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Dimanche de Bouvines, Pouvoir Royal et Magna Carta

Cet article a été publié sur mon blog le 10 février 2015.

Le 27 juillet 1214 : un dimanche qui dessine déjà les contours absolutistes et centralisés de la France et les tendances plus libérales du Royaume-Uni.

En tant qu’ancienne habitante de Cysoing, commune de la région de Lille frontalière avec la Belgique et voisine de Bouvines, je savais bien sûr que la plaine de Cysoing avait été le théâtre champêtre de la fameuse bataille de Bouvines du 27 juillet 1214, ainsi que nous le rappelle un panneau d’aspect médiéval planté à l’entrée du village de Bouvines. Chapelle aux ArbresMais c’est seulement récemment, en visitant une petite exposition locale, que j’ai appris qu’un de mes départs favoris de jogging, la Chapelle aux Arbres (photo ci-contre), marquait précisément l’endroit où Philippe-Auguste fut blessé et relevé par ses compagnons pour poursuivre les combats jusqu’à la victoire finale. Quelques jours plus tard, je tombe sur l’ouvrage de l’historien Georges Duby Le dimanche de Bouvines présenté en tête de gondole au Furet du Nord. Et encore quelques jours plus tard, je lis dans la presse que l’Angleterre fête cette année les 800 ans de la Magna Carta, texte visant à limiter le pouvoir du roi d’Angleterre Jean sans Terre, déjà bien affaibli, notamment par sa défaite à Bouvines. De quoi chercher à en savoir plus. 

Roi des Francs (Rex Francorum) à son couronnement en 1179, Philipe-Auguste aime par la suite faire porter sur les actes et documents royaux la mention de Roi de France (Rex Franciae). Son règne (1179-1223) est marqué par un très net agrandissement du domaine royal et des fiefs fidèles à la couronne. Ceci est rendu possible par de nombreuses conquêtes militaires qui le mettent aux prises avec un certain nombre de comtes et barons rebelles, avec l’Angleterre et avec le Saint-Empire romain germanique. La bataille de Bouvines, qui se déroule toute la journée du dimanche 27 juillet 1214, constitue ainsi l’apogée des campagnes de Philippe-Auguste. Il va y affronter les troupes du comte de Flandres, du Roi d’Angleterre Jean sans Terre (frère et successeur de Richard Coeur de Lion) et de l’empereur du Saint-Empire Otton IV.

Conquêtes de Philippe-AugusteLe fait que les combats aient lieu un dimanche, jour du Seigneur en principe scrupuleusement respecté, indique l’importance de l’enjeu. Il faut dire aussi qu’Otton ne se sent pas tellement concerné. Il a en effet été excommunié quelques années auparavant par le Pape pour manquements graves aux espoirs que le Saint-Siège avait placés en lui à la tête du Saint-Empire. Quant à Jean sans Terre, bien qu’ayant tiré pas mal de ficelles et versé 40 000 marcs d’argent pour coaliser une partie de l’Europe contre la France, il n’est pas présent sur le terrain. Il fait la guerre au sud de la Loire dans le pays de ses ancêtres, les Plantagenêt. Philippe-Auguste ne souhaite pas froisser le Pape en déclenchant les hostilités un dimanche et pousse donc ses ennemis à attaquer. A la fin de la journée sa victoire est totale : Otton IV s’enfuit et perd sa couronne, le comte de Flandres est emprisonné au Louvre, les autres comtes et barons coalisés doivent céder leurs terres à Philippe-Auguste et Jean sans Terre regagne l’Angleterre très affaibli politiquement.

Côté français, Philippe-Auguste rentre à Paris en triomphe et ordonne plusieurs jours de festivités. Selon une tradition qui ne s’est manifestement pas perdue jusqu’à nos jours, il n’hésite pas à instrumentaliser la situation dans le sens du catastrophisme le plus frappeur en déclarant :

« Louez Dieu !, car nous venons d’échapper au plus grave danger qui nous ait pu menacer… »

Il dispose maintenant d’un pouvoir incontesté sur ses vassaux. La dynastie des capétiens sort renforcée et les assises de la monarchie française sont consolidées pour longtemps. C’est une victoire de la royauté sur la féodalité à l’origine de l’Etat-Nation centralisé.

Côté anglais, les choses sont bien différentes. Les piètres qualités stratégiques et militaires de Jean sans Terre deviennent apparentes pour tout le monde et lui-même comprend qu’ayant perdu beaucoup de terres, ses revenus vont baisser, ce qui va l’obliger à lever des impôts supplémentaires sur ses barons. Parallèlement, une controverse sur la nomination de l’Archevêque de Cantorbery pousse Jean sans Terre à accorder au Pape l’Angleterre et l’Irlande comme territoires pontificaux pour les recevoir à nouveau contre 1000 marcs par an. Entre nouvelles taxes et contrôle accru dans leurs fiefs, le mécontentement des barons est à son comble.

En juin 1215, soucieux de limiter l’arbitraire royal, ils arrachent au roi un accord : c’est la Magna Carta (*), dont l’article 61, le plus long et le plus important, établit un conseil de vingt-cinq barons qui peuvent à tout moment se réunir et annuler la volonté du roi, au besoin par la force en saisissant ses terres, ses châteaux et tous ses autres biens :

(…) The barons shall elect twenty-five of their number to keep, and cause to be observed with all their might, the peace and liberties granted and confirmed to them by this charter. (…)

(…) Les barons pourront élire vingt-cinq hommes parmi leurs membres afin de défendre et de faire observer, en y mettant toutes leurs forces, la paix et les libertés qui leur ont été accordées et confirmées par la présente charte. (…)

Jean sans Terre n’a jamais eu l’intention de se plier à cette Grande Charte car il considère qu’elle lui a été imposée par la force. Cependant, elle est à nouveau promulguée en novembre 1216, quelques semaines après sa mort.

La Magna Carta a inspiré de nombreux textes ultérieurs : la Pétition des Droits de 1628, la Constitution des Etats-Unis de 1789 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 notamment. Son Article 39 stipule :

No free man shall be seized or imprisoned, or stripped of his rights or possessions, or outlawed or exiled, or deprived of his standing in any way, nor will we proceed with force against him, or send others to do so, except by the lawful judgment of his equals or by the law of the land.

Aucun homme libre ne sera arrêté ni emprisonné, ou dépossédé de ses biens, ou déclaré hors-la-loi, ou exilé, ou exécuté de quelque manière que ce soit, et nous n’agirons pas contre lui et nous n’enverrons personne contre lui, sans un jugement légal de ses pairs et conformément à la loi du pays.

Il s’agit là de la première formalisation britannique de l’Habeas Corpus qui sera renforcé par l’Habeas Corpus Act de 1679.


Les-vitraux-de-léglise-St-Pierre-de-Bouvines-596x246La photo de couverture de cet article représente les vitraux de l’église de Bouvines construite en 1886 selon l’architecture des XIIème et XIIIème siècles pour commémorer la bataille de Bouvines. Les vingt et un vitraux décrivent le déroulement des combats.

(*) Le texte anglais de la Magna Carta est disponible sous Creative Commons License.


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