• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Doit-on considérer les sans-papiers comme des êtres humains (...)

Doit-on considérer les sans-papiers comme des êtres humains ?

Il n’est pas question dans cet article de faire l’apologie de l’immigration libre, en particulier au moment où la crise économique risque d’exacerber les tensions entre individus et communautés. La phrase de Michel Rocard (1990) résumetoute la complexité de l’équilibre en matière de politique d’immigration : « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ». Le nombre d’immigrés que notre pays est en mesure d’accepter doit être l’objet d’une délibération proprement politique (en prenant en compte la situation économique en France, les situations qui poussent les personnes à fuir leur pays, la politique d’aide au développement...) qui n’est pas l’objet de cet article. Je veux aborder ici la question des immigrants souhaitant pénétrer sur le territoire français et la manière dont ils sont traités par les autorités.

J’indiquais dans un précédent article (cf. http://ekaminski.blog.lemonde.fr/) que le gouvernement assumait son refus de reconnaître la dignité humaine aux migrants illégaux. Si la lutte contre l’immigration illégale est souhaitable, elle doit être menée dans le respect des droits de l’Homme. Ce n’est pas le cas dans les deux institutions par où passent les étrangers illégaux (ou pas encore légaux) : les zones d’attente et les Centres de rétention administrative (CRA).
 
Ces personnes sont soutenues par des associations (CIMADE, ANAFE...), mais les autorités ne leur permettent pas de faire valoir efficacement leurs droits fondamentaux (accès à un interprète, à un médecin ou à un avocat). Le recours contre les décisions de non-admission n’est possible que pour les demandeurs d’asile. Parfois, les nouveaux arrivants ne peuvent même pas déposer de demande d’admission. Des mineurs non-accompagnés sont régulièrement renvoyés dans le dernier pays par lequel ils ont transité alors qu’ils devraient automatiquement être confiés aux services d’aide à l’enfance. Dans l’attente de leur expulsion, ces derniers ne bénéficient pas d’une protection suffisante (absence de séparation d’avec les adultes, administrateurs ad hoc peu présents...).
 
Alors que le nombre de demandes d’asile augmente fortement partout dans le monde, en lien avec des conflits tels qu’en Irak, en Afghanistan ou en Somalie, la Police de l’air et des frontières (PAF) empêcherait les demandeurs d’asile potentiels de déposer leur demande. Le demandeur d’asile ne dispose que d’un délai de 48 heures pour déposer un recours (qui demande une solide préparation juridique) contre son refus d’admission sur le territoire au titre de l’asile. Les juges des libertés et des peines ne sont pas appréciés par les agents de la PAF, car ils permettraient trop souvent aux demandeurs d’asile d’entrer sur le territoire pour effectuer leur demande !
 
Il n’est pas rare que les demandeurs d’asile, une fois sortis de la zone d’attente, se plaignent des abus (violences, traitement expéditif des demandes au motif qu’elles seraient « manifestement infondées ») qu’ils ont subi. Si certaines zones d’attente (ZAPI 3), sont relativement faciles d’accès pour les ONG, les juges ou les experts internationaux, d’autres, en particulier dans les aérogares, sont de fait inaccessibles[1], tout comme la plupart des locaux de rétention administratives.
 
La situation dans les CRA est différente. Les mesures d’éloignement prononcées contre les personnes retenues sont devenues, dans une logique sécuritaire, un outil symbolique de la politique de maîtrise de l’immigration. Si la gendarmerie en charge de certains centres semble plus attentive aux souffrances et donc à la dignité des personnes retenues que la PAF, il est choquant que parmi ces dernières se trouvent des personnes établies, avec une famille, et travaillant depuis des années en France. Surtout, cette population est mêlée aux étrangers qui sortent de prisons, parfois après de longues peines. Les conditions de sécurité ne sont pas assurées dans des locaux délabrés où les esprits s’échauffent vite.
 
Enfin, un quart des détenus étrangers sont détenus en centre pénitentiaire pour « infraction à la législation sur les étrangers » (irrégularité du séjour, soustraction à une mesure d’éloignement). La commission d’enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires avait pourtant estimé en 2000 que cette situation constituait « un dévoiement de la peine de prison » dans la mesure où « « la prison n’a [dans ce cas] aucune fonction de réinsertion ».
 
L’opinion publique est peut-être réticente à accueillir des étrangers sur le territoire national. Cela ne doit pourtant pas contribuer à justifier la négation de la dignité humaine des migrants illégaux. Il n’est pas question ici de droits particuliers, d’allocations... Il n’est question que d’un traitement humain d’individus qui fuient une situationsouvent désespérée. Les droits de l’Homme sont là pour nous rappeler qu’un être humain, pour rester digne, ne peut être traité de n’importe quelle manière. Y compris au nom d’une majorité tyrannique.
 

[1]Communiqué de l’ANAFE du 24 avril 2008 « Aéroport de Roissy : quand l’administration cache au juge les conditions d’enfermement des étrangers »


Moyenne des avis sur cet article :  3.12/5   (17 votes)




Réagissez à l'article

9 réactions à cet article    


  • Surya Surya 26 mars 2009 19:03

    Je suis bien de votre avis. Ce n’est pas parce qu’une personne est un clandestin dans un pays qu’on a le droit de le traiter comme un chien. Les gens qui prennent le risque de quitter leur pays sans avoir de papiers le font par obligation, la vie n’a jamais été facile pour eux, ils ne laissent pas leur famille derrière eux de gaité de coeur et je pense que s’ils pouvaient se passer de cette triste expérience de clandestin ils le feraient. Personnellement je les trouve vraiment courageux, j’aurais jamais le courage de faire un truc comme ça. Après, en effet, s’il y a des lois dans les pays, il faut donc les appliquer, mais toujours dans le respect de la personne humaine.
    C’est bien cette phrase en entier que Michel Rocard a dite, vous faites bien de le rappeler car beaucoup de gens qui sont par principe contre l’immigration, ou qui veulent justifier des reconduites à la frontière musclées, ont tendance à enlever, dans les média notamment, la seconde partie de la phrase, et ne garder que la première partie : "la France ne peut accueillir toute la misère du monde. " parce que ça les arrange mieux. C’est plutôt malhonnête.


    • W.Best fonzibrain 27 mars 2009 00:55

       meme par provocation ,le titre de l’article est abject,

      on pourrait y voir un questionnement froid,partant du constat d’un a priori justifiant cette condescendance,une sorte dd’affirmation de leur non statu d’etre humain juste en posant la question.
      gravissimme de se poser la question
      .


      en posant la question de la sorte,cela sous entend qu’il est légitime de se poser cette question,alors qu’en soit étant donné que c’est des etres humains cette question ne se pose pas.
      à l’auteur,j’espère que vous comprenez ce que je dis,j’espère que vous n’avez pas cela en tête


      • Walden Walden 27 mars 2009 13:29

        En démocratie, il est toujours légitime de se poser des questions, surtout en y apportant autant d’éléments de réponse pertinents, si vous avez bien pris la peine de lire cet excellent article.

        Ce qui est choquant, c’est la situation actuelle en France : en évitant le débat, on se permet de traiter les personnes sans-papiers d’une manière indigne, ce qu’on hésiterait peut-être à faire si on s’interrogeait ouvertement là-dessus.
        (Dans une moindre mesure, c’est aussi le cas concernant les conditions de détention dégradantes dans bon nombre d’établissements pénitentiaires surpeuplés.)

        Car à la question "Doit-on considérer les sans-papiers comme des êtres humains ? ", il y a deux réponses possibles : oui ou non .
        Celle de l’auteur, que je partage, ne fait souffre à l’évidence d’ aucune ambigüité : c’est OUI.

        Et donc, si on les considère comme des êtres humains, on doit les traiter comme des êtres humains, c’est à dire dans le strict respect des Droits de l’Homme reconnus constitutionnellement ainsi que des Droits garantis par la Convention de Genève.


      • chlegoff 27 mars 2009 10:03

        À votre question et à vos arguments qui plaident en faveur d’un humanisme raisonné et légitime, l’idéologie dominante en France considaire déjà que "l’homme n’est pas une marchandise comme les autres". Alors plaider en faveur des misérables qui fuient la souffrance risque à terme de vous voir dénoncé par des citoyens volontaires soucieux de l’ordre et de la discipline. Monique Pouille en a déjà fait les frais, méfiez vous vous êtes repéré.


        • Bois-Guisbert 27 mars 2009 11:41


          Une solution serait d’instituer le délit (pénal) de clandestinité (entrée et séjour), auquel cas les droits de l’homme dont pourraient se prévaloir les illégaux seraient ceux qui valent pour n’importe quel délinquant emprisonné, et pas davantage.

          Quant aux demandes d’asile, elles devraient obligatoirement être introduites dans un pays limitrophe de celui d’où le requérant est originaire, ce qui pemettrait de simplifier considérablement les choses tant pour le demandeur que, le cas échéant, pour le pays d’accueil.

          Il conviendrait aussi de fixer dans la loi l’objectif de contingenter l’immigration "alterculturelle" qui met d’ores et déjà sérieusement en péril l’homogénéité du peuplement du pays. Ce dont le général De Gaulle, à la différence de ses indignes héritiers, était parfaitement conscient : "

          « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne...  »


          • Walden Walden 27 mars 2009 13:42

            1/ Il n’y a pas de races humaines, mais l’espèce humaine dans sa diversité.
            La notion de race humaine non seulement n’est pas fondée scientifiquement, mais prouvée fausse.

            2/ La liberté de religion est reconnue dans le pays laïque qu’est la France.

            3/ Donc il n’existe pas de "peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne" , mais des citoyens européens de diverses confessions, ou agnostiques ou athées, d’origines culturelles variées, qui cohabitent actuellement dans un processus de brassage culturel et de mixité qu’il serait absurde de nier au nom d’une conception idéologiquement fausse et obsolète.


          • Bois-Guisbert 29 mars 2009 09:45
            On peut voir cela comme vous le faites, mais on peut aussi le voir différemment. Moi, par exemple, je vois des NOUS blancs, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne,  et des EUX pas blancs, de culture non grecque et non latine, et de religion chrétienne ou non chrétienne, ce n’est pas déterminant, le problème étant fondamentalement culturel. Et je prends acte du fait que les EUX ne seront, par définition, jamais des NOUS, tout comme les NOUS ne seront, par définition toujours, jamais des EUX.

            Si je regarde de plus près, je constate encore que les NOUS et les EUX vivent côte à côte, bien plus qu’ils ne cohabitent et que le brassage culturel, comme la mixité, représentent un appauvrissement considérable pour une Nation qui s’enorgueillit de génies universels dans tous les types de productions de l’esprit humain. Une réalité que des films comme Entre les murs et L’année de la jupe, commencent à peine à mettre en évidence.
             
            Dans un tel contexte, on se fout complètement de l’existence, ou de l’inexistence, des races humaines. C’est un faux problème entretenu par des chercheurs politisés du calibre d’Albert Jacquard ou de Jacques Monod, cet affligeant prix Nobel qui laissait entendre que toutes les vérités scientifiques ne sont pas bonnes à dire en se demandant :
             
            « … faut-il persévérer si la génétique doit divulguer, sur la différenciation des races, des secrets dont la portée morale, politique et psychologique nous déborde ?  » C’est à la page 152 du livre de George Steiner, Dans le château de Barbe-Bleue, collection Folio-Essais, éditions du Seuil, Paris 1986.
             
            P.S. – Les NOUS athées et agnostiques n’échappent évidemment pas aux racines chrétiennes de la civilisation à laquelle nous appartenons tous et qui a largement façonné notre identité.

          • Johan Livernette Johan Livernette 27 mars 2009 12:05

            Un sans papier n’est pas forcément un immigré clandestin, ça c’est un premier point. Deuxièmement, de la manière dont est posée la question, on connaît la réponse. Il est évident que les sans papiers sont aussi des êtres humains.
            Il faudrait se poser les bonnes questions, sur l’intérêt de l’oligarchie à fermer les yeux sur les passeurs et régulariser en douce des milliers de tiers-mondistes clandestins pour abaisser le coût du travail et faire pression vers le bas sur les travailleurs autochtones. 


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON

Auteur de l'article

Eric Kaminski


Voir ses articles






Les thématiques de l'article


Palmarès