un PS totalement inefficace, plus occupé à feindre l’unité en vue de la prochaine présidentielle qu’à assurer son rôle de contre-pouvoir (si contre-pouvoir il a été un jour). Au fond, cela témoigne également de la proximité idéologique des 2 grands partis de pouvoir que sont le PS et l’UMP, chacun jouant son rôle dans cette farce démocratique que constitue l’alternance. Le dernier exemple en date est cet accord entre ces 2 frères ennemis pour le règlement de l’affaire des emplois fictifs à la mairie de Paris. On voit bien ici que le jeu majorité/opposition n’est qu’affaire de postures, chacun protégeant finalement ses intérêts propres, sans se soucier de l’intérêt général.
Peut-être qu’un jour les vaches à lait que nous sommes se réveilleront et feront réellement entendre leur voix. Mais l’évolution de la société, prônant l’individualisme, a miné la solidarité propre aux peuples. Aujourd’hui, la société civile n’est qu’un conglomérat d’intérêts individuels, de corporatismes défendant leurs propres privilèges, et la pression faite sur l’emploi provoque l’anesthésie des revendications de la jeunesse. En témoigne la faible présence des jeunes dans les manifestations. Pourtant c’est cette jeunesse qui détient la clé de l’évolution démocratique de ce pays. J’espère seulement qu’elle retrouvera une conscience politique, à l’heure où la globalisation intellectuelle dilue souvent les aspirations universelles dans les paradis artificiels de la consommation personnelle.
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