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Dépasser le manichéisme, fonder la paix

Le numéro de Libération de lundi 18 juillet 2005 l’affichait par le titre « Irak, guerre aux civils ». Le fait devient un énoncé, et il résonne normalement, étrangement, pour qui raisonne encore... Car pourquoi des combattants mèneraient-ils une « guerre aux civils » ? Serait-ce une erreur, de perspective, de lecture, ou pire un mensonge ? Quelques milliers de morts après les débuts de « l’insurrection » irakienne, il n’y a pas de doute possible : les djihadistes étrangers et les anciens baassistes tuent, et tuent principalement des Irakiens, des hommes, mais aussi des femmes, des enfants, des musulmans, et notamment des chiites. La fraternité de « la » communauté supposée soudée par la foi est mise à mal à chaque mort de plus. Les sunnites expriment ouvertement leur mépris et leur racisme à l’égard de leurs frères en Islam. La guerre civile est donc possible. Et puis les combattants d’Oussama Ben Laden continuent d’exporter leurs « effets » terroristes dans les grandes mégapoles mondiales. Les jours passent, et c’est comme si nous ne pouvions plus vivre avec répit, repos, ...

Georges W. Bush a décrété et déclaré qu’il fallait faire face - et les soldats des armées américaines sont bien sur le terrain d’une guerre difficile. Mais chacun comprend et mesure aujourd’hui que la guerre à la guerre est une spirale contradictoire qui maintient celle-ci et dont les victimes sont encore et toujours les civils pendant que les guerriers attaquent ou se défendent avec des moyens adaptés. Le civil est lui, par essence, l’être sans défense, celui qui vit avec confiance, se déplace pour des raisons personnelles ou professionnels, et « perd sa peau » parce qu’il n’a pas anticipé et su qu’il était au mauvais endroit au mauvais moment. Et s’il en réchappe, blessé ou indemne « par miracle », demande t-il, demande t-elle pourquoi ? Et nous ? Demandons-nous « pourquoi » ? Pourquoi des civils sont massacrés par une boule de feu ? Ces 60 et quelques morts et ces centaines de blessés compteront-ils pour quelquechose dans la lutte sunnite pour le retrait des forces américaines ou pour la lutte d’Al-Qaeda contre le grand Satan occidental ? Et les milliers de victimes dans les attentats et autres attaques suicides d’Al-Qaeda ? Pourquoi ce mot n’a t-il pas été écrit en lettres immenses sur les murs de nos villes, « Pour quoi ? » Pourquoi n’a t-il pas été prononcé sur les chaînes de télévision par des victimes ou des responsables d’Etat ? Dire que les responsables de ces actes expriment une « idéologie du mal », est-ce une réponse adaptée à cette question ?

Les constats sont utiles, mais nous ne devons jamais oublier qu’ils sont superficiels, qu’ils ne peuvent rien nous apprendre d’essentiel. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, il semble que le monde connaisse une nouvelle guerre : les guerriers contre les civils, autrement dit les loups contre les agneaux. Le pouvoir des uns sur les autres est évident : la force est contraignante. A Oradour sur Glane, une division SS n’a eu qu’à s’arrêter, contraindre les habitants à se rassembler et puis... Et dans les camps, les civils qui venaient des villes policées de l’Ouest ne pouvaient deviner que... Cette « métaphore » hobbesienne, le fameux précepte selon lequel « l’homme est un loup pour... », n’est pas inutile. Car elle illustre une violence, la consommation de la chair carnée, qui pourrait avoir un sens dans notre affaire, si tant est que nous puissions relier ces crimes à « l’anthropophagie ». Cette dernière est réputée avoir disparu, comme la variole, être éradiquée, par une sagesse mondiale indéterminée. Mais au cours des siècles chrétiens, déjà nombreux, et le 21ème vient de commencer, le must de la « foi » était et est encore la consommation de la « chair du Christ » - acte symbolique dit-on... Le « corps sacré » de l’autre homme, lorsqu’il est mort, exige sépulture, certes, parce que la corruption va le dévorer et le rendre non reconnaissable, et en même temps terrifiant, mais également pare un désir possible de sa consommation par les survivants. Les célèbres « serial killer » sont ceux qui, précisément, impassibles quant aux interdits, vivent leur souci de manducation de la chair. Ces faits accumulés devraient susciter une réflexion sérieuse quant à l’élaboration d’une « anthropologie » philosophique basée sur les faits de nos si nombreux siècles puisque nous sommes, selon la formule de Nietzsche, des « tard venus. » L’homme, l’espèce humaine, peut-elle être déclarée « bonne » ? Les faits indiquent l’inverse. Et pour elle-même ? Elle est également extrêmement dangereuse. Car cette « psyché » est construite sur des éléments troubles et troublants - et notamment dans les cultures « religieuses ». Les morts s’enchaînent et s’accumulent. Et rien ne paraît pouvoir arrêter leur fabrication. La vie est censée avoir fabriqué« autant de morts que d’étoiles, et »l’humain« si célébré par des philosophies »humanistes« comiques en ajoute à la pelle. La logique voudrait que nous considérions avec sérieux cette attitude suicidaire, frappée par ce que je qualifie de syndrome de Macbeth, la volonté de disparaître dans le néant en attirant le monde entier dans cette fin. Mais non, nous continuons à vivre et à penser comme si une »bonté" originelle nous avait ceint et frappé de son sceau, comme si nous n’avions pas, nous, à nous inquiéter, comme si, nous, nous faisions partie de ceux et celles qui auront toujours la chance de passer à travers les gouttes...

Cette croyance, ce présupposé, sont toujours ceux des civils qui deviennent un jour des victimes. Combien de temps devrons-nous supporter à jouer le rôle de victimes consentantes, prêtes à être offertes en sacrifice ? Pouvons-nous accepter, comme après les attentats de Londres, que des gouvernements et des institutions sécuritaires reconnaissent leurs limites et les failles de leur « système » ? Combien de temps encore un tel vampire assoiffé de sang comme Zarquaoui pourra t-il continuer à faire ce qu’il veut et à commettre des assassinats au vu et au su de tous ? Car, incidemment, les âmes s’habituent au pire, et finissent par le supporter, jusqu’à la dernière étape qui consiste à trouver ce pire... normal, et ainsi à en venir à l’imitation, phénomène psycho-politique majeur selon le Platon de « la République ». Chacun doit bien réfléchir à ce qu’il veut pour le monde. D’ici dix ans, voulons-nous encore lire des journaux dans lesquels s’étaleront les faits de crimes plus odieux encore ? Ou voulons-nous arrêter cette sinistre farce ? Dans ce cas, il n’y a pas une solution, mais des solutions ; un acteur décisif, mais une pluralité. En Islam, le don d’autorité religieuse doit faire l’objet d’un examen renouvelé et sérieux. Une « réforme » religieuse radicale est possible, et nécessaire, sauf à continuer de voir les pays musulmans abriter une série de sectes contradictoires les unes par rapport aux autres. Il faut engager, par-delà les mers et les océans, un dialogue, même virtuel, avec Ben Laden et consorts. On ne laisse pas un homme si malade dans la solitude démoniaque où il a forgé ses crimes. La rhétorique victimaire des djihadistes doit être contredite par le fait majeur de la colonisation arabo-musulmane : de l’ancienne Arabie, les nomades arabes ont construit un immense empire, possèdent des terres de grande valeur, et notamment son joyau, le pétrole. Le foyer israëlo-palestinien doit être strictement encadré pour qu’aucun débordement majeur ne menace la paix mondiale. En Occident, l’autorité théologico-politique, même en France, doit être pensée plus qu’elle ne l’est, et de nouvelles parades contre la « violence-du-Bien » doivent être mises en place. Les Etats-Unis représentent et éprouvent de manière particulièrement vive, dramatique et dangereuse, cette co-substantialisation du pouvoir avec le Bien. Les Etats et les pouvoirs macroéconomiques sont les expressions de cette violence et font souffrir des millions d’individus, des peuples entiers. Mais également le goût des Occidentaux pour les livres et les films qui exposent des crimes doit être également interrogé, à travers ses exposition joyeusement cinématographiques et littéraires. Et dans toutes les cultures, qu’elles qu’elles soient, il est temps également de prendre le temps pour... faire le point sur ce que nous pensons « de » l’humain, objectivement, mais plus encore pratiquement, dans notre quotidienneté - et si nous prenons conscience que nous ne nous aimons pas tant que cela, réfléchir si nous voulons en rester là, ou au contraire travailler pour faire avancer la cause de la vie. Car dans le monde, il n’y a pas que nous, pas que soi, et ce sentiment, cette « croyance » est pourtant le fondement psychomoral de l’humain qui, non poétiquement, habite le monde. Nous, nous pouvons le dire, mais pensons quelques instants à ceux et celles qui, parmi les êtres vivants, n’ont pas la parole, n’ont pas notre parole, et que nous n’entendons donc pas, alors même que nous les faisons souffrir. Contre le mur du son, résonne la musique hypnotique et dangereuse de « l’autarcie » en tant qu’humanité, essence « indépendante ». Car tel est bien le fait majeur qu’il faut méditer : dans l’homme, quelque chose semble fasciner et aimer que les souffrances perdurent et s’approfondissent, quelque chose semble prendre goût à torturer la vie, et nous, moi en tout cas, j’attends de cela une « libération »...

Jean-Christophe Grellety - Juillet 2005


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