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Guerre du Congo : il faut s’inquiéter

Il y a des signes qui ne trompent pas. On est maintenant à peu près certain que les armes vont à nouveau parler dans l’Est de la République Démocratique du Congo. Trois signes annonciateurs, au moins, deviennent particulièrement inquiétants : l’enlisement des pourparlers de Kampala, le renforcement militaire du M23 et le silence des grandes puissances. Des mesures qui s’imposaient devraient pourtant être adoptées, mais, comme d’habitude, on laisse pourrir la situation jusqu’à ce que des tragédies individuelles et collectives, pourtant annoncées, se reproduisent.

L’enlisement des pourparlers de Kampala

Les pourparlers entre le gouvernement de Kinshasa et le M23 sont dans l’impasse, et il ne pouvait en être autrement. Fort de ses succès militaires, et ayant réussi à entraîner le Congo sur son terrain (Kampala), le M23 a revu ses exigences à la hausse. Plus question d’exiger seulement l’application des accords du 23 mars 2009 à l’origine du conflit. Les rebelles, soutenus par le Rwanda et l’Ouganda, exigent maintenant rien de moins que le départ du Président Joseph Kabila. Une exigence qui n’a aucune chance d’aboutir, mais personne n’est dupe. Lorsqu’on veut saboter un processus politique, on exige l’irréalisable.

L’étendue de l’impasse se situe également au niveau des participants. Seuls le gouvernement congolais et le M23 négocient alors que la crise politique en cours au Congo nécessite d’étendre le cadre du dialogue à l’ensemble des acteurs politiques du pays (opposition non armée, société civile, certains autres groupes armés). Un accord qui serait trouvé entre le gouvernement et un seul groupe armé serait naturellement boudé, voir carrément rejeté par le reste des forces politiques du pays.

Le Président Kabila avait un temps envisagé d’organiser une concertation associant toutes les forces du pays, peu importe l’issue des pourparlers de Kampala. Une idée restée sans lendemain. Tout ceci n’est guère rassurant.

En gros, sur le plan politique, il ne se passe rien ou presque. Dès le début des négociations, le M23 avait clairement démontré qu’il n’en attendait rien en brandissant des revendications toujours plus grotesques les unes que les autres (vérité des urnes, démocratie, droits de l’Homme, gouvernance,…). Le gouvernement, de son côté, n’est pas disposé à se mettre l’opinion à dos en accordant des concessions trop importantes à un mouvement que les Congolais exècrent pour ses liens avec les agresseurs du Congo. Ainsi, parallèlement aux négociations, le M23 a-t-il entrepris de se renforcer militairement, selon la stratégie, bien connue à Kampala et Kigali, du « talk and fight » (négocier en poursuivant la lutte armée).

Le renforcement du M23

La société civile du Nord-Kivu a été la première à tirer la sonnette d’alarme. Le M23 est en train d’étendre son emprise militaire, de s’équiper et de recruter des combattants. Un activisme qui contraste avec le comportement qu’on attendrait des personnes engagées avec sincérité dans un processus de paix. Il y a d’ailleurs lieu de se demander pourquoi personne n’exige le désarmement d’une organisation responsable de crimes aussi atroces et mondialement considéré comme une organisation criminelle au même titre que les FDLR (voir différents rapports de l’ONU et les sanctions adoptées par l’ONU et le gouvernement américain).

Pendant ce temps, certains silences commencent à devenir plutôt pesants. Les deux Présidents (Museveni et Kagamé) mis en cause par l’ONU pour leur soutien au M23 se montrent plutôt discret, ce qui n’est guère rassurant. Que sont-ils encore en train de « mijoter » ? Les grandes puissances qui s’étaient agitées lors de la prise de Goma se sont, depuis, tues alors que le processus politique s’enlise et que, sur le terrain, on fourbit, à nouveau, les armes.

Le silence des grandes puissances

Le Président américain Barack Obama n’est pas l’homme le plus actif sur le dossier congolais alors qu’il aurait dû l’être. Il avait fait voter une loi prévoyant le retrait de l’aide des Etats-Unis aux pays qui entreprendraient de déstabiliser le Congo. Depuis son élection, c’est à peine qu’il manifeste le moindre intérêt pour ce pays, où pourtant se déroule la pire campagne d’extermination des populations depuis la Seconde Guerre mondiale. Un silence lourd de conséquence puisqu’en langage diplomatique, le silence des grandes puissances face à une agression imminente signifie son approbation. Ainsi le Rwanda et l’Ouganda, pays pauvres dépendant financièrement et militairement de l’aide des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne n’ont pas pu agresser le Congo sans l’aval de certains haut-placés de l’administration Obama et des décideurs politiques de Londres.

Il a fallu que des ONG et des politiques montent au créneau et s’adressent directement au Président Obama pour qu’il envisage d’appeler, assez timidement, le dictateur rwandais Paul Kagamé pour l’« exhorter » à cesser de soutenir le M23. Exhorter Paul Kagamé… Sachant que le soutien de Kigali se poursuivrait, évidemment, comme on s’en rend compte au vu du renforcement en cours du M23. Pendant ce temps, l’ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU, Susan Rice, s’emploie à entraver l’adoption et la publication des rapports et des résolutions condamnant le Rwanda dont elle est très proche du régime actuel.

Que faut-il faire ?

Dans un premier temps, il faut alerter tous ceux qui se sont fendus de déclarations d’empathie avec le peuple congolais lors de la prise de Goma. Leur rappeler que de nouveaux massacres vont bientôt se produire avec la reprise des combats. Mais à moyen et à long terme, il faudra que les grandes puissances (Etats-Unis, Grande Bretagne, France, Chine, UE,…) acceptent l’évidence selon laquelle, finalement, « elles ont plus à gagner avec un Congo pacifié qu’avec un Congo perpétuellement dévasté par les guerres à répétition ». Elles adopteraient dès lors des mesures de fermeté contre le Rwanda et l’Ouganda, les deux pays dont les armées dévastent le Congo depuis maintenant trop longtemps (17 ans). Quelques pistes de solutions pourront alors être explorées aussi bien sur le plan diplomatique que militaire et judiciaire.

Sur le plan diplomatique, les 15 ONG américaines et européennes avaient demandé au Président Obama de faire adopter des sanctions exemplaires contre le Rwanda et de nommer un envoyé spécial de la Maison Blanche pour la région des Grands Lacs. Celui-ci formulerait des recommandations et produirait des rapports à intervalles réguliers pour que ce conflit ne soit pas oublié. Une autre proposition consistait à la nomination d’un médiateur disposant d’assez d’autorité sur les Présidents Paul Kagamé (Rwanda), Yoweri Museveni (Ouganda) et Joseph Kabila (RD Congo) pour les « pousser » dans un véritable processus de paix. Ce médiateur devrait, par ailleurs, être capable de mobiliser les moyens, s’il le faut, pour imposer la paix. Un profil sans rapport avec celui de Crispus Kiyonga, l’actuel médiateur de Kampala qui se trouve être un maillot faible du régime de Museveni.

Sur le plan militaire, il faut désarmer tous les groupes armés en commençant par la plus dangereuse, le M23. Une opération qui exige d’engager une armée réellement dissuasive dans l’Est du Congo sur l’exemple de l’opération Artémis en Ituri (2003), de l’opération Licorne (2011) en Côte d’Ivoire ou de l’opération Serval en cours au Mali. Les casques bleus déployés au Congo ont montré leurs limites et la proposition consistant à déployer des troupes des pays africains est tout simplement affligeante. On parle de l’armée tanzanienne, une armée proche du Président ougandais, l’actuel parrain du M23. Yoweri Museveni a en effet pris le pouvoir en Ouganda en 1986 avec l’aide de l’armée tanzanienne. L’arrivée des Tanzaniens au Congo ne ferait qu’ajouter de la confusion dans un pays qui en a déjà assez.

Sur le plan judiciaire, il faut mettre fin à la culture de l’impunité. Un tribunal spécial doit être créé pour juger les responsables des crimes du Congo. Il n’est pas imaginable que la mort de six millions de personnes ne donne lieu à aucune action judiciaire spécifique. Une autre piste serait d’étendre les compétences du Tribunal d’Arusha, puisque la guerre du Congo s’inscrit dans le prolongement de la guerre du Rwanda.

En attendant, il faudrait, au moins, procéder à l’arrestation des criminels notoires dont les noms et les exactions sont clairement décrits sur la liste de la Cour Pénale Internationale, dans divers rapports d’ONG et des experts de l’ONU (ex. rapport S/2012/843 de novembre 2012, pages 40 à 43 et 164 à 177). Ces individus, dont un certain Bosco Ntaganda, sont toujours aux commandes des troupes du M23 n’attendant que l’ordre de Kigali et Kampala pour relancer le cycle de la violence dans l’Est du Congo. Ils devraient pourtant être en train de pointer devant un juge pour répondre de leurs crimes.

Malheureusement, on est loin de toutes ces options (judiciaires, diplomatiques, militaires). A la place, on observe un processus politique qui s’enlise ouvrant la voie à l’option militaire, pour une énième fois, dans la même région, contre les mêmes populations déjà assez martyrisées.

De quoi désespérer…

Boniface MUSAVULI

PDF - 4.7 Mo
Rapport S-2012-843 de novembre 2012

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1 réactions à cet article    


  • Bertrand Loubard 24 janvier 2013 17:53

    Après l’annexion, par le Maroc, de l’ex-Sahara espagnol, la poursuite, par Israël, de la colonisation de la Cisjordanie et l’« alterdépendance » du Soudan, l’« anschluss », par l’Ouganda et le Rwanda, de l’Ituri et des Kivu ne rompra pas le silence complice des parrains de la Cosa Nostra, réunis au WEF de Davos, c’et à dire de la Communauté Internationale amie des peuples Rwandais, Ougandais et Congolais. L’intersection de la courbe de la demande en aides humanitaires et de la courbe de l’offre en interventions militaires a fixé le juste prix à pratiquer sur le marché des fabricants de vaccins et des marchands de cimetières. Le concept de« Lebesraum » de l’impérialisme nazi est « worthy ». "Expansion is the path to security« (Bush) - »The emerging international norm recognizes the responsability to protect civilians facing death on a mass scale« (S. Rice) – »Museveni and Kagame know how to deal with genocide, the only thing we have to do is look the other way" (S. Rice).

    Vae Victis !

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