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Il viendra des pluies douces

Sara Teasdale n’est pas très connue en France, et c’est en vain qu’on cherchera une traduction de ses poèmes. Ce n’est guère étonnant dans un pays aussi auto-centré que la France. Une de ses œuvre a cependant traversé l’Atlantique, passager pas si clandestin des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury : Il Viendra des Pluies Douces. Cette pièce vaut par son indéniable valeur littéraire, bien sûr, mais aussi parce qu’elle met en lumière la plus importante faille de la pensée écologique moderne.
 
 
Il viendra des pluies douces et l'odeur de la terre,
Et des cercles d'hirondelles stridulant dans le ciel ,
Des grenouilles aux mares qui chanteront la nuit
Et des pruniers sauvages palpitant de blancheur ;
Les rouges-gorges enflant leur plumage de feu
Siffleront à loisir perchés sur les clôtures.
 
 
Et nul ne saura rien de la guerre qui fait rage
Nul ne s’inquiétera quand en viendra la fin.
 
 
Nul ne se souciera qu'il soit arbre ou oiseau
De voir exterminé jusqu'au dernier des hommes
 
 
Et le printemps lui-même en s'éveillant à l'aube
Ne soupçonnera pas notre éternelle absence."
 
La pensée écologique qui s’est développée après-guerre, notamment avec la publication de Silent Spring par Rachel Carson en 1962, s’est focalisé sur l’impact de l’homme sur la nature. Ce n’était pas totalement absurde. L’activité humaine induit des changement environnementaux et ceux-ci, comme tous les changements, sont néfastes pour une bonne partie de la faune et de la flore, et si les Maoris n’ont pas attendu la machine à vapeur pour exterminer les moas, il est évident que l’avènement de l’ère industriel a coïncidé avec une augmentation considérable du rythme des extinctions. Certains ont même pu parler d’une sixième extinction de masse, menant à ce qu’ils appellent la planète des mauvaises herbes : un monde sans biodiversité, peuplé d’une poignée d’espèces particulièrement résistantes.
 
Dire que nous sommes au bord de la sixième extinction, cependant, c’est aussi dire qu’il y en a eu déjà cinq.
 
Il y a 250 millions d’années, à la fin du Permien, une série d’éruptions volcaniques massives dans ce qui est aujourd’hui la Sibérie a plongé la planète dans une spirale mortifère de changements climatiques incontrôlés. Lorsque tout fut accompli, 96% des espèces vivantes avaient disparu. Les océans étaient devenus des déserts liquides, dépourvus du moindre atome d’oxygène et exhalant des vapeurs d’hydrogène sulfuré.
 
Sur les terres desséchées, une poignée d’animaux respiraient à grand peine un air surchauffé et empoisonné. Le paysage, sans végétation d’aucune sorte, ressemblait plus à celui de Mars qu’à la Terre que nous connaissons.
 
Pourtant, quand les conditions sont redevenues vivables, les écosystèmes se sont lentement reconstitué et une nouvelle biodiversité s’est déployée sur la Terre.
 
Il est douteux que nous puissions, même si nous le voulions, faire autant de dégâts que les éruptions sibériennes, sans parler, bien sûr des épisodes de glaciations ou d’évaporation totales qui ont précédé l’apparition de la vie multicellulaire.
 
En fait, la Terre traverse depuis 34 millions d’année une période plutôt froide et sèche, marquée par la présence de calottes glaciaires aux pôles. Ce climat froid s’est encore dégradé il y a 2 millions d’années avec l’apparition de la banquise arctique, ce qui a aboutit à une succession rapide d’épisode extrêmement froids – les âges glaciaires – et d’épisodes un peu moins froids comme celui que nous vivons actuellement. Même si, comme certains libéraux ou certains complotistes le suggèrent, nous abandonnons tout principe de précaution et déversons dans notre atmosphère des tombereaux de gaz à effets de serre, nous ne ferions que retourner aux conditions qui régnaient au crétacé, à la fin de l’âge des dinosaures : un univers tropical et marin, fait de gigantesques marécages bordées de mers peu profondes et de forêts pluviales. La vie y foisonnerait et la bio-diversité y serait bien plus élevée que dans notre monde de steppes et de déserts.
 
Cela ne veut pas dire naturellement que nous devons déverser dans notre atmosphère tout le dioxyde de carbone et le méthane que nous pouvons. Avec la possible exception des riposteurs laïques et des électeurs du FN, nous n’avons qu’un rapport extrêmement lointain avec les dinosaures, et notre civilisation ne s’est développée que parce que nous avons connu, depuis environ 10.000 ans, des conditions climatiques exceptionnellement stable. Une augmentation de cinq degrés réduirait notre civilisation à l’état de ruines dans la jungle.
 
Ce que cela veut dire, c’est que la planète n’a pas besoin d’être sauvée. Même si nous nous comportons comme les pires des irresponsables – et c’est effectivement une possibilité – nous nous pouvons pas faire pire que ce à quoi elle a déjà survécu.
 
L’insistance des écologistes, qu’ils soient des techno-greens adeptes de la voiture électrique ou des écologistes profonds instruisant le procès de l’espèce humaine, à mettre en avant le sauvetage de la planète est néanmoins révélatrice. Le rapport Meadows au Club de Rome, en effet, ne parlait absolument pas de la menace que faisait peser l’humanité sur la nature. Il parlait de la menace que faisaient peser les contraintes naturelles sur la civilisation humaine.
 
Son message était clair : la nature impose des limites indépassables à notre développement. Si nous les ignorons nous nous fracasserons contre elles et nous nous effondrerons. Nous ne l’avons pas entendu et subissons aujourd’hui, à l’heure prévue, les premiers symptôme de cet effondrement.
 
Pourtant nous préférons nous focaliser sur le seul climat, parfois jusqu’au ridicule. C’est ainsi qu’un responsable Vert s’est étonné lors d’un vote sur le financement d’un aéroport, qu’on ne parlât pas du climat, alors que le CO² étant peu sensible aux frontières, le fait qu’un avion décolle d’ici plutôt que de là, n’a aucune influence sur notre avenir climatique. Il ne s’est, en revanche pas demandé avec quoi les avions en question allaient bien pouvoir voler... peut-être parce que poser cette question équivalait à ouvrir une boite de Pandore que personne ne souhaite voir ouvrir.
John-Michael Greer a suggéré que c’était parce que le changement climatique et l’épuisement des ressources racontent deux histoires distinctes :
 
L'histoire du changement climatique, si vous la réduisez à ses fondamentaux, est le genre de l'histoire que notre culture aime raconter - un récit sur la puissance humaine. Regardez-nous, dit-il, nous sommes tellement puissants que nous pouvons détruire le monde ! L'histoire du pic pétrolier, en revanche, est le genre d'histoire que nous n'aimons pas - une histoire sur les limites naturelles qui s'appliquent, oui, même à nous. Du point de vue du pic pétrolier, notre statut auto-proclamé d’enfant chéri de l’évolution commence à ressembler à l'illusion qu'il est sans doute en réalité, et il devient difficile de ne pas se mettre à penser que nous pouvons avoir à nous contenter du rôle un peu moins flatteur d’une espèce qui, après avoir dépassé les capacités d’accueil de son environnement, en subit les conséquences.
 
En nous posant comme sauveur, voire même pour les "défenseurs de la cause animale" , en législateur de la nature, nous essayons d’évacuer de notre champ mental le fait que nous sommes tout aussi soumis à ses lois que le plus petit des protozoaires et que notre puissance est si illusoire que, pour paraphraser Jules Verne, un infime frisson peut la balayer de la surface de la Terre.
 
Cette perspective est si étrangère à notre culture que nous préférons la pire des anti-utopies urbaines – on pense à Soleil Vert, par exemple – à la vision d’un monde retourné aux forêts, pourtant bien plus réaliste au vu de notre histoire.
 
De ce point de vue, une grande partie du débat sur l’avenir de la planète n’est qu’une diversion. La vraie question n’est pas de savoir si la nature peut survivre à une civilisation technologique peut survivre à sa rencontre avec les limites que lui impose la nature. A cette question, le Club de Rome répondait il y a quarante ans : peut-être, si nous agissons maintenant. Le temps à passé et ce peut-être est devenu est devenu un non, clair et vibrant. L’effondrement se profile à l’horizon et derrière lui de nouveaux siècles obscurs.
 
Ce n’est pas la fin du monde, mais se poser la question de la sixième extinction plutôt que celle du quatrième effondrement ne nous aidera pas à passer ce qui promet d’être un fort difficile cap.
 
Quant à la nature, rassurez-vous...
 
 
Nul ne se souciera qu'il soit arbre ou oiseau
De voir exterminé jusqu'au dernier des hommes
 
 
Et le printemps lui-même en s'éveillant à l'aube
Ne soupçonnera pas notre éternelle absence."
 
http://vudesruines.blogspot.com/

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15 réactions à cet article    


  • amipb amipb 25 février 2012 15:32

    L’écologie n’est pas la défense de l’environnement, mais l’approche du monde dans sa globalité.

    Les défenseurs de l’environnement que vous décriez ne cherchent pas à arrêter une « sixième extinction » hypothétique, mais à changer nos comportements qui nous font consommer 3 planètes, qui nous mènent droit dans le mur pour... Pour quoi, d’ailleurs, exactement ? Être entourés de gadgets afin de masquer notre peur d’exister ?

    Or la vie, c’est justement cela : exister, comprendre notre place dans l’univers, être présents pour les autres. Tout ce que la société moderne a malheureusement bien oublié.


    • Damien Perrotin Damien Perrotin 25 février 2012 22:51

      Regarder ce qui se dit dans les journaux et vous verrez que l’attitude dominante est celle de la toute-puissance. Quant à notre place dans la nature, c’est simple : nous sommes une espèce parmi d’autres, avons dépassé les capacités d’accueil de notre environnement et allons subir un effondrement assez spectaculaire


    • gordon71 gordon71 25 février 2012 22:38

      bonsoir


      émouvant et évocateur 

      çà me rappelle un poème attribué à géronimo je crois, sur la destruction de sa terre par l’homme blanc
      et la conception indienne du rapport de l’homme à la nature, 

      merci

      • Damien Perrotin Damien Perrotin 25 février 2012 22:55

        Géronimo ne savait ni lire ni écrire. La plupart des poèmes attribués aux indiens sont en fait modernes et reflètent plus le mythe européen du bon sauvage que la réalité tribale pré-colombienne. En fait, la notion de nature est assez récente et spécifique à l’occident. Il n’y a pas de mot pour nature en latin ou en grec, par exemple.


      • gordon71 gordon71 25 février 2012 23:01

         j’ai retrouvé 


        ce texte circule beaucoup il est attribué au chef Seattle.....


        je ne sais pas ce que çà vaut

        le texte me plaît assez

        • Damien Perrotin Damien Perrotin 26 février 2012 09:22

          Le texte est bon, mais personne ne sait ce qu’à vraiment dit le chef en question. Il parlait dans sa langue natale, une partie a été traduit en chinook (le pidgin local) puis en anglais et le résultat a été considérablement modifié au fil des éditions.


        • gordon71 gordon71 26 février 2012 09:41

           sinon dans un autre registre, mais pas si éloigné finalement dans l’évocation et du lien qui l’unit à l’homme 

           

          JE SUIS la rose de Saron et le lis des vallées.

          2:2
          Comme le lis au milieu des épines, telle est ma bien-aimée parmi les jeunes filles.

          2:3
          Comme le pommier au milieu des arbres de la forêt, tel est mon bien-aimé parmi les jeunes hommes ; j’ai désiré son ombrage, et m’y suis assise, et son fruit a été doux à mon palais.

          2:4
          Il m’a mené dans la salle du festin, et l’étendard qu’il lève sur moi, porte : AMOUR.

          2:5
          Ranimez-moi avec du raisin ; fortifiez-moi avec des pommes, car je me pâme d’amour.

          2:6
          Que sa main gauche soit sous ma tête, et que sa droite m’embrasse !

          2:7
          Filles de Jérusalem, je vous adjure par les gazelles et les biches des champs, ne réveillez pas, ne réveillez pas celle que j’aime, avant qu’elle le veuille.

          2:8
          C’est ici la voix de mon bien-aimé ; le voici qui vient, sautant sur les montagnes, et bondissant sur les coteaux.

          2:9
          Mon bien-aimé est semblable à la gazelle, ou au faon des biches ; le voilà qui se tient derrière notre muraille ; il regarde par les fenêtres, il s’avance par les treillis.

          2:10
          Mon bien-aimé parle et me dit : Lève-toi, ma bien-aimée, ma belle, et viens !

          2:11
          Car voici, l’hiver est passé, la pluie a cessé, elle s’en est allée ;

          2:12
          Les fleurs paraissent sur la terre, le temps des chansons est venu, et la voix de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes.

          2:13
          Le figuier a poussé ses premières figues, et les vignes ont des grappes et exhalent leur odeur. Lève-toi, ma bien-aimée, ma belle, et viens !

          2:14
          Ma colombe, qui te tiens dans les fentes du rocher, qui te caches dans les lieux escarpés, fais-moi voir ton regard, et fais-moi entendre ta voix ; car ta voix est douce, et ton regard est gracieux.

          2:15
          Prenez-nous les renards, les petits renards, qui gâtent les vignes, depuis que nos vignes ont des grappes.

          2:16
          Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui ; il paît son troupeau parmi les lis.

          2:17
          Avant que le vent du jour souffle, et que les ombres fuient, reviens, mon bien-aimé, comme la gazelle, ou le faon des biches, sur les montagnes qui nous séparent.

          cantique des cantiques 2, 1-10

           tiré du livre de Michaël Lonsdale « L’amour sauvera le monde »


          • bakerstreet bakerstreet 26 février 2012 10:54

            L’article commence très bien, mais prend un virage assez étonnant ;

            La détention des clés de l’atome n’est tout de même pas une menace naturelle. Il semble qu’à partir d’un certain moment nous ayons vendu notre âme au diable, en nous obligeant à être toujours présent maintenant auprès de la machine, sans anticiper les risques inhérents.
            Nous nous baladons maintenant avec une ceinture d’explosifs en ceinture. Nul doute que notre rapport aux choses a changé.
            Dire que le vol d’un avion est anecdotique est assez fort de café.

            . "En fait, la notion de nature est assez récente et spécifique à l’occident. Il n’y a pas de mot pour nature en latin ou en grec, par exemple."
            Si à cette époque, le mot n’existait pas, c’est que le contexte plaçait la nature et les divinités en tout, et n’excluait pas l’homme du panthéique
            De la place pour tout le monde, une nature ne pouvant guère être touché par l’homme, dont la population n’était à la surface de l’homme que de quelques centaines de millions d’habitants, on en était loin de l’idée de concevoir un système de protection de l’illimité et du divin.....


            • Damien Perrotin Damien Perrotin 27 février 2012 09:41

              La puissance dégagée par nos arsenaux nucléaires serait inferieure à celle produite par la chute d’un astéroide de taille moyenne, comme celui qui a détruit les dinosaures. Même pour ce qui est des radiations... la supernova du Silurien a grillé tout ce qui n’était pas sous un mètre d’eau. Difficile de faire mieux. Une guerre nucléaire détruirait notre civilisation, mais la nature s’en remettrait assez vite.

              Et si les grecs et les romains n’avaient pas de mot pour nature, c’était parce qu’ils opposaient les champs (ager) aux zones sauvages (saltus) pleines de loup et de bandits. Rien à voire avec le panthéisme


            • bakerstreet bakerstreet 27 février 2012 10:35

              La belle affaire que d’être détruit par un astéroïde mille ou dix mille fois plus puissante qu’une bombe atomique, et d’être pulvérisé en cent ou dix mille morceaux.
              On nage en plein sophisme.

              Pour parler clair, il est des choses depuis la nuit des temps dont l’homme est juste sujet, et n’a que ses incantations et ses espérances pour les affronter : La foudre, les ras de marée, les déluges, tremblements de terre, et autres calamités.
              Il s’en consolera en sachant qu’il n’en est pas responsable, et que les desseins de la nature et des dieux qu’il place au milieu l’invite à une position modeste, et d’acceptation de ce qu’il ne peut contrôler.

              Les guerres, famines crées de toutes pièces, politiques délibérées de la terre brulée, génocide d’autres populations, et pour finir, appropriation du vivant dans un complexe aveugle de toute puissance, avec mise en danger même de la vie sur terre, sont d’une autre nature, qu’on ne peut mettre en parallèle !


            • Damien Perrotin Damien Perrotin 27 février 2012 12:19

              Bakerstreet, vous êtes justement dans cette illusion de toute puissance que je critique. Nous ne pouvons pas mettre en danger la vie sur terre. Nous mettons en danger notre civilisation, mais selon des processus extraordinairement communs dans notre environnement.

              Quant aux guerres... nous avons plus de moyens que les chimpanzés, donc nos guerres font plus de dégâts que les leurs, mais la logique est la même.


            • gordon71 gordon71 27 février 2012 09:50

              damien

               il me semble pourtant que les romains voient des dieux partout dans la nature

              Bacchus
              Tellus le dieu de la terre mère

              qu’en pensez vous ?


              • Damien Perrotin Damien Perrotin 27 février 2012 10:36

                Les anciens dieux de la « Terre » étaient des dieux des récoltes et de la fertilité (ce qui semble assez logique dans une société agraire), pas des dieux de la nature sauvage


              • gordon71 gordon71 28 février 2012 03:39

                ok 


                effectivement des Dieux « domestiqués » en quelques sorte

                • Jola 29 février 2012 16:22

                  "Avec la possible exception des riposteurs laïques et des électeurs du FN, nous n’avons qu’un rapport extrêmement lointain avec les dinosaures"
                  J’ai de la pitié pour vous !

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