Hésiode, Sarkozy et l’identité nationale
Récemment, le Président français affirmait devant des Agriculteurs français que la terre fait partie de l’identité nationale et qu’il a été élu pour défendre l’identité nationale française. Cette déclaration, qui fait suite au lancement d’un débat national sur l’identité française, appelle plusieurs remarques.
L’humus, la gadoue, la terre, le terroir, le fumier, le compost : c’est notre origine commune, c’est l’origine de l’humanité entière. Dire que la France est « terrienne » ou « rurale » dans son identité est une platitude. Le Chinois, l’Indien et l’Africain sont descendants de paysans. Tous les hommes le sont. Alors, Président, pourquoi ne pas définir l’identité nationale par "les Français sont mortels" ?
- Défendre l’identité nationale française comme le veut Sarkozy s’apparente à vouloir arrêter les nuages.
L’identité nationale française, comme nous le rappellent les Historiens, n’est pas et n’a jamais été figée, ou immobile. En perpétuel renouvellement, elle est un kaléidoscope d’identités individuelles, reliées par une histoire commune. Et même cette histoire commune, une fois entrée dans les livres (d’histoire) elle n’a que faire de défenseurs : Elle réclame plutôt d’être revisitée, d’être confrontée et critiquée par les historiens, et surtout devrait-on ajouter, par des historiens étrangers car ils ont souvent un regard plus juste (rappelons-nous Tocqueville sur l’Amérique).
3. La seule identité nationale qu’un gouvernement pourrait réussir à défendre serait une identité nationale officielle.
Une identité nationale officielle, bien figée dans un petit livre (rouge ou bleu) à diffuser dans tous les collèges. Est-ce cela, le but de Sarkozy et de son fidèle ministre de l’Immigration ? Pourtant, le respect de la loi et le respect de l’identité sont deux choses distinctes. Figer l’identité nationale dans une identité officielle, c’est ce qu’a décidé de faire Poutine, en commandant la diffusion d’un nouveau manuel d’histoire dans les écoles, avec pour principe « L’histoire est faite pour éduquer des citoyens patriotes » (1).
A la réflexion, le débat sur l’identité nationale et l’immigration aura une utilité s’il sort du débat franco-français...intelligemment mené, il pourrait être l’occasion d’envoyer au tapis quelques-uns des préjugés racistes qui composent notre identité. Messieurs les journalistes, sautez sur l’occasion et conviez les historiens les plus « méritants » au débat national !
Pour revenir à la Terre, il est bon de se souvenir des débuts du « travail de la terre », c’est à dire de la naissance de l’agriculture : Les premiers cultivateurs proches de l’Europe, les inventeurs de l’irrigation, où étaient-ils au juste ? Pas en France, mais dans le Kurdistan turc, en Mésopotamie et sur les bords du Nil (un peu aussi entre les deux, Liban et Palestine). Et comment les techniques agricoles et l’écriture sont-elles arrivées en Europe occidentale ? Par des immigrés, pardi, par des colons phéniciens et grecs qui traversèrent la Méditerranée sur des bateaux précaires.
Hésiode, le premier d’entre nous à avoir écrit un manuel pratique d’agriculture, est originaire de Turquie. Amis de la ruralité française, relisez Hésiode et aimez les Turcs !
Une opinion personnelle pour conclure : l’identité de la France d’aujourd’hui, c’est une affaire passionnelle : elle est fille du mariage détonnant entre la Tradition des Lumières (2) et le multiculturalisme. C’est un mariage à la fois conflictuel et fertile, qui se refait tous les jours. C’est un héritage et un accouchement, qui font notre grandeur.
(1) source : Pierre Nora dans Esprit Critique, France Inter 29/10/2009
(2) La Tradition des Lumières inclut pour moi Rousseau, Condorcet, Voltaire, Diderot et les Encyclopédistes, et la révolution jusqu’en 1989...ainsi que la composante scientifique de l’expédition d’Egypte.
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