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Accueil du site > Tribune Libre > Est-ce à l’État de payer en cas de « faute personnelle » commise par (...)

Est-ce à l’État de payer en cas de « faute personnelle » commise par un fonctionnaire ?

Une brève de l’agence Diagora Press apprend que, le 2 juillet 2008, le Conseil d’État a examiné la requête de M. Gilles Ménage déposée après sa condamnation et celle de ses comparses par la Cour d’appel de Paris dans « l’affaire des écoutes téléphoniques de l’Élysée », le 13 mars 2007 et son pourvoi en cassation. L’enjeu financier est de taille : qui doit, en effet, payer, en cas de condamnation d’un fonctionnaire pour « faute personnelle », les dommages et frais de justice qui peuvent être considérables dans une affaire comme celle des « écoutes téléphoniques de l’Élysée » qui dure depuis 1993 ?

Qu’est-ce qu’est la protection statutaire du fonctionnaire ?

M. Ménage avait, après sa mise en examen dans cette affaire, demandé légitimement « la protection de la collectivité publique » qui lui avait été accordée le 1er septembre 1999.

Cette protection statutaire organisée par l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 est due à tout fonctionnaire attaqué à l’occasion de ses fonctions, qu’il soit victime ou agresseur soupçonné, dès lors que sa victime lui demande de répondre de ses actes devant un tribunal, comme c’est ici le cas.

L’expérience montre, cependant, que la loi fait l’objet d’une application discriminatoire : seuls les fonctionnaires d’autorité bénéficient immédiatement de cette protection statutaire en toutes circonstances quasiment, même quand ils sont des agresseurs supposés avant tout jugement. Le fonctionnaire d’exécution, lui, se voit le plus souvent refuser toute protection dans l’attente du jugement de la juridiction saisie. Un cas de figure choquant découle de cette discrimination : un hiérarque en position d’agresseur soupçonné se verra accorder aussitôt la protection statutaire quand sa victime, si elle est elle-même fonctionnaire d’exécution, s’en verra privée jusqu’à ce que le tribunal se soit prononcé !

Cette protection est à la fois financière et morale : les frais de justice (huissier, avocat, avoué) sont pris en charge par la collectivité publique ; et ce défraiement s’accompagne d’un soutien moral de l’institution non négligeable dans ce type de conflit. C’est donc au moment où il en a le plus besoin que le fonctionnaire d’exécution est privé d’une protection que, pourtant, selon l’article 11, la collectivité publique « est tenue » de lui apporter.

Il ne faut y voir nul privilège, mais une particularité du service public qui ne saurait être assujettie à des menaces ou des représailles sans que soit mis en péril l’accomplissement de sa mission.

« Faute de service » et « faute personnelle détachable du service »

M. Ménage, comme tout fonctionnaire d’autorité puisqu’il était, au moment des faits reprochés, directeur-adjoint puis directeur de cabinet de la présidence de la République, a donc obtenu la protection statutaire dès sa mise en examen, sans attendre l’issue de l’affaire.

Or, il se trouve qu’avec ses complices il a été condamné en première instance, le 9 novembre 2005 : la peine, à vrai dire, était plus symbolique que douloureuse, car le tribunal avait prétendu que le délit commis était « une faute de service  » et non « une faute personnelle détachable du service ». Quelle différence, demandera-t-on ? Elle est capitale pour la bourse du condamné ! Les dommages qui résultaient de « la faute de service » ne lui incombaient pas, mais à l’État. Les victimes étaient donc renvoyées à mieux se pourvoir devant le tribunal administratif pour se faire éventuellement indemniser et rembourser de leurs frais de justice. Vu le nombre de plaignants, c’est une somme rondelette que le tribunal en première instance lui avait évité de débourser.

Pas d’obéissance inconditionnelle à des ordres illégaux !

Seulement voilà, quelques plaignants n’ont pas voulu en rester là, comme l’actrice Carole Bouquet et le lieutenant-colonel Jean-Michel Beau. Ils ont fait appel. Bien leur en a pris, puisque le 13 mars 2007, la Cour d’appel a inversé la donne (1). Elle a considéré que « les écoutes téléphoniques », dont M. Ménage et ses complices s’étaient rendus coupables, n’étaient pas « une faute de service », mais « une faute personnelle détachable du service ».

Son analyse, d’une portée considérable pour l’avenir, mérite d’être rappelée : « L’autorité légitime, estime la Cour, arguée par les prévenus pour permettre la qualification des délits qu’ils ont commis en faute de service, ne peut être reconnue en faveur d’un officier supérieur de la Gendarmerie et de hauts fonctionnaires dès lors qu’aucune disposition légale ne leur imposait une obéissance inconditionnelle à des ordres manifestement illégaux (…) du président de la République. (…) Ces délits d’une extrême gravité jettent le discrédit sur l’ensemble de la fonction publique civile et militaire, affaiblissant l’autorité de l’Etat dans l’opinion publique, n’excluant nullement la satisfaction de leurs intérêts personnels, telle la garantie d’une évolution intéressante de leur carrière ou la conservation d’avantages à raison de leur proximité avec les plus hautes autorités de l’Etat, outre leur volonté d’éviter la divulgation d’agissements peu glorieux. » (2) (3)

En conséquence, dommages et frais de justice passaient de la charge de l’État à celle des condamnés. On comprend que M. Ménage, le préfet-colonel Prouteau, le général Charroy, le général Esquivié, le commissaire divisionnaire Gilleron ou l’ex-capitaine Barril, tous se soient pourvus devant la Cour de cassation dont on attend toujours l’arrêt depuis un an et demi. La requête de M. Ménage vise donc à s’assurer auprès du Conseil d’État que les condamnations prononcées par la Cour d’appel, sous réserve que la Cour de cassation les confirme, seront bien à la charge de l’État.

Or, le ministère de l’Intérieur, vers qui il s’était tourné après l’arrêt du 13 mars 2007, semble ne pas l’entendre de cette oreille, puisque sa demande de prise en charge de ces condamnations, formulée le 6 avril 2007, est restée sans réponse, ce qui équivaut après deux mois à un rejet implicite, et que le ministre a même décidé explicitement le 16 août 2007 de suspendre cette protection statutaire accordée en 1999.

La règle en vigueur jusqu’ici prévoit, sauf erreur, qu’en cas de condamnation, l’administration peut se retourner contre le fonctionnaire dont l’État a pris en charge la défense au titre de la protection statutaire et lui demander par « une action récursoire » le remboursement des frais engagés. L’arrêt attendu du Conseil d’État ne manque donc pas d’intérêt pour l’application à venir de la protection statutaire : un fonctionnaire reconnu coupable d’« une faute personnelle détachable du service » va-t-il se voir dispensé de payer sur ses deniers les dommages et frais de justice auxquels il a été condamné ? À suivre…

Paul Villach

(1) Paul Villach, « Les écoutes de l’Élysée » : la Cour d’appel de Paris à l’écoute... d’une nouvelle civilisation », Agoravox, 19 mars 2007.

(2) Jean-Michel Beau, L’Affaire des Irlandais de Vincennes, l’honneur d’un gendarme – 1982-2008, Éditions Fayard, mars 2008.

(3) Paul Villach, « Une dignité cher payée : L’Affaire des Irlandais de Vincennes - 1982-2007 - ou l’honneur d’un gendarme  », Agoravox, 18 mars 2008.


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15 réactions à cet article    


  • Forest Ent Forest Ent 7 juillet 2008 10:48

    Article clair et intéressant.


    • Chtiboom 8 juillet 2008 13:24

      Intéressant, certes, mais clair, pas du tout.

      Il faudrait qu’il nous explique devant quelle juridiction - et surtout quel ordre est chargé de juger M. Ménage.

      S’agit-il de l’ordre judiciaire, ou de l’ordre administratif ?

      Dans le premier cas, le processus est le suivant : Tribunal de Grande Instance, Cour d’Appel, Cour de Cassation

      Dans le second cas : Tribunal Administratif, Cour d’Appel Administrative, Conseil d’Etat.
      Toujours dans le second cas, le Conseil d’Etat est le juge de cassation (avec un petit "c").

      Quid donc de "On comprend que M. Ménage, le préfet-colonel Prouteau, le général Charroy, le général Esquivié, le commissaire divisionnaire Gilleron ou l’ex-capitaine Barril, tous se soient pourvus devant la Cour de cassation dont on attend toujours l’arrêt depuis un an et demi."

      Vu le sujet - conflit entre des particuliers et des agents publics - j’imagine qu’il s’agit là d’une affaire qui est portée devant les juridictions administratives.

      Si tel est bien le cas, nous serions reconnaissants vis-à-vis de M. Villach de corriger ses imprécisions.


    • Paul Villach Paul Villach 8 juillet 2008 15:53

      @ Chtiboom

      Je crois que vous n’avez pas suivi le film ! Pourtant le récit est assez clair.
      1- M. Ménage et ses comparses ont été condamnés par le tribunal correctionnel (novembre 2005) et la cour d’appel de Paris (13 mars 2007) pour leur participation aux écoutes téléphoniques de l’Élysée.
      Nous somme donc au pénal. Et ils se sont pourvus en cassation.

      2- M. Ménage a sollicité, comme fonctionnaire, la protection de la collectivité publique puisqu’il était attaqué à l’occasion de ses fonctions, en étant poursuivi devant un tribunal. Il l’a obtenue en 1999. Mais depuis sa condamnation par la cour d’appel, cette protection est suspendue par le ministre de l’Intérieur. C’est cette décision qu’il attaque devant le Conseil d’État et qui a été examiné par la Haute Cour le 2 juillet 2008, selon l’agence que j’ai citée. Paul Villach


    • cti41 cti41 7 juillet 2008 11:29

      Merci à l’auteur d’avoir soulevé ce lièvre !
      Le comportement de M. MENAGE est très compréhensible. Il ne souhaite pas avoir à régler les frais d’avocats déboursés par l’Etat pour sa défense au cas ou la Cour de cassation confirmerait le jugement de la Cour d’appel (faute personnelle détachable du service). 
      Il est évident que MM MENAGE, PROUTEAU, CHARROY, ESQUIVIE, GILLERON et BARRIL n’ont pas envie de rembourser l’Etat d’autant plus qu’ils ont souvent utilisé des "tenors" du Barreau pour assurer leur défense puisque les frais n’étaient pas à leur charge.


      • Francis Francis 7 juillet 2008 12:01

        Et oui, toujours la même clique "responsables mais pas coupables" ...


        • Lisa SION 2 Lisa SION 7 juillet 2008 12:24

          "...C’est donc au moment où il en a le plus besoin que le fonctionnaire d’exécution est privé d’une protection que, pourtant, selon l’article 11, la collectivité publique « est tenue » de lui apporter. .." Extraordinaire !

          Si l’administration obligeait chaque fonctionnaire à ne répondre qu’à des actes et demandes écrites, on ne se poserait pas toutes ces questions. Ce sont ces preuves écrites qui permettent à l’entreprise privée de se défendre dans chacune de ses actions. C’est d’ailleurs ce qui fait trouble dans tous les marchés noirs jusqu’aux plus puissants, les mafias, qui ne laissent aucunes traces de leurs transactions, et sont frappées du sceau de l’Omerta. La prochaine grande difficulté reviendra au numérique qui déshumanise et dépersonnalise les textes écrits...



          • mylena mylena 7 juillet 2008 13:11

            ce serait tout de même un comble que les contribuables payent à la place de ces hauts dignitaires socialistes, ex-petits marquis de la cour mitterrandienne, qui se sont délibérement mis hors-la-loi sans aucun scrupule, sans morale et aujourd’hui sans remords. Quelle honte de les voir maintenant se trainer à nos frais devant les tribunaux pour faire valoir ce qu’ils osent appeler leurs droits : ils étaient moins sourcilleux avec les droits de leurs victimes. Avec le droit tout court : et pourtant ce petit monde sortait des meilleures institutions, conseil d’état, inspection des finances, saint-cyr. Ils devaient servir l’Etat, ils se sont servis de l’Etat. Le cynisme des mitterrandiens n’a rien perdu de son écoeurante vitalité. C’était ça la génération Mitterrand : délit d’initiés chez Bérégovoy, écoutes à l’Elysée, délires de Georgina Dufoix, scandale du Crédit Lyonnais, rachat de Vibrachoc à Pelat. Evidemment, ça fait regretter Mendès-France ou Rocard.


            • Merci à Paul VILLACH , à CTI 41 et à MYLENA
              d’avoir une fois de plus rappelé l’inégalité de traitement entre "ces gens là" et leurs victimes qui paient de leur poche ......et depuis plus de 26 ans leurs propres frais d’avocat.
              Reste à espérer que les sages de la Cour de Cassation confirmeront la notion de faute personnelle dans< l’affaire des écoutes téléphoniques de l’Elysée" et qu’alors l’Etat se retournera contre les auteurs pour leur demander les dizaines de milliers d’Euros exposés à leur place et pour leur défense.Le moment venu il faudra aussi veiller à ce que le "copinage" et les protections ne permettent pas une remises discrète des débêts au bénéfice des condamnés....OUI ! OUI !! C’est possible !! 
              Donc régime vigilance ...et jusqu’au bout !


              • SALOMON2345 7 juillet 2008 17:12

                Papon aussi n’était qu’un "simple exécutant" il n’empêche, confondre légal et légitime conduit à ce genre de "crime républicain" : c’est pas ma faute, c’est le chef qui m’a dit.... !
                L’objection de conscience existe pour le militaire, la clause de conscience également chez le journaliste mais le fonctionnaire - selon ceux en cause - se jetterait-il dans la Seine au premier ordre ? Certainement que non, ce qui prouve "l’élasticité" de leur crédo, je ne parle pas de leur conscience il me semble à l’évidence en manquer, mais par contre le culot est bien là !
                Je méprise ces pensées tordues, ces sophismes toujours d’actualité - Sarko est champion au bonneteau - qui embrouille les plus naïfs sans cesser et sans vergogne d’entuber les républicains qui chaque jour, tentent au mieux de traverser dans les clous !
                "Qu’il est difficile d-être socialiste...surtout lorsque l’on est de gauche ! " (Guy Bedos)


                • impots-utiles.com 7 juillet 2008 19:12

                  Ceci dit les élus sont de grands spécialistes pour utiliser l’argent des contribuables afin d’ameliorer( ou conforter) leur niveau de vie tout en continuant de faire la leçon aux français sur les caisses vides...

                  exemple :
                  Dans sa lutte contre les régimes spéciaux de retraite, la majorité parlementaire a oublié d’en épingler un : le sien !
                  Un seul mandat de député de cinq ans ouvre en effet droit à une pension de 1550 euros par mois, l’équivalent de ce que perçoit en moyenne un salarié du privé au terme d’une carrière complète.

                  http://www.impots-utiles.com/l-assemblee-nationale-defend-son-regime-de-retraites-tres-special.php


                  • goc goc 8 juillet 2008 10:49

                    dans toute cette histoire de fautes de fonctionnaires et de responsabilité, il ne faut pas oublié la methode la plus utilisée par la fonction publique qaund elle fait une erreur, c’est celle ou c’est le citoyen qui paye pour les erreurs du fonctionnaire.

                    on peut par exemple rappeler la derniere "bavure", celle du remboursement des primes de mobilité alors que l’etat avait accepté et payé ces dites primes

                    En temps normal, on aurait pu pensé que l’etat s’etatn trompé, aurait mis un point d’honneur a "ecraser" l’affaire, or que neni, aujoud’hui l’etat exige le remboursement des sommes versées, alors que c’est lui qui s’etait trompé


                    • Guizmo Guizmo 8 juillet 2008 12:52

                      Woohoooooo !! J’ai eu mon Bac, mention Très Bien !! Trop heureux^^.


                      • lamorille 12 juillet 2008 01:40

                        t’as eu ton bac ? pour aller où ?


                      • chmoll chmoll 13 juillet 2008 19:54
                        Est-ce à l’État de payer en cas de "faute personnelle" commise par un fonctionnaire ?
                        l’histouère du credit lyonnais et nanard tapie,qui c qui paye actuell’ment ?

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