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Duo pour un concordat annoncé

Les duettistes se connaissent, se reconnaissent... et psalmodient leur partition en canon ou tour à tour...

Après avoir officié directement dans la grande mosquée de Paris le 10 octobre dernier, la ministre de l’Intérieur (et des cultes...) réitère, dans une interview donnée le 25/01 au journal La Croix, les propos qu’elle y avait tenus sur la nécessité de violer l’article 2 de la loi de 1905 afin d’aider les « pauvres musulmans » à organiser leur culte tandis que son partenaire favori, recteur de la grande mosquée de Paris, interrogé par Le Monde du 28/01, lui donne une réplique convenue en demandant « un moratoire de dix ou vingt ans » sur l’application de cette loi essentielle afin de permettre aux organisations islamiques d’avoir accès à la ressource publique pour leurs besoins constructifs et de mettre en place les structures de leur communautarisme religieux...

Tout s’accélère ces derniers temps : les citoyens attentifs sont, depuis longtemps, au fait des intentions affichées par les responsables nationaux actuels de porter atteinte à l’essence même de la loi de 1905, qui fonde notre laïcité, en effaçant, dans les faits, le contenu de son article 2... Ils ont été alertés par de nombreux textes qu’ils ont pu lire ici ou là sur les visées concordataires portées, dans l’organisation des rapports entre le pouvoir de l’Etat et la vie des cultes, par les tenants de la politique menée actuellement en France... Ils ont perçu combien cette démarche s’inscrit parfaitement dans la construction politique européenne que la France veut réaliser lors de son passage, en juillet prochain, à la tête de l’UE... Et ils ont pris conscience de la duplicité des pseudo forces d’opposition représentées par le PS, le PCF, les éléments « gauchisants » et « altermondialistes », « verts » ou non, ou le Modem, dont les élus territoriaux volent au devant des demandes islamiques de reconnaissance de leur communautarisme religieux et de construction de leurs espaces confessionnels...

Alors que madame Alliot-Marie fait feu de tout bois dans sa mise en brûlis du terrain laïque de notre espace public, les défenseurs traditionnels et organisés de la laïcité s’interrogent sur les formes de la réplique, se rencontrent pour parler de «  communiqués  », se questionnent sur leurs divergences, essaient de concilier - pour certains - leur refus de voir l’église catholique revenir dans l’espace public et leur acceptation d’ouvrir cet espace public laïque aux musulmans (on entend rire les « barbus » dans leur barbe, on devine le sourire du président conforté dans ses discours du Latran et de Riyad...)... Pendant que l’incendie est aux portes de l’assise laïque de notre République, de la séparation stricte et irréductible de l’Etat et de toutes les églises et confessions, les « défenseurs historiques » de la laïcité tentent d’allumer quelques flammèches en forme de contre-feux tout en dialoguant sur le «  le sexe des anges laïques  »...

C’est que « notre » ministre n’y va pas de main morte... Outre qu’elle confond (mais c’est peut-être inconscient : à l’analyse intellectuelle nul n’est tenu...) la laïcité, qui est neutralité de l’Etat par rapport aux religions et aux idéologies de toutes sortes, exclusion de celles-ci de l’espace public pour rester dans l’espace privé de chacun... avec la tolérance et l’organisation politique des religions, elle trace les contours de ce concordat qu’elle souhaite, sans doute aucun, voir se substituer à la laïcité actuelle afin de laisser l’Etat s’ingérer dans l’organisation des cultes pour, en même temps, leur donner une place politique, sociale, idéologique et un rôle d’organisation de la société à travers une reconnaissance par-delà leur fonction de « gestionnaires des âmes ».

Ainsi nous prépare-t-elle, dans un domaine où le sensible et le religieux se rejoignent (et jouant sur le premier pour imposer le second) l’organisation des cimetières en « carrés religieux », nostalgique qu’elle est, dans sa vision obscurantiste du mouvement de l’Histoire, des cimetières enroulés autour des églises du Moyen Age où n’entraient que les « purifiés »... Un carré pour tel adepte de tel culte, un autre réservé à telle autre confession... et le reste à l’avenant, pour faire de nos cimetières des espaces d’exclusion, de négation de l’identité et de l’unité humaines.

Ainsi nous annonce-t-elle le dépérissement des « associations cultuelles » pour les remplacer par des associations culturelles qui pourront recevoir la manne publique... Laquelle, bien entendu, ira moins aux vrais besoins de TOUS, aux besoins de logements, d’éducation, de soins... à tous les besoins communs aux citoyens qui organisent l’espace politique et social dans sa totalité.

Ainsi nous organise-t-elle la reconnaissance des diplômes délivrés par les « universités catholiques », et, demain, par les « écoles islamiques, évangélistes, scientologues... » .

Ainsi nous concocte-t-elle le retour des « congrégations religieuses » et un « contrat de travail adapté » pour les « laïcs » (graphie et sens spécifiques) accomplissant des « missions pastorales »...

Ainsi nous décide-t-elle le développement de la « Fondation des œuvres de l’islam  » qui bénéficie déjà de larges subventions étatiques (1 000 000 d’euros en 2007)... et son extension aux autres religions pour les aider à réhabiliter leurs patrimoines respectifs...

Répétons-le : au terme du processus engagé par les responsables politiques actuels et leurs différents soutiens DE FAIT dans toutes les autres forces politiques et syndicales organisées, l’Etat ne sera plus chez lui, les églises seront dans et sur l’espace public...

La laïcité née du mouvement des Idées et des vicissitudes de notre Histoire sera dénaturée...

A un moment où la diversité des religions présentes sur notre territoire et l’importance de ceux qui n’ont aucune religion (un Français sur trois) imposeraient le renforcement de notre laïcité, nous assistons à son effacement, à l’émergence des religions à la place de l’Etat dans maintes structures de fonctionnement de l’espace public et à un début de segmentation communautariste de notre société...

A quand le contre-feu véritable ?


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5 réactions à cet article    


  • ZEN ZEN 1er février 2008 11:42

    "...elle trace les contours de ce concordat qu’elle souhaite, sans doute aucun, voir se substituer à la laïcité actuelle afin de laisser l’Etat s’ingérer dans l’organisation des cultes pour, en même temps, leur donner une place politique, sociale, idéologique et un rôle d’organisation de la société à travers une reconnaissance par-delà leur fonction de « gestionnaire des âmes » .

    C’est le grand danger.Résistons !

    Merci pour ce billet utile


    • ZEN ZEN 1er février 2008 19:18

       

      Un article de Caroline Fourest à méditer :(l’article n’est plus accessible gratuitement)

      "La laïcité à la française vit-elle ses dernières heures ? "La société a changé", nous dit Michèle Alliot-Marie. La loi de 1905 est censée suivre. Elle nous annonce une modification, non pas de sa lettre, mais de son esprit, par circulaire ou par décret. Encouragé par de tels propos, le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, demande carrément un "moratoire".

       

      Personne ne peut prétendre être surpris. Nicolas Sarkozy l’avait promis, et même écrit en 2004 dans La République, les religions et l’espérance : un livre de combat contre une conception stricte et ambitieuse de la laïcité à la française, qualifiée de "sectaire". Il envisageait même de modifier l’article 2 - selon lequel "l’Etat ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte" - pour financer des lieux de culte sur fonds publics. Sentant que cela ne passerait pas, il s’est vite rabattu sur une solution plus discrète : décloisonner les associations de type 1905 et de type 1901 pour pouvoir financer le religieux via le culturel. Une suggestion du président de la Fédération protestante, retenue par la commission Machelon mise en place par Nicolas Sarkozy, et que Michèle Alliot-Marie promet d’appliquer en pleine remontée des intégrismes.

       

      Officiellement, il s’agit d’aider l’islam à rattraper son retard. L’argument séduit même à gauche. Les mêmes n’accepteraient jamais que l’on touche à la laïcité pour financer le culte chrétien ou juif, mais si c’est pour l’islam... Mais de quel retard nous parle-t-on ? Si les fidèles sont nombreux et manquent d’un lieu de culte, ne peuvent-ils pas se cotiser ? Bien sûr que si, et c’est ce qu’ils font. D’après les chiffres du bureau des cultes du ministère de l’intérieur, le retard est pratiquement rattrapé. L’islam des caves n’est plus qu’un fantasme. Sur les 30 caves recensées par les services de renseignements, la plupart ont été remplacées par des salles de prières officielles, passées de 1 555 à 2 000 entre 2001 et 2006. Soit presque autant que le nombre de lieux de culte évangéliques, en pleine explosion avec 1 800 lieux recensés. Alors que 3 % des Français sont musulmans et 2 % protestants, il s’ouvre chaque année en moyenne 34 lieux évangéliques et 16 mosquées.

       

      Jamais, depuis un siècle, la France n’avait connu une telle frénésie dans la construction de lieux de culte. Il en pousse un par semaine, souvent avec l’aide des élus locaux, de gauche ou de droite, désireux d’entretenir les clientèles religieuses. C’est dire si le dynamisme actuel devrait bien vite combler les besoins des musulmans français, dont un tiers seulement se déclarent "croyants et pratiquants", et dont seule une petite minorité va à la mosquée.

       

      L’Etat a-t-il tellement d’argent à dépenser qu’il faille le consacrer à encourager cet islam collectif, souvent politique, au détriment de l’islam individuel ? Cet argent, nous dit-on, permettrait de mieux contrôler l’islam radical. Rien n’est plus illusoire. Les mosquées radicales, comme celles de l’UOIF - une organisation inspirée par les Frères musulmans légitimée par Nicolas Sarkozy au sein du Conseil français du culte musulman -, ont déjà leurs mécènes et déclinent l’offre d’une aide de l’Etat assortie d’un contrôle. D’ailleurs, à moins de revenir à un système concordataire, comment l’Etat pourrait-il contrôler le contenu d’un prêche ? Et de quel droit ?

       

      Le seul moyen de protéger l’islam contre les influences étrangères et intégristes serait d’obliger tous les fonds destinés au cultuel à passer par la Fondation pour les oeuvres de l’islam, imaginée sous Dominique de Villepin. Et de l’étendre à tous les cultes par souci d’équité. Un comité de sages, républicains et laïques, se chargerait de redistribuer l’argent ainsi collecté. Autrement dit, il ne faut pas assouplir l’esprit de 1905, mais le durcir.

       

      Au lieu de financer le retour du religieux, on pourrait surtout consacrer cet argent au social et au culturel. Par exemple en vue de réduire le nombre d’élèves par classe dans les quartiers populaires. Mais ce n’est pas la priorité de notre président, pour qui un instituteur ne remplacera jamais un prêtre ou un pasteur. A l’entendre, le plus grand mal dont souffrent les banlieues serait d’être devenues des "déserts spirituels". Sachant que l’"espérance" passe à ses yeux par le religieux, le nouveau nom du plan banlieue - baptisé "Espoir banlieue" - a de quoi inquiéter.

       

      Mais que l’on ne s’y trompe pas : la volonté de décloisonner le cultuel et le culturel servira surtout le christianisme. En particulier le renouveau évangélique à tendance sectaire, que Nicolas Sarkozy juge "évidemment positif" et sur lequel il mise ouvertement pour reconquérir les banlieues. Toujours dans ce fameux livre, il consacre un chapitre entier à la reconnaissance des "nouveaux mouvements spirituels", du nom donné aux Etats-Unis à ce que nous appelons en France des sectes. On pense à des mouvements comme les Témoins de Jéhovah ou la Scientologie, incroyablement chouchoutés lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur. Michèle Alliot-Marie annonce vouloir revoir "les qualifications pénales" envers les "dérives sectaires". Pour les assouplir, bien sûr. La "laïcité positive", c’est-à-dire à l’anglo-saxonne, n’a pas fini de nous surprendre.

       

      Caroline Fourest est essayiste et enseigne à Sciences Po.

       

      Article paru dans l’édition du 01.02.08.


      • Zazen Koi Zazen Koi 3 février 2008 18:49

        Merci pour ce billet des plus intéressant et aussi pour l’article de Caroline Fourest.

        Il n’y a rien à dire de plus, si ce n’est de s’inquiéter du silence assourdissant entourant ces manoeuvres. Si nos politiques cherchaient le chaos, ils n’agiraient pas autrement.

        Mais pourquoi les colonnes sont-elles muettes ?

         

         


        • Olivier Bonnet Olivier Bonnet 4 février 2008 15:24

          Il eût été utile de rappeler les propos exacts tenus par Alliot-Marie. Je précise que je suis un fervent militant de la laïcité, mais qu’il est difficile de s’insurger sans savoir ce qu’elle a dit !


          • Olivier Bonnet Olivier Bonnet 4 février 2008 15:27

            J’ai trouvé ! Dans Les Echos : "La ministre de l’Intérieur, chargée des cultes, Michèle Alliot-Marie, a donné vendredi le coup d’envoi d’un aménagement de la loi sur la laïcité de 1905, appelé de ses voeux par Nicolas Sarkozy, en le justifiant au nom d’une laïcité « tolérante ». Depuis la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, « la société a changé » et « certaines modalités de la loi, qui créent des entraves à l’exercice des cultes, doivent être adaptées », argumente-t-elle. Outre la question des carrés confessionnels dans les cimetières, elle juge que la séparation entre associations cultuelles et culturelles « mérite sans doute d’être revue ». « Il n’est pas question de rouvrir des querelles qui ont profondément divisé notre pays », a-t-elle toutefois rassuré. Le camp laïc avait exprimé des inquiétudes après deux discours prononcés par Nicolas Sarkozy à Riyad et Rome."

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