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Hubert Rodarie réforme la finance dans « Dettes et monnaie de singe »

Hubert Rodarie vient de publier aux éditions Salvator « Dettes et Monnaie de singe – Un système économique à renouveler  », un livre éclairant et très argumenté d’un professionnel averti sur le dérapage de l’économie et de la finance et sur l’origine des déséquilibres économiques.

Rodarie_Dettes et monnaie de singe.jpg Dans cet ouvrage, Robert Rodarie aborde le commerce international, le système monétaire international, l’accumulation sans fin des dettes, et dénonce les idées fausses dans la vie économique et leurs conséquences pratiques. Une analyse perspicace, originale et en profondeur, certes assez technique notamment sur les normes comptables et prudentielles (un bagage économique et financier bac+2 est recommandé) mais en même temps très pédagogique et empreinte d’un grand humanisme ainsi que d’une vision philosophique et anthropologique sur les notions du risque et du temps, que les hommes ont neutralisés dans leur approche financière des choses.

Hubert Rodarie introduit son ouvrage en faisant référence à Macbeth de Shakespeare, qui rencontre trois sorcières lui prédisant qu’il deviendra roi. Dès lors, il n’aura de cesse d’assassiner tous ceux qui se trouveront sur le chemin du trône. Les marchés ont fait en quelque sorte une promesse du même ordre au monde : « tu seras riche. Pour réaliser cette prophétie, le monde a été poussé à mettre en œuvre trois tentations :

-  le déséquilibre permanent, à la base du développement économique,

-  la dette, censée produire de la richesse,

-  le risque, calculable, donc maîtrisable.

Ce faisant, le monde s’est extrait de la réalité, cherchant à atteindre dans l’instant ce qu’il pense être son but ultime. Hubert Rodarie nous propose un changement de regard pour réintroduire dans la vie économique une conception du temps et du futur plus réaliste.

Depuis la crise financière de 2008, l’analyse des dysfonctionnements a remis en doute la pertinence et la qualité des normes financières comptables et prudentielles dites "modernes" mises en place depuis le milieu des années 1990. Le diagnostic a mis en évidence comment des a priori théoriques ont conduit à utiliser des modèles défectueux qui ont rendu les normes inefficaces, voire dangereuses. Il est apparu qu’une des causes principales de la crise est la croyance dans la validité d'une représentation fausse de l'incertitude, le mouvement brownien (norme de rationalité théorique), dont le corollaire est une compréhension fausse des comportements humains face à l'incertitude (norme de rationalité pratique).

Comme Hubert Rodarie l’exprimait avec Christian Walter dans un article de la Tribune en 2009 :

« Cette croyance implante dans le système financier une vision réductrice des hommes réels, remplacés par des automates rationnels au sens de la théorie économique classique, et conduit à la négation de deux réalités : le risque que l'on croit pouvoir maîtriser voire annuler (normes prudentielles), et le temps, que l'on croit pouvoir aplatir voire oublier (normes comptables). Cette double négation a permis l'illusion prudentielle et comptable qui a fondé un optimisme collectif à la base de la dynamique de la bulle financière dont l'éclatement a eu les conséquences que l'on connaît.
Cette croyance s'apparente davantage à une idéologie qu'à un choix mathématique. Cette idéologie a été appelée "virus brownien" ou "virus B" pour signifier que, tel un virus, le postulat brownien s'est installé dans tous les esprits, influençant modes de raisonnement et représentations. Avant d'être une crise de l'expertise technique ou de l'éthique financière, nous considérons que la crise est d'abord une crise de la connaissance, et nous affirmons que tout diagnostic est incomplet sans cette dimension épistémologique. »

Sans être trop technique, pour être accessible à un non professionnel de la finance, essayons d’expliquer simplement le principe des nouvelles réformes comptables (IFRS) en vigueur depuis 2005 et de réformes prudentielles de Bâle 2 :

1-  au lieu de comptabiliser les actifs (titres, créances) au coût historique et ne constater que les gains ou pertes réellement subis en cas de cession ou de liquidation, la norme a imposé une comptabilisation en « fair value », c'est-à-dire à la valeur du marché, comme si l’entreprise détenant ces valeurs allait être liquidée. Ce système a privilégié une vision de la valeur de l’entreprise pour l’actionnaire, l’investisseur, qui peut acheter et vendre instantanément l’entreprise selon une vision court-termiste  de la rentabilité financière, plutôt qu’une vision au service de l’entrepreneur, sur la durabilité de l’entreprise.

2-  Pour établir une valorisation d’un actif au prix (ou au taux) du marché, il faut soit disposer d’un marché donnant directement un prix (sur une action cotée, c’est facile), soit calculer une actualisation des flux futurs (valeur actuelle nette), revenant à emprunter au taux d’aujourd’hui l’argent qui permettrait à l’échéance de chaque flux de rembourser ce dernier. Si ces flux sont incertains, comportent des options, dépendent de la qualité de l’emprunteur de la créance (de son risque de remboursement), il faut alors pour faire ce type de calcul tenir compte de l’incertitude en ayant recours à des estimations basées sur des calculs de probabilités, à des modèles d’évaluation de risque, faisant référence à des séries d’observation passées, à des calculs de corrélation, à la note de signature de la contrepartie qui peut évoluer dans le temps etc. Modèles souvent complexes qui peuvent devenir incompréhensibles.

3-  Il en résulte une comptabilité de résultat considéré acquis dans l’année (sur ces bases pourtant incertaines, ayant neutralisé la vision de risque et de durée par modélisation et actualisation). De surcroît, les bonus des opérateurs et des dirigeants sont calculés sur ces bases. Ainsi, si un accident exceptionnel survient, comme ce fut le cas avec la crise de 2008, avec éclatement d’une bulle financière, les prix chutent, les risques que l’ont croyait couverts et neutralisés ne le sont plus, les modèles dysfonctionnent, les résultats chutent. Les pertes constatées viennent en fait compenser des gains trop élevés passés dus à un optimisme excessif. Mais sans reprendre aux actionnaires les dividendes ni les bonus versés dans le passé sur les anciennes bases qui furent trop optimistes … En revanche la compensation des pertes des banques a exigé un renfort des capitaux, des aides de l’Etat, que ce soit en prise de capital ou en prêts, qui ont accru le déficit public, nécessitant des mesures d’austérité, des hausses d’impôts. C’est donc in fine le contribuable qui paie la gabegie alors que ceux qui ont profité des gains passés ne les rendent pas … (c’est vrai pour la Grèce, l’Irlande, l’Espagne, la Grande Bretagne, mais relativisons néanmoins le cas de la France car les banques, à l’exception de Dexia, ont remboursé complètement l’Etat, qui a même encaissé un gain de 2 milliards d’euros).

4-  Parallèlement à cette méthode de comptabilisation du résultat, les normes prudentielles de Bâle ont imposé aux établissements bancaires (ou Solvency 2 pour les compagnies d’assurances) un niveau de fonds propres minimum permettant de couvrir les risques engendrés par les engagements pris sur ces actifs, en fonction du risque de signature, du risque opérationnel, de la volatilité des produits, donc encore des méthodes probabilistes basées sur des modèles. Là aussi le niveau des fonds propres requis a pu être sous-estimé dans des conditions de marché devenu atypiques.

5-  Ces méthodes n’ont pas pris en compte le risque systémique, c'est-à-dire lorsqu’un établissement entraîne les autres dans sa chute selon un effet domino.

6-  Les marchés étant moutonniers et les acteurs tous calés sur ces procédures, les variations d’un paramètre du calcul peuvent être amplifiées par l’effet d’actualisation et par l’attitude panurgique (vente accrue dès l’amorce d’une tendance à la baisse ou l’inverse). C’est ce qu’on appelle la « procyclité », le phénomène de résonance qui augmente l’amplitude de l’onde.

 

Face à ce constat, Hubert Rodarie prône une refonte des normes. L’idée centrale est que « le système financier doit assumer la réalité du risque. Il faut quitter l'univers rassurant du modèle brownien, et assumer l'incertitude non brownienne d'un monde qui connaît ruptures et chocs. »

Ses propositions sont inspirées des conclusions du colloque auquel il a contribué en novembre 2009. Il faut lire le livre pour en avoir le détail. En résumé :

1-  Systématiser la comptabilisation des instruments financiers selon leur coût historique amorti (plutôt qu’au prix de marché). Ajuster ce coût historique en passant des plus ou moins values constatées ou des provisions si on juge des pertes de valeurs durables.

2-  Adopter des règles comptables qui distinguent systématiquement les flux effectifs et les flux potentiels

3-  Construire des indicateurs de risque synthétiques en complément des instruments d’analyse de risque.

4-  Réformer le modèle économique de la notation.

5-  Créer des instances publiques adaptées de veille macroprudentielle et systémique.

6-  Réintroduire la responsabilité du dirigeant dans la valorisation des postes du bilan.

 

Hubert Rodarie est Directeur général délégué du groupe d’assurance SMABTP. Il est l’auteur notamment de « Comment décontaminer la finance ? », Cités n°41 – 2010, et de « La crise financière doit produire de nouveaux modèles de risque », revue d’économie financière – juin 2008). Hubert Rodarie a contribué aux travaux d’un groupe composé de professionnels, chercheurs, universitaires, réuni en colloque le 29 novembre 2009 à Paris en vue de produire des « propositions pour de nouvelles normes financières ». Les actes du colloques sont parus en juillet 2010 aux éditions Springer sous la direction de Christian Walter "Nouvelles normes financières, s'organiser face à la crise" France (site Internet du colloque : http://www.msh-paris.fr/actualites/actualite/article/quelle-regulation-face-a-lincertitude-de-la-finance ).


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3 réactions à cet article    


  • Kalki Kalki 22 juin 2011 11:49

    SI vous croyez qu’un système économique, arbitraire et pyramidale et ou l’on fournit volontairement du travail, et du revenu a des personne depuis des décennis pour RIEN voit se produire des crises

    par enchantement


    alors : qu’elle est le mobile du crime ?

    Au fait : trouvez moi une seule personne qui travail, et qui pense, et qui dirige ... et


    • Robert GIL ROBERT GIL 22 juin 2011 12:03

      C’est par la spéculation, le mensonge et la duperie que le monde de la finance asservis les nations et ses populations. Le « fameux coup de bourse de Rotschild  » le prouve, lire ici :

      http://2ccr.unblog.fr/2011/06/20/20-juin-1815/


      • Taverne Taverne 22 juin 2011 23:50

        Hello ! C’est ici le Rodarie club ? C’est très technique tout çà.

        Moi, je propose la création d’une nouvelle monnaie : les « deniers de la République ». Monnaie ne permettant aucune spéculation possible et qui récompenserait les actions citoyennes. Elle n’a pas cours pour les marchandises mais uniquement pour acheter ou louer des choses immatérielles.Par contre, c’est un peu tard pour avoir une idée pareille. Bonne nuit !  smiley

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