Du chimpanzé savant au bonobo rentier
Il y a 6 millions d’années un même hominidé donnait naissance aux Hommes et à certains grands singes comme les chimpanzés et les bonobos. Le génome du bonobo et celui du chimpanzé sont très proches ; ce qui tend à confirmer l'hypothèse selon laquelle la formation du fleuve Congo, il y a 2 millions d’années environ, a amorcé la séparation d’une même population conduisant aux chimpanzés avec des mâles agressifs, violents et dominateurs et les bonobos au système matriarcal dans lequel une pratique sexuelle intensive permet de pacifier les relations tribales. Un même chemin peut-il être volontairement suivi par les Homo sapiens ?
DU CHIMPANZÉ SAVANT AU BONOBO RENTIER
Jacques-Robert SIMON
L’Homme est un des objets de la Nature : si il a 98% de son matériel génétique commun avec le chimpanzé, il a également 35% de son génome semblable à celui de certaines fleurs. L’Homme est donc l’un des innombrables réacteurs où se passent de très banales, bien que complexes, réactions chimiques. Il a cependant réussi à dominer, quelquefois en les exterminant, toutes les autres formes de vie et possède donc un avantage compétitif. Cette dramaturgie du fort qui doit terrasser le plus faible, souvent associée à la théorie de l’évolution, est omniprésente dans tous les domaines. Bien qu’il ne faille jamais suivre aveuglément une quelconque théorie sous peine d’arriver au pire des résultats avec tous les arguments nécessaires pour le justifier, cette « Loi du plus fort » doit être examinée.
L’Homo sapiens est un être intelligent, quelquefois raisonnable et rarement sage. C’est par sa capacité à analyser des données afin de trouver la « meilleure » des actions à mener qu’il a remplacé l’Homme de Néandertal pourtant nettement plus robuste que lui. Ainsi, dès l’origine l’intelligence a pris le pas sur la force physique brute, très vite ce fut le plus vif à trancher, en s’aidant éventuellement du savoir, de l’expérience ou de sortilèges, qui fit régner l’ordre dans tout groupe humain. Il faut souligner que le savant n’est pas celui qui se détermine le plus rapidement face à un problème : celui qui décide, n’est jamais un de ces scientifiques hantés par le doute.
La quantité totale de richesse produite annuellement par habitant dans le monde n’augmenta pas dans un premier temps considérablement car les activités étaient limitées par les maigres ressources liées à la photosynthèse. Durant plusieurs milliers d’années, pour bâtir de grandes choses il fallut asservir beaucoup de petites gens. Cet asservissement n’était pas lié uniquement à une contrainte physique, les mystères de la religion furent un utile complément pour assurer l’ordre en donnant quelques lueurs d’espoir à ceux qui désespéraient du présent. L’ère du mâle dominant pouvant être aussi violent que savant touchait cependant à sa fin au XIXe siècle. Alors, une consommation importante d’énergies fossiles accompagne une révolution industrielle sans que l’on puisse distinguer la cause de l’effet. L’après seconde guerre mondiale accentue le phénomène. Les temps modernes permirent à la multitude d’avoir accès aux jouissances vulgaires à satiété, sans toutefois que leur statut de dominé ne soit allégé. Les savants, les ingénieurs, les techniciens fournissaient tous les éléments nécessaires aux changements sociétaux mais ce furent de plus en plus les « marchands » qui s’accaparèrent de ce qu’ils nommèrent les richesses, c’est à dire tout ce que l’on peut acheter : des perles, des châteaux, des politiciens… en laissant de côté tout le reste. L’amour, le sens de l’honneur, le sens du devoir, la fidélité, le civisme furent rangés parmi les accessoires surannés et laissés à libre disposition de ceux qui ne pouvaient pas décider de grand-chose ou de rien d’important. Avec le temps, les habiles - ceux qui font faire ce qu’ils sont incapables de faire - garnirent tous les centres de pouvoir en se parant de vertus qu’ils n’avaient pas. Pourtant, toutes les inventions qui épargnèrent peines et efforts aux Hommes, la roue, la machine à vapeur, la pénicilline, machine à vapeur, locomotive, téléphone, ampoule électrique, appareil photographique … , toutes les inventions ont été faites par des artisans, des expérimentateurs. Les théories permettent elles d’avoir une vue cohérente d’un domaine, de l’enseigner et donc de créer des écoles, d’engendrer des émules et de dominer un secteur pour éventuellement le mettre au service des puissants. L’ingéniosité indispensable à tout inventeur ne peut guère se déléguer, difficilement se transmettre autrement que par l’exemple et est donc peu apte à conduire à la domination.
Les Arts, dont l’art scientifique, offrent des possibilités dont les marchands quantifient la valeur pour les échanger d’autant plus rapidement que l’énergie disponible est importante, cet échange tend à disperser les biens et les savoirs. L’aspect production disparaît graduellement au fur et à mesure que les sociétés se complexifient. Vient alors le règne du secteur dit tertiaire : commerce, administration, activités financières, services aux entreprises et aux particuliers, éducation, santé … En 2015, le secteur tertiaire occupait en France 76,7 % de la population active, tandis que le secteur primaire (agriculture, pêche…) n'en représentait plus que 2,8 %, et le secteur secondaire (essentiellement l’industrie) 20,5 %. La tertiarisation massive de l’économie pose des problèmes conceptuels : les notions de qualité et de productivité en particulier sont difficiles à cerner pour une production presque uniquement immatérielle. On passe également du domaine des arts où chaque objet est unique au secteur marchand dans lequel tout peut être évalué et comparé. Des « logorrhées verbales » prennent tout le champ de la scène : elles sont faciles à émettre et difficiles à juguler. Tout devient relatif, les valeurs ne sont plus intangibles et éternelles mais négociables. La mort de Dieu offre la scène aux jouissances immédiates, les Hommes adoptent ostensiblement un comportement sexuel dénué de limites pour se cacher leur désespoir de vivre pour rien.
La dissolution de l’art dans le verbiage atteint même les sciences dites dures. Les dépenses de R&D de l’industrie pharmaceutique sont très inférieures aux dépenses de marketing. Ainsi, Novartis dépensa en 2015 9,1 milliards de dollars pour la R&D et 15 milliards de dollars pour détecter les besoins des « consommateurs », faciliter les ventes, influer sur les prises de décision. Dans un monde sans réel tout devient facile et affaire d’habileté, les efforts ne concernent plus que les subalternes, les devenus invisibles faiseurs d’objets. Aucune pierre de touche ne permet plus de distinguer le vrai du faux, le bien du mal, le réel de l’imaginaire, le possible de l’impossible, le moral de l’immoral.
Dans ce monde de l’apparence, une sorte de matriarcat prend son essor dans lequel ce qu’on est prime ce que l’on sait, ou ce que l’on peut. Au sein du monde professionnel, ce mode de fonctionnement complète utilement les pratiques sexuelles sans tabous ni limites qui se sont installées. Est-ce à dire que le pacifisme des bonobos va lui aussi être possible ?
Les pays Européens et occidentaux ont accepté de perdre tout le tissu productif qu’ils avaient, pour garder uniquement une économie de rente en déléguant aux plus pauvres de faire les tâches restées difficiles. De l’ancêtre commun de l’Homme et des singes il aura fallu attendre 6 millions d’années pour obtenir un être hybride alliant les mœurs des bonobos et l’esprit dominateur des chimpanzés. La domination n’est plus assurée par la force ou l’intelligence mais par la capacité à accumuler gains, profits, dividendes, bénéfices, avantages, enrichissements, honoraires, gratifications en faisant travailler ceux qui n’ont aucune prise sur le système. La rente est nécessaire aux bonobos pour perpétuer leur art de vivre car à terme ils ne sauront plus rien faire d’utile par eux-mêmes.
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