Hexagone
Un récent sondage présentait les Français comme champions du monde du pessimisme. D’aucuns prétendent qu’il ne s’agit que d’une humeur passagère, conséquence d’une crise financière et économique qu’ils auraient plus de mal que d’autres à surmonter psychologiquement. Cependant, malgré des temps difficiles, la France est loin d’être démunie et de faire pitié. Il y a beaucoup plus de raisons de penser que si les Français sont pessimistes, c’est parce qu’ils n’ont pas confiance en eux, que s’ils n’ont pas confiance en eux, c’est parce qu’ils ne s’aiment pas, et que s’ils ne s’aiment pas, c’est parce qu’on leur a appris à s’oublier et à se mortifier, à se refuser à soi-même la moindre spécificité et toute espèce d’exclusivité.
Si nous pouvions coucher la France sur notre divan, elle nous dirait qu’elle a honte d’elle-même. Elle nous avouerait qu’elle s’en veut d’avoir permis le massacre de nombre de ses Juifs, qu’elle est mal à l’aise vis-à-vis de pays tropicaux spoliés sans trop de vergogne par ses soins durant plus d’un siècle, que son passé religieux l’incommode au regard des canons actuels, qu’elle doit tant et tant à l’Islam sans jamais lui avoir rien offert en échange, que ses ports sentent encore la peur de milliers d’esclaves noirs, exploités et commercés. Il ne lui viendrait même plus à l’esprit que l’Histoire n’est pas une simple succession de clichés, exhumés au gré des nécessités idéologiques du moment. Or, en filant l’anamnèse, la France prendrait conscience qu’elle est l’un des pays les plus colonisés de toute l’Histoire de l’humanité, qu’à ses balbutiements, des peuples entiers ont été décimés par les légions romaines, qu’il s’agissait d’hommes et que leur mort ne compte pas moins qu’une autre en dépit des richesses apportées par l’occupant, que le fait religieux est universel et qu’elle a su – certes dans la douleur – lui assigner une place respectable, que l’esclave et l’esclavagiste n’ont pas de couleur propre, et qu’aucun pays musulman n’a jamais fait autant que la France contemporaine, à grands coups de subventions, pour l’amitié entre les cultures et leur rapprochement. Est-ce une raison suffisante pour faire peu de cas des moments moins glorieux ? Non, bien sûr.
L’un des caractères dominants de l’Occident est la curiosité qu’il a toujours su manifester à l’égard du reste du monde. Cette curiosité le poussa vers l’inconnu, elle fut l’un des moteurs de son extraordinaire développement. Mais elle finit aussi par nourrir en lui une certaine assurance qui, arc-boutée à une indéniable supériorité technologique, finit par devenir de l’orgueil ; l’Occident en vint à se convaincre qu’il était investi d’une mission, à savoir l’émancipation des pays du reste du monde qui ne lui ont jamais rien demandé. En retour, ces pays – en tête desquels ceux dont l’indépendance a été obtenue de haute lutte – ont développé un complexe d’infériorité doublé d’un ressentiment à l’égard des pays occidentaux. Et parce qu’ils n’ont constamment que les droits de l’homme à la bouche, faisant état d’une morgue dont ils ne se rendent même pas compte, les dirigeants français de ces quarante dernières années ont beaucoup œuvré pour faire de la France le parangon d’un Occident à la fois méprisant donc méprisable, décadent et malgré tout donneur de leçons. Là encore, une fracture se fait sentir entre d’un côté une « France profonde » attachée à ses racines, ses valeurs, ses principes et de l’autre les gens qui comptent, qui investissent constamment des médias complaisants pour venir nous chanter « France, terre d’accueil ! » grâce, bien sûr, à l’argent des péquenots.
Récemment, l’un de nos éminents représentants du septième art s’est ému que le pays de la tolérance et de la religion du métissage puisse encore accepter qu’à une époque d’intelligence profonde comme la nôtre un « sang impur » s’illustre dans son hymne. La Marseillaise est bien plus critiquée qu’elle n’est étudiée, semble-t-il, et il faut bien dire qu’entre deux tournages et trois galas, la critique est plus aisée que l’étude. Le « sang impur », faut-il le rappeler, n’avait pas vocation à distinguer le Français de l’étranger, mais la noblesse en exil de la roture en armes, celle-ci souhaitant mettre fin aux entreprises dynastiques. Or, ironie du sort, s’il est un domaine ultime où le talent se transmet curieusement par le sang, c’est bien le show-biz. Il ne faut donc jamais perdre une occasion de se taire, surtout lorsque l’on est en vue. Quant aux hymnes à conspuer, la Dessalinienne, l’hymne haïtien actuel, institué en l’honneur d’un fou mégalomane, raciste et sanguinaire pourrait prétendre très largement à la première marche du podium s’il ne fallait y voir l’émouvant et ultime instrument de cohésion nationale d’un peuple dans la misère et la détresse. Voyez donc, Monsieur Wilson, deuxième du nom, comme le dégoût des emblèmes nationaux est un sport de riches ! Vues d’un jet privé, les frontières, tant géographiques que culturelles, sont mesquines. Quand on possède peu, néanmoins, on est fier de pouvoir compter sur elles. De même que ce n’est pas parce que l’on fête Noël chaque année que l’on croit au Père Noël, ce n’est pas parce que l’on demeure convaincu de l’importance de symboles communs que l’on s’interdit tout recul critique, toute contextualisation à leur endroit.
Car le problème est bien là : l’anéantissement du commun. Sans rien de tangible à partager, tout peuple est en déshérence et prime le chacun pour soi. Or, les deux grands protagonistes de la modernité – le socialiste et le libéral, tous deux au sens large – ont beaucoup fait, par leurs semblants de bisbilles, pour invalider toute idée du commun. Ne reconnaissant que l’individu en quête constante de ses intérêts privés, le libéral ne veut pas en entendre parler ; quant au socialiste, voué au même culte de l’individu, il se montre plus scrupuleux, plus tiède dans sa modernité, et invoque chichement le commun comme un pis-aller fiscal, outil du nivellement socio-économique au service exclusif des déshérités, d’où qu’ils viennent. Le libéral congédie le commun, le socialiste le stérilise, et personne ne semble pouvoir leur disputer l’estrade. Comment, dans ces conditions, le bien commun peut-il encore se voir représenter lors des différents scrutins ? Ce déficit représentatif, est non seulement problématique au niveau national, mais il est carrément illusoire au niveau transnational, tant la « France profonde », « moisie » entend-on dans les dîners en ville, a peine à se reconnaître dans des gens qui ne parlent pas leur langue, ne partagent pas leur culture pot-au-feu et escomptent leur imposer, pêle-mêle, les heures de pêche et la promiscuité. Ainsi le Front national n’a-t-il eu qu’à se baisser pour ramasser le commun que le libéral et le socialiste avaient laissé choir et piétinaient depuis des années. Quitte à le cuisiner à sa sauce.
Mais ce commun claironné, quel est-il au juste ? Un ensemble de valeurs partagées, de souvenirs entretenus, de sacrifices consentis au bénéfice des générations successives, de qualités et de défauts typiques qui font tout le charme d’une communauté particulière ne demandant pas mieux que de vivre en bonne intelligence avec ses voisines. Ce commun, la France fut l’une des premières à l’enceindre d’institutions pour lui donner le nom de « nation ». Le Danemark, lui, fut a priori le premier à donner au sien des couleurs éternelles (Dannebrog). Nous, nous avons fait du bleu, du blanc et du rouge les ornements d’une chapelle laïque suffisamment spacieuse pour y accueillir toujours plus de monde, suffisamment substantielle, en tous sens du terme, pour limiter souverainement et rationnellement les nouveaux arrivants. Remède à l’égoïsme universel d’une société marchande, la nation ne peut se permettre, pour autant, de se laisser happer par l’œcuménisme béat que revendiquent les artisto-crates de leurs balcons dorés. Ainsi ses administrés les plus humbles sont-ils amenés à s’inquiéter tout autant de l’exil d’un Depardieu, premier du nom, que de la venue d’une Leonarda, tous les deux intéressés. Quand on est privilégié, on ne s’arroge pas en sus le monopole du cœur avec l’argent des autres. Le chantage à la fumeuse et non moins fameuse « justice sociale » a tout de la charité déplacée.
La nation, voudrais-je encore dire, c’est plus simplement le peuple d’hier, le peuple d’aujourd’hui et le peuple de demain réunis en un tout cohérent et accessible, accessible parce qu’intime. Le patriote est celui qui jamais n’oublie qu’il n’est rien sans matrice et qui, parce qu’il souhaite y voir prospérer sa descendance, sait qu’il peut être amené, dans des situations dramatiques, à lui sacrifier certaines choses. Il respecte néanmoins ses homologues de par le monde et se reconnaît dans leur attachement à leurs patries respectives, au point d’être prêt, sans rechigner, et le besoin s’en faisant sentir, à s’unir aux patriotes du monde entier pour préserver la diversité des cultures. Il est peut-être temps que le patriote français joue des coudes et dise leur fait aux marchands de tapis comme aux ravis de la crèche. Aucun parti, aucun programme préalable n’est nécessaire à cet effet, seul importe le bon sens. En définitive, tout patriote pourrait se reconnaître dans l’adage suivant :
« Je suis et demeure partie intégrante et singulière d’une nation qui m’a précédé et me survivra. Nous nous devons mutuellement assistance, moi dans son intégrité, elle dans ma singularité. »
Éric Guéguen
(ouvrage en préparation).
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