• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Eduquer la rue ? Humanité - Prudence - Education

Eduquer la rue ? Humanité - Prudence - Education

 "Quelque soit le milieu d’où tu viens, tout le monde doit avoir la chance de pouvoir réussir"

M.Kassos

Voici l’interview d’un éducateur de rue que nous appelerons l’agent M. Kassos. Il a 38 ans.

Eduquer la rue en 24 mots ?

Education - Marginalisation - Solidarité - Volonté - Anarchie - Egoisme - Concurrence - Priorité - Codes - Surveillance - Savoir-vivre - Participation - Engagement - Environnement - Déplacement - Propriété - Universalité - Air - Entente - Caravane - Jeux - Détente - Visibilité - Commun

Lechasseur.jpg

M.Kassos, quel est ton parcours professionnel ?

Comment dire, mon choix d’orientation à commencer à se faire en troisième où là j’étais confronté à reproduire le schéma familial de faire une formation dans le métier exercé par mon père. Sachant que j’étais attiré par tout ce qui était manuel et du coup, j’avais, par rapport à mes aspirations, deux choix : faire de la menuiserie ou basculer dans le domaine de l’électronique. Ce qui correspondait à mes envies du moment. Tout ce qui touchait au bricolage, au bidouillage. J’ai fait le choix de partir dans une formation de la maintenance audiovisuelle : Réparer les TV, etc...

D’une formation initiale dans la maintenance audiovisuelle, comment es-tu devenu Educateur de Rue ?

Cela ne s’est pas fait tout de suite. J’ai achevé mon parcours scolaire après l’obtention d’un bac pro en électronique et les perspectives que m’offraient ce métier m’ont un peu effrayé parce que je ne me voyais pas passer mes journées enfermé dans un atelier, face à des machines. Passer mes journées à dépanner des télés. Je ressentais davantage le besoin de contact avec les gens et de créer du lien social. J’ai saisi l’opportunité de travailler dans une boutique de fringue où là ça me convenait car j’étais en contact direct avec les gens, ce qui me plaisait. d’être dans un lien avec le client, d’être dans une relation d’échange.

Mon parcours est assez atypique puisque pendant 10 ans, j’ai effectué différents petits boulots, vendeur, préparateur de commandes, cariste, les marchés. Mais pendant tout ce temps là, je me suis toujours questionné. puis j’ai intégré une formation d’éducateur spécialisé qui t’amène à intervenir sur différents domaines : aussi bien l’adolescence, l’enfance, le handicap physique ou mental, toute forme d’exclusion. Mon choix d’être éducateur de rue s’est fait vers la fin de ma formation.

Pourquoi éducateur ? Tout simplement parce que je suis convaincu que les choix de parcours de vie se réfléchissent à l’adolescence. Il est du devoir de la société, des adultes, d’être à l’écoute des aspirations, des avis des jeunes.

Avant d’avoir fait ce choix là, le rôle de l’éducateur de rue c’était avant tout de proposer aux jeunes une écoute dans le but de les aider à élaborer un projet de vie.

Pour nos lecteurs, peux-tu nous expliquer concrètement ce qu’est un éducateur de rue  ? Quelle est sa fonction ? Comment travaille-t-il ? Quels sont ses outils ?

C’est avant tout un adulte qui se propose d’être à l’écoute et de proposer une aide pour l’accompagner dans ses démarche en fonction de son projet. Aller à la rencontre des jeunes qui se retrouvent en situation ou en voie d’exclusion, en voie de marginalisation. Ils sont souvent descolarisés et sans emploi. Un des rôles essentiels de l’éducateur de rue, c’est un rôle de passeur entre l’usager et les différentes institutions, ce qu’on appelle les institutions de droit commun (Ecole, missions locales, mairies, CAF, ...). C’est avant-tout créer une relation de confiance quand ils ont perdu toute confiance vis-à-vis de la société et des adultes de manière générale. Pour la plupart, ils ont le sentiment d’avoir été rejeté par toutes les institutions dont l’école parce qu’on a estimé qu’ils n’ont pas eu la capacité de se plier aux règles de celles-ci comme l’assiduité ou d’avoir un comportement respectueux vis-à-vis d’elles.

J’ai choisi le travail d’éducateur de rue et de la prévention spécialisée car il y a des constats existants des politiques et des institutions pour répondre et aider les personnes en difficultés sociales et professionnelles. Il y avait une nécessité de travailler en commun, de travailler en réseau. C’est un des principaux outils qui m’a motivé dans ce travail. Pour remobiliser, remotiver les jeunes qui sont depuis des mois, voire pour certains en dehors des systèmes et qui ont perdu certaines habitudes comme celle de se lever, d’avoir une hygiène de vie, etc... Un des outils de prévention est de monter des projets, des chantiers éducatifs, soit sur place ou à l’extérieur de la région comme partir chez un exploitant agricole et fabriquer des clôtures. Redonner ou apporter des repères à ces jeunes, de les refamiliariser avec le monde du travail.

Combien d’années as-tu travailler en qualité d’éducateur de rue ?

J’ai fait 3 associations différentes, soit 3 ans au total. 

Quel bilan tires-tu de ces missions dans ces 3 associations ? Combien as-tu rencontré de jeunes ?

Il faut distinguer ceux que j’ai rencontré de ceux que j’ai accompagné. Sur 3 ans, j’ai du rencontrer plus de 200 jeunes en incluant les familles. Un des principes de la prévention spécialisée est que nous ne sommes pas sur un mandat nominatif mais territorial. En fonction de la commande, nous intervenons sur un territoire représentant un quartier de 10 000 habitants pour 2 éducateurs. Et au mieux, on était arrivé à 5 en comptant les stagiaires. J’ai travaillé dans le 92 et le 93.

Tout cela pour accompagner directement une vingtaine de jeunes. La particularité de notre travail est d’être avec l’humain. L’évaluation qualitative est difficile car nous nous devons de nous adapter au rythme de la personne. Certains rebondissent au bout d’un mois en se ré-intégrant même si je n’aime pas ce mot d’intégration. Toute personne étant sur un territoire est intégré. Dès que tu es en France, tu es intégré. Je parle plutôt d’investissement. L’intégration c’est un double processus, la société intègre et l’individu s’intègre. Comment s’investir dans un travail d’éboueur au lieu de comment intégrer les métiers de l’environnement ?

Il faut s’adapter en permanence au rythme de la personne, 6 mois, un an. Sachant que tu dois également procéder à une forme d’intégration dans un territoire donné avec ses propres codes, ses propres règles.

Avant d’entrer en formation, j’ai travaillé dans un foyer socio-éducatif où on accueillait suite à des placements judiciaires ou administratifs.

Nous ne sommes pas à l’origine de la réussite d’un jeune qui a réalisé son projet mais juste un soutien même si dans le discours récurrent que j’entends au quotidien c’est celui de l’éducateur qui donne l’illusion à la personne ou au jeune que grâce à lui il va l’amener à sortir de sa galère. Alors que pour moi, nous ne sommes que de simples médiateurs ou des déclencheurs.

Quels conseils donnerais-tu aux associations pour mieux réussir leur travail d’accompagnement afin de permettre aux jeunes de mieux s’investir dans la société ?

Dépasser la crainte de la logique du contrôle, c’est-à-dire que nous sommes dans une société où l’on doit rendre des comptes, chiffrer nos actions. La personne que l’on accompagne pendant des mois ou des années qui ne s’intègre pas, ce n’est pas de notre fait. A mon sens, il y a un discours qui me semble paradoxal chez les travailleurs sociaux où on s’attribue une certaine compétence comme celle d’être en capacité (ce qui n’est pas faux d’ailleurs) d’avoir une réelle expertise du terrain car nous sommes directement confrontés aux difficultés vécues par la population. Ce qui est partagé par l’analyse des institutions. Tout le monde s’accorde pour mettre en place des dispositifs et des actions contre l’échec scolaire avec la mise en avant de nos observations, analyses, de notre regard d’expert et de nos propositions avec des objectifs par la définition de moyen d’actions et paradoxalement, on ne doit pas parler d’évaluation de nos actions.

Est-ce que l’évaluation a un sens ?

A partir du moment où tu as une démarche d’expert, que tu constates les difficultés et que tu mets en avant, pour répondre à ces difficultés, des actions. Je constate que lorsque l’on vient de nous parler de l’évaluation c’est vécu comme un contrôle. Rendre compte de notre activité. Le fait que l’on s’appuie sur un support associatif soumis à des subventions pour faire perdurer ton activité, t’oblige à rendre compte aux décideurs et aux financeurs et à fournir des bilans d’activité mais l’évaluation n’a pas de sens puisque tout dépend de l’autre. C’est toujours du cas par cas, il n’y a pas de norme. Il faut faire confiance aux actions des travailleurs sociaux avec le fait que nous pouvons nous tromper.

Un autre principe sur laquelle s’appuie la prévention spécialisée qui en dehors de l’anonymat est la libre adhésion. C’est à dire que si je propose ou j’offre mes services à la personne qui souhaite amorcer un changement dans sa situation. Quand je lui fixe un rendez-vous, je ne vais pouvoir l’accompagner dans ses démarches uniquement quand lui-même aura décidé de s’engager dans ce processus avec en parallèle l’acceptation qu’il change d’avis. Quel est ma part de responsabilité à le solliciter ? Il est dans mon devoir de le rappeler et d’être soucieux de l’avancée de ses démarches.

Je ne peux pas faire les pas à la place de l’autre même si je les fait avec lui. Par exemple, un jeune vient qui cherche un travail qui est depuis quelque temps au chômage, il souhaite trouver sa place dans la société en postulant pour un poste. L’accompagner en faisant avec lui son CV, sa lettre motivation, le préparer à l’entretien. Il peut y avoir différentes postures comme celle de " Tu as ta convocation a un entretien, on se revoit après" ou pour certains intégrer le fait que la confrontation à l’échec peut les ramener a une désillusion avec l’expression " A quoi bon y aller pour échouer" comme par le passé. Il n’aura pas la force de passer la porte. Cette ambiguïté dans la posture du travailleur social : Dans quelle mesure je le laisse faire la démarche seule pour ensuite évaluer sa capacité d’autonomie ou est-ce que même sans connaître son niveau d’autonomie, je suis dans l’obligation de l’accompagner ne serait ce que simplement physiquement ? Etre un soutien.

Quand tu es 2 ou 5 pour 10 000 habitants, comment tu les accompagnes ? En cela, la question du chiffre est particulièrement difficile et non significative. C’est tout le paradoxe entre la libre adhésion, le rythme de la personne et notre part de responsabilité. 

Crok Intérim recommande


Moyenne des avis sur cet article :  3/5   (4 votes)




Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON







Palmarès