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Accueil du site > Tribune Libre > Impasses de l’individualisme moderne (1)

Impasses de l’individualisme moderne (1)

Cet article est une réflexion sur l’individualisme moderne que l’on retrouve à la fois chez les libéraux et chez les partisans d’une intervention étatique.

Un des enjeux majeurs actuels de nos sociétés modernes est de réapprendre à vivre ensemble et de trouver comment recréer un lien social dans une société individualiste dans laquelle la seule valeur commune est la poursuite du bonheur individuel (pour ne pas dire des intérêts égoïstes).

Cette problématique s’exprime de manière sensible dans le domaine de la politique, avec la dichotomie libéralisme/interventionnisme (incarnée dans divers courants allant du communisme à la social-démocratie) : comment lutter contre l’indifférence, l’égoïsme, le chacun-pour-soi ? Jusqu’à maintenant, les solutions proposées se bornent soit à ne rien faire (libéralisme), soit à remplacer l’absence de solidarité individuelle par des interventions étatiques, quand les mécanismes du marché ou la bonne volonté des individus ne suffisent plus. Cependant, cette intervention d’une entité supra individuelle peine à faire consensus, car elle est en contradiction avec l’idéologie de base que nous partageons tous, l’idéologie individualiste, et surtout ne va pas assez loin car elle ne la remet pas fondamentalement en cause.

Je voudrais insister sur trois points, constituant autant d’étapes de mon raisonnement :

1°) nous partageons tous la même idéologie, l’individualisme, que nous soyons politiquement pour le libéralisme ou pour l’interventionnisme d’Etat.

2°) Les revendications pour une redistribution des richesses, pour une intervention de l’Etat, bref pour plus de justice sociale sont en contradiction avec cette idéologie.

3°) Les défenseurs de ces mesures doivent changer de paradigme idéologique (qui reste à définir) pour pouvoir les faire accepter, même si cela doit demander des concessions importantes (remise en cause de l’individualisme et de ses deux composantes, libérale et égalitaire).

Je ne traiterai dans cet article que le premier point.

Tout d’abord, il me faut brièvement caractériser ce que j’entends par « idéologie individualiste ». Il s’agit de la conception de la société comme un collection d’individus, libres et égaux, telle que reprise dans les différentes déclarations des droits de l’homme. Dans cette conception, c’est l’individu qui est premier, et non la société ou le groupe social dans lequel il évolue. Cette définition paraît s’imposer tant nous en sommes imprégnés, mais il faut la comparer à d’autres conceptions différentes de la nôtre, pour bien percevoir sa singularité, issues d’autres cultures. Ainsi, dans la société traditionnelle africaine, par exemple, "culturellement, le moi, n’existe pas (...), ce qui existe, c’est le nous : les parents, le clan, la famille" (Mamadou Sissoko, leader paysan sénégalais). Dans cet autre paradigme, l’individu empirique n’est ni libre, ni égal aux autres ; il suit les traditions et il s’insère dans une hiérarchie sociale stricte, d’ailleurs il n’existe que comme partie d’un tout.

En fait, comme l’ont montré de nombreux auteurs (Karl Polanyi pour l’économie, Bruno Latour et Louis Dumont pour les sciences sociales), cette idéologie moderne est plutôt une exception dans l’histoire de l’humanité qu’une règle générale, comme notre sociocentrisme pourrait nous le faire croire. Le fait qu’il y ait d’abord des individus (des citoyens, etc.) et non pas des jeunes/des vieux, des hommes/des femmes, des nobles/des roturiers, des membres de tel ou tel lignage/clan/ethnie, toutes catégories ayant des statuts et des droits/devoirs différents, est une spécificité de l’idéologie moderne, qui a commencé à se répandre en Europe au XVIIIe siècle. Il faut bien préciser que ce ne sont pas les différences sociales précitées qui ont disparu, mais qu’a commencé à s’imposer, de manière plus ou moins complète, une vision de la société, non plus comme diversité hiérarchisée, mais comme collection d’individus égaux, et surtout sans lien entre eux.

Par conséquent, toute la difficulté pour l’esprit moderne est d’arriver à penser le lien social, et plus généralement, les sociétés empiriques, avec leur diversité et leurs hiérarchies, qui ne se conforment pas à l’idéal-type de la collection d’individus identiques et sans lien entre eux. Cette difficulté se retrouve clairement chez Rousseau, qui tente en vain, dans son Contrat social, après avoir atomisé la société en une collection de citoyens, d’en dégager une volonté générale. Cette conception bute également sur la famille (même nucléaire), car elle introduit une certaine dose de hiérarchie au sein du groupe d’individus égaux qu’elle devrait être dans l’idéal. A ce sujet, le modèle le plus conforme à cette idéologie est, paradoxalement, celui qui est présenté dans la République de Platon : les enfants sont retirés à leur parents biologiques pour être éduqués par une institution ad hoc.

A présent, après avoir défini l’idéologie individualiste comme conception de la société comme collection d’individus identiques et sans lien entre eux, essayons de montrer que cette idéologie est commune à des adversaires politiques aussi antagoniques que les libéraux et ceux que j’ai nommés les interventionnistes.

Pour les libéraux, cela ne pose pas trop de problèmes, étant donné que ce sont ceux qui sont le plus en phase avec l’idéologie individualiste. Pour eux, nous sommes tous des individus (homo economicus) qui effectuons des choix rationnels afin de satisfaire au mieux nos besoins individuels. Tout ce qui entrave la poursuite de cet objectif par l’individu doit être, dans la mesure du possible, supprimé (« D’accord, il faut bien un Etat et des règles de vie commune, parce qu’on ne peut s’en passer, mais de grâce, qu’ils soient réduits au minimum »). L’adhésion des libéraux à l’idéologie individualiste apparaît donc bien ici. Pour ce qui est de sa dimension égalitariste, c’est moins évident à première vue, mais elle n’est pas remise en cause en théorie. Aucun d’entre eux ne conteste officiellement que tous les individus soient égaux. D’ailleurs, ils s’abritent parfois derrière l’égalitarisme, quand par exemple ils contestent le principe de progressivité des impôts. « Au nom de quoi devrions-nous payer une part plus grande de nos revenus ? »

Pour le courant interventionniste, représenté par un ensemble allant des communistes aux sociaux-démocrates, c’est la dimension égalitariste qui est évidente et apparemment, l’individualisme est critiqué : défense d’une société solidaire, de la redistribution des richesses... En fait, c’est le comportement individualiste (ne pas penser aux autres) qui est critiqué, et non pas la conception de la société telle que nous l’avons définie. Le paradigme global n’est donc finalement pas remis en question. L’objectif final est toujours le bonheur des individus ; il faut les libérer de toute oppression, qu’elle soit capitaliste (extrême gauche) ou issue des normes et préjugés sociaux comme les discriminations (gauche soixante-huitarde). La société n’est pas conçue comme un tout organisé avec des solidarités obligatoires (comme c’est le cas dans les sociétés traditionnelles). Sur quoi fonder alors la solidarité tant demandée ? Sur la pitié, l’humanité ? Uniquement sur le bon vouloir des individus, dont le libre arbitre doit être respecté ? Ce moteur est insuffisant pour fonder un système équitable de redistribution. Il faut donc que l’Etat, sorte de deus ex machina, vienne corriger les inégalités produites dans la société et qui heurtent tellement notre sensibilité. Cependant, cette intervention reste perçue comme un pis-aller, elle manque de légitimité à nos yeux parce que, selon la vision individualiste de la société, il n’y a que les individus. Récuser l’idéologie individualiste, cela implique d’aller plus loin, de remettre en question certains concepts de base qui sont au cœur de cette vision du monde : la propriété privée (car le groupe est au-dessus de l’individu), le libre arbitre (tu dois agir comme le prescrit le groupe, la tradition) et l’égalité des individus (l’individu comme tel n’existe pas, il n’existe que des catégories sociales hiérarchisées). On voit bien que personne ne va aussi loin. Mêmes les communistes n’en sont plus là !

Il apparaît donc bien qu’au-delà divergences politiciennes, libéraux et interventionnistes partagent au fond la même vision du monde, caractéristique des sociétés occidentales depuis les XVIIIè-XIXè siècles, dans laquelle la société n’est plus une diversité de catégories sociales (clans, ordre...) hiérarchisée, mais une collection d’individus, libres et égaux et sans lien entre eux.

Je m’arrête là pour l’instant, pour lancer la discussion sur ces premières affirmations, avant de développer les contradictions entre l’interventionnisme supra individuel et notre idéologie, ainsi que les leçons à en tirer.


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19 réactions à cet article    


  • Christophe (---.---.128.228) 25 janvier 2007 12:49

    J’interviendrai un peu plus longuement, mais j’aimerai faire valoir un point de vue premier sur votre approche.

    La notion d’individualisme est indissociable de celle de société dès lors que nous ne remettons pas en question le fait que l’homme soit un animal politique (Aristote) ; ce que l’histoire humaine n’a cessé de nous montrer. Si nous n’avions nul besoin de vivre en société, vivre ensemble, l’individualisme n’existerait pas. Il existe, à mon sens, une recherche de compromis entre l’épanouissement individuel total et la dictature du on (Heidegger et sa notion de être-au-monde et être-au-monde-avec)


    • troll (---.---.82.129) 25 janvier 2007 13:39

      un petit detail :

      c’est bien plus facile de vivre ensemble quand on n’est pas en surpopulation... plus on est nombreux et plus les conflits de voisinage sont nombreux, plus la concurrence est grande, etc...

      bref je voulais juste rajouter que tout en partagant votre avis sur l’egoisme de nos societes, il faut aussi constater que la surpopulation est un facteur qui cree de l’individualisme...


      • Marsupilami Marsupilami 25 janvier 2007 13:55

        @ L’auteur

        Très intéressante réflexion. Tu as oublié de mentionner que c’était la religion qui auparavant était la plus grande pourvoyeuse de lien social. Or dans les sociétés européennes sécularisées, elle ne joue plus du tout ce rôle, alors qu’elle continue à le faire aux USA et en Amérique du Sud, dans les sociétés musulmanes, d’extrême-Orient et d’Afrique. Cela ajoute une problématique supplémentaire à celle, essentiellement politico-économique, que du traites : comment recréer un lien entre l’individuel et le collectif dans des sociétés post-religieuses ? Nous avançons à tâtons dans l’obscurité, et pour l’instant c’est l’individualisme moutonnier et égocentrique qui triomphe dans l’orgie médiatique et consumériste qui a pris la place des religions...


        • (---.---.229.236) 25 janvier 2007 14:31

          « comment recréer un lien entre l’individuel et le collectif dans des sociétés post-religieuses ? »

          Par la destruction de l’Etat.


        • Christophe (---.---.252.125) 25 janvier 2007 14:36

          @Marsu : l’individualisme moutonnier et égocentrique

          Mais n’est-ce pas, en soit, un renoncement, un rejet de l’individualisme. Le débat sur l’individualisme ne devrait-il pas se situer sur la construction du soi au regard des autres et non du soi pour correspondre aux autres ?

          Nous pourrions tout autant aborder la notion de spiritualité qui n’est pas nécessairement associée au religieux. Or sans spiritualité pouvons-nous assumer notre individualité ? Nous entrons dans le domaine de l’être et du paraître ! smiley


        • Marsupilami Marsupilami 25 janvier 2007 20:07

          @ Christophe

          Ce que j’appelle « individualisme moutonnier et egocentrique » se situe quasiment aux antipodes du processus d’individuation, qui permet d’être pleinement soi-même sans être egocentré et sans autant coupé de sa dimension collective, de ce qu’il y a de collectif en soi qui seul permet un authentique partage. C’est une ascèse, et je suis d’accord avec toi, on peut parler de démarche spirituelle qui peut se passer de religion.

          Et comme tu le dis c’est toute la différence entre l’être et le paraître.


        • DEALBATA (---.---.5.16) 25 janvier 2007 22:12

          @MARSU

          Si on peut se passer de religion, c’est parce que la religion (principalement catholique mais les autres suivent) comme le mental collectif actuel ne sont plus capables d’être en osmose, il ne reste donc plus que la qualité de l’individu, c’est à dire sa personnalité qui peut, si c’est possible, recréer cet état d’union par identification. Les rites de chaque religion sont plus que des guides pour s’affranchir de son individualité (l’ego), ils correspondent aux étapes d’actualisation de l’être sans que l’influence de l’individu puisse intervenir dans un sens ou dans un autre. Ils ne sont pas obligatoires mais plus que nécessaires à la réalisation de l’être (on ne part pas dans le désert sans une boussole). Le plus important, à mon avis, c’est de ne jamais oublier que notre mental, qui est le miroir de l’être, n’est pas invariable et que lui aussi c’est modifié ou plutôt déformé au cours du temps, la perception que nous avons de l’existence (de nous même) n’est plus la même, il est donc présomptueux de juger et de comprendre un passé que nous déformons sans cesse en nous éloignant en réalité de la Vérité qu’il contenait.


        • Zozo (---.---.79.1) 25 janvier 2007 17:10

          Face au processus d’indifférenciation produit par le monde moderne, les individus ont tendance à vouloir se démarquer de la masse. C’est là une réaction que tout le monde peut constater, à commencer par soi-même. Mais il me semble que cela dépasse le pseudo-clivage libéralisme/interventionnisme car on voit bien en réalité qu’un modèle unique s’est imposé mondialement, celui qui laisse au marché son propre dynamisme basé sur le profit. Par conséquent la véritable logique du système n’est pas de produire de l’individualité mais du semblable, du pareil, du clone. L’exemple africain que vous citez fait partie de ces poches de résistance (mais pour combien de temps encore ?) où les rapports humains sont régis par des structures sociales hiérarchisantes : ici la différence de l’individu est pris en compte par la collectivité, il n’y a pas d’individualisme égoïste en réaction.

          D’autre part avec le progrès technologique il est devenu possible et viable de se passer de son prochain, non pas qu’il s’agisse là d’un idéal, mais cette possibilité devient une réalité pour tous ceux (et ils sont nombreux) qui ne trouvent pas chaussures à leurs pieds. Sans compter les ermites dans leur âme. La société ressemble de plus en plus à une somme d’individus indépendants où l’identité de chacun se fond dans une masse indistincte, dans un jeu de compétition et de rivalités consuméristes. Quel crédit apporter alors au discours officiel oeuvrant soi-disant pour la promotion de la diversité et des différences sans que cela soit accompagné d’une remise en cause de ce système ? Je vois là une immense imposture, un tour de passe-passe dont il ne faut pas être dupe sous peine de tomber dans ce piège du moulin à vent que les enfants de Don Quichotte ont remis à l’honneur.

          L’individualisme est donc un leurre : la Matrice vous bien nous laisser croire en notre liberté et notre indépendance mais n’est-ce pas pour mieux nous cacher cette réalité qui nous fait peur, celle du toujours moins de différence, du règne du clone à venir ?


          • aquad69 (---.---.100.34) 25 janvier 2007 19:52

            Bonjour Esteban,

            merci pour votre article sur un sujet fondamental et très rarement abordé en occident.

            Mais vous ne pourrez pas poursuivre sur ce sujet sans remettre en question ce que l’on appelle ici (en occident)les valeurs « des lumières ».

            Vous vous attaquez là à des superstitions, des tabous fondamentaux de l’occident, et il est désespérant de constater que, quand on le fait, on a l’impression de parler à des sourds... Je vous souhaite bonne chance !

            Il me parait intéressant d’éclairer aussi ce sujet par un regard sur l’identité humaine comme elle est vécue ici.

            Un des archétypes de la société humaine en général est le théatre ; on peut remarquer d’ailleurs que le théatre d’antan était une chose sacrée, un enseignement, et non pas un simple divertissement.

            Au théatre, ce sont le scénario et les personnages qui sont les éléments fondamentaux de la pièce, et chargés de sens ; les acteurs, comme le décors, sont bien sûr indispensables à l’existence de la chose, mais ils font partie du support physique et sont interchangeables.Les meilleurs acteurs sont ceux qui réussisent à être les plus « transparents », en quelque sorte, à s’effacer devant la vérité de leur personnage.

            Or nous sommes tous un peu un théatre : la vérité profonde de chacun, sa « nature personnelle », comme ses dons, est le « rôle » chargé de sens que nous nous efforçons d’incarner ; c’est en nous « jouant », en quelque sorte, que nous nous rapprochons de nous-même.

            C’était des choses que les anciens de toutes époques, partout dans le monde, connaissaient, et mettaient en oeuvre dans les enseignements ; et la vie d’une communauté ne se concevait pas sans des modèles et des personnages exemplaires, profondéments humains, présents ou racontés.

            Or, aujourd’hui, ce sont des choses ignorées et confondues chez les modernes.

            Par exemple un des vices fondamentaux du principe de démocratie, c’est de croire qu’en changeant les acteurs (les élus), on changerait le scénario ; et c’est comme çà que les gens se désolent de voir que plus ils changent leurs gouvernants, plus les gouvernements et les réformes se ressemblent !

            Et non seulement ces choses sont ignorées et non enseignées, mais on a vu progressivement apparaître des personnages et des modèle faux, cad contraires à la nature humaine.

            Au delà des innombrables caricatures véhiculées par les films de toutes sortes, je pense à un exemple particulier, à un personnage qui devient de plus en plus envahissant, le modèle des faux amis : le « citoyen », support même du concept individuel de l’être.

            Car l’individualisme, ce n’est pas qu’un système, c’est aussi une identité.

            Aujourd’hui, dans les discours politiques de ce pays, on ne parle plus de gens, d’êtres humains, de moins en moins de « Français », et de plus en plus de « citoyens ».

            Le « citoyen », ce n’est pas un être, ce n’est pas une définition d’espèce, mais une simple fonction, et aussi un statut ; les romains le savaient bien, qui mettaient la toge pour aller au forum, mais qui l’enlevaient ensuite, de retour chez eux, et ne confondaient pas la fonction citoyenne avec le sens de leur vie.

            Tandis que les gens, ici, au bout de quelques siècles, finissent insensiblement par se prendre pour des citoyens ; or, si on le considère de près, le citoyen n’est pas un personnage humain (ni même vivant peut-être):il n’en a pas les mêmes attributs :

            Un être humain est jeune ou vieux, comme vous le disiez, intelligent ou bête, il est toujours sexué, et jamais anonyme ; le citoyen n’est rien de tout celà : que vous soyez le plus intelligent ou le plus bête de ce pays, votre vote sera équivalent !

            Stupide, me direz-vous, les citoyens français sont évidemment humains ! Oui, parce que vous confondez les acteurs et les personnages... Les acteurs le sont, bien sûr, mais peut-être pas le rôle qu’on leur fait jouer.

            Et ces personnages qui nous entourent,« citoyens », « travailleurs », « salariés », etc, qui nous définissent par des fonctions, et qui nous rattachent à un système technique, finissent avec le temps par devenir des modèles identitaires, psychologiques, qui déteignent sur les gens, complètent l’uniformisation culturelle amorcée par les médias, et finissent par provoquer chez beaucoup une véritable mutilation de la personnalité et une aliénation générale.

            Mais c’est une condition indispensable à l’établissement d’un système technique et industriel avancé, car aucun peuple par le passé n’aurait jamais accepté de payer un tribut aussi lourd pour simplement « gagner sa vie ».

            Cordialement Thierry


            • Esteban Manchego Esteban Manchego 26 janvier 2007 08:31

              Bonjour Thierry,

              Merci pour votre contribution pertinente. Vous avez bien vu là où je voulais en venir et, en effet, toucher aux valeurs des Lumières, reviens à attaquer les dogmes d’une religion. Cela doit faire l’objet de mon prochain article qui provoquera certainement plus de polémique que celui-là, où je ne fais que poser les termes du débat.

              Quant à vos remarques sur la question des personnages exemplaires, je les trouve intéressantes même si j’avoue que je ne me suis jamais vraiment penché sur la dimension psychologique du problème. La référence à l’antiquité m’intéresse aussi mais, là encore, je ne maîtrise pas assez le domaine pour me lancer dans la discussion. Puis-je vous demander comment vous en êtes arivé à réfléchir sur cette thématique (auteurs, références etc.) ?

              En tout cas, merci pour vos encourgagements.


            • aquad69 (---.---.100.34) 26 janvier 2007 12:49

              Bonjour Esteban,

              des références... Je vais consulter ma bibliothèque ce week-end et je vous répond en début de semaine prochaine.

              Si vous voulez, vous pouvez me joindre à l’adresse : [email protected], je vous les enverrais en direct.

              Amicalement Thierry


            • aquad69 (---.---.100.34) 2 février 2007 13:24

              Bonjour Esteban,

              je vous avait dit « début de semaine », mieux vaut tard que jamais...

              Des auteurs :

              D’abord, si vous voulez pouvoir situer la société moderne dans le monde et comprendre sa vraie nature, il y a un auteur incontournable, c’est René Guénon ; il a un point de vue qui dépasse l’occident, un horizon qui intègre toute l’histoire humaine, et sa réfutation du modernisme est sans appel.

              On l’a souvent assimilé à un « philosophe », ce dont il s’est toujours défendu, car, selon sa propre formule, leur erreur est d’avoir remplacé la recherche de la vérité par celle de la « théorie de la vérité ».

              C’est une oeuvre qui date des années 30, cela n’a pas pris une ride, mais il est clair que nos préoccupations ont bien changé depuis. Paradoxalement, il se pourrait que ce soit les étudiants des pays du tiers-monde qui soient aujourd’hui les plus capable de le comprendre et d’en tirer profit.

              Toute son oeuvre mérite d’être lue, et plusieurs années sont nécessaires pour la « digérer », mais vous pouvez l’aborder par deux livres :

              « La crise du monde moderne » et « Le règne de la quantité et les signes des temps »,

              tous deux chez Gallimard, collection NRF.

              Pour comprendre l’historique de l’économie moderne, de la superstition technique, comment tout celà a débuté, et voir les choses dans leur contexte réel, un petit bijou : « La rançon du machinisme » de Gina Lombroso - Payot 1931 - qui complète « la grande transformation » de Karl Polanyi et les considérations sur les « enclosures », et qui pose une question intéressante : pourquoi la « révolution industrielle » n’a-t-elle pas eut lieu avant ou après son époque ? C’est un essai brillant, complètement inconnu, et trouvable en bouquinistes uniquement.

              Et en complément, l’« histoire de la Bourgeoisie en France », de Régine Pernoud, en deux tomes aux éditions du seuil.

              Pour une remise en question de certaines de nos superstitions sur le travail et la politique, « La société contre l’état » de Pierre Clastres aux éditions de minuit.

              Si la signification des métiers et arts anciens par opposition aux emplois modernes vous intéresse, vous pouvez chercher les livres de Sri Ananda Coomarashwamy.

              Et puis un autre bijou : « Le retour de Dionysos » de Jean Brun aux ed Les Bergers et les Mages, qui dégage la signification de certains aspects de la société moderne, entre autre l’obsession de la compétition, la prétendue « liberté », etc...

              Et enfin, le film japonais « Kagemusha », qui a eu pas mal de succès il y a quelques années, offre des images magnifiques sur les rapports et l’affrontement entre individu et « personnage », le « bonhomme » et sa nature profonde, le « moi » et le « Soi ».

              Si vous voulez d’autres précisions, vous avez mon adresse, ce sera avec plaisir.

              Amicalement Thierry


            • Esteban Manchego Esteban Manchego 9 février 2007 21:06

              Bonjour Thierry,

              Merci pour ces précisions. C’est drôle, je vous imaginais plutôt spécialiste de l’antiquité, vu la référence au théâtre antique (l’un n’empêche pas l’autre, me direz-vous).

              Je connais un peu René Guénon pour l’avoir lu il y a quelques années et, autant je suis assez d’accord avec lui sur l’analyse qu’il fait du monde et de la pensée moderne, autant je me situe plutôt du côté de la science sociale pour procéder à la critique du monde moderne. Je ne suis pas attiré par son côté mystique et sa volonté de renouer avec une Tradition qui se retrouverait selon lui dans les grandes religions. Je reste pour ma part athée même si je considère que les religions ont du bon, notamment en tant que créatrices de lien social. Pour ce qui est des réflexions sur la Religion, je me situe plutôt du côté de Régis Debray.

              En tout cas, je vois que nous ne rejoignons sur un certain nombre de constats sur les travers de l’idéologie du monde moderne.

              Au plaisir de vous lire,

              Esteban


            • Esteban Manchego Esteban Manchego 25 janvier 2007 21:41

              @ Marsupilami,

              Tu as tout à fait raison, la religion est un facteur de cohésion sociale fondamentale et ta remarque est pertinente.

              Je ferais cependant une différence entre le christianisme et les autres religions, puisqu’il me semble qu’il ait favorisé l’avènement de l’idéologie moderne (introduction de l’égalité des hommes devant dieu, réhabilitation des catégories sociales décriées). D’une certaine façon, les sociétés qui ont adopté cette religion ont ainsi fait un pas vers l’individualisme moderne. Pour ce qui est des Etats-Unis, je dirai que c’est un des rares pays qui ait trouvé un certain équilibre entre l’idéologie moderne (très présente) et la religion (très présente elle aussi). En fait, il semble que ce soit à partir du moment où les sociétés se sécularisent que les contradictions de l’idéologie moderne apparaissent les plus fortes et deviennent vraiment problématique. Pour ce qui est de la religion, le problème est qu’il est difficile de faire renaître des croyances, juste parce qu’on est arrivé à la conclusion que finalement ça permet à la société de mieux fonctionner... Mais, tu as raison,il faut continuer à avancer à tâton.

              Cordialement,


              • Marsupilami Marsupilami 26 janvier 2007 09:51

                @ Esteban

                D’accord avec ton commentaire (et la majorité des précédents à l’exception d’un seul, facile à identifier...).

                J’héritage hellénisco-romain-judéo-chrétien (plus que le seul héritage chrétien) qui est celui de l’Occident a effectivement permis, après une sécularisation partielle ou totale, l’émergence de l’individualité puisqu’il en était gros. Pour les autres religions, le problème se pose très différemment. Les religions tribalistes (animismes divers), semi-tribalistes (l’Islam entre la tribu et la Oumma), fondées avant tout sur des liens de solidarité et d’appartenance au groupe ou à la collectivité, ce qui rend difficile l’émergence de l’individualisme moderne. Les religions extrême-orientales (bouddhisme, shintoïsme, hindouisme, etc.) posent d’autres problèmes à l’émergence de l’individualisme moderne (trop long à aborder ici, d’autant plus que le religieux se superpose et interfère avec les systèmes hiérarchisés de castes assez rigides qui ont pris une dimension sociologique presque extra-religieuse).

                Ce qui est certain, c’est que toutes les sociétés et toutes les religions se trouvent confrontées à l’émergence de l’individualisme moderne, alors que celui-ci est une création de l’Occident chrétien. D’où d’importants chocs culturels, qui n’ont pas fini de faire des ravages à l’intérieur de chaque civilisation et entre civilisations.

                La notion d’individualité est elle une illusion comme le disait un intervenant précédent ? Je serais assez d’accord mais je préciserais qu’il s’agit d’une illusion réaliste, en ce sens que quand un être accède au statut d’individualité, il ressent un véritable sentiment de libération, qui se traduisent dans les faits par des décisions personnelles qui lui paraissent autonomes. Voilà pour le réalisme. Mais l’illusion demeure : l’être « individualisé » moderne reste surdéterminé et conditionné dans ses comportements, qu’il croit « libres », par les règles inmplicites de ses groupes d’appartenance. C’est ainsi que des troupeaux d’« individualistes » se précipitent dans les temples de la consommation en poussant des caddies quand autrefois ils se pressaient dans les églises.

                Je ne sais vraiment pas comment nous allons renouer ce lien dangereusement distendu entre l’individuel et le collectif. Il faudrait pour cela qu’un maximum d’entre nous transforme son individualisme moutonnier en individuation personnalisée. Nous n’en prenons pas le chemin...

                J’ajouterai qu’étant agnostique, je ne souhaite pas le retour des religions. Mais étant donné le besoin de croyance irrationnelle et le besoin de participation collective inhérents à la nature humaine il y a fort à parier qu’elles reviendront, soit sous leurs formes antérieures (dictatures théocratiques sur les conscicnes), soit sous de nouvelles formes que nous ne pouvons même pas imaginer actuellement tant nous sommes tous dans cette phase de transition majeure dans l’histoire de l’Humanité.

                Pour l’instant c’est le foot, la télé et les hypermarchés.


              • Gwendal JL (---.---.73.200) 26 janvier 2007 00:54

                L’auteur écrit : «  »"Il apparaît donc bien qu’au-delà divergences politiciennes, libéraux et interventionnistes partagent au fond la même vision du monde, caractéristique des sociétés occidentales depuis les XVIIIè-XIXè siècles, dans laquelle la société n’est plus une diversité de catégories sociales (clans, ordre...) hiérarchisée, mais une collection d’individus, libres et égaux et sans lien entre eux.

                Je m’arrête là pour l’instant, pour lancer la discussion sur ces premières affirmations, avant de développer les contradictions entre l’interventionnisme supra individuel et notre idéologie, ainsi que les leçons à en tirer. «  »"

                Je dis : plus réducteur, tu meurs !

                Et cette référence à Heidegger ... smiley


                • minijack minijack 26 janvier 2007 21:06

                  Excellent article traitant plutôt bien d’un sujet particulièrement pertinent en période électorale, mais pas seulement.

                  En effet, l’humain est à la fois grégaire et individualiste. C’est un constat, c’est sa nature duale, qui le porte à tantôt privilégier le collectivisme, tantôt l’individualisme.

                  Depuis la division d’Adam et d’Eve l’individu est partagé entre le besoin de se sentir entouré de sa famille, de ses semblables, de défendre ses gènes d’une part, et ses velleités d’indépendance et d’autonomie d’autre part, d’évolution à titre individuel qui lui donnera, espère-t-il inconsciemment ou pas, un pouvoir sur le groupe. Que ce soit une autorité de chef de guerre ou le pouvoir magique d’un chamane.

                  Ce n’est pas un problème nouveau mais il ne fait que se cristalliser un peu plus dans nos modernes sociétés occidentales.

                  Est-ce à dire que l’homme occidental moderne est égoïste ? Non. Pas plus pas moins que l’homme de Néanderthal. Simplement il n’a pas la même hiérarchie de valeurs.

                  A l’exception des quelques rares pauvres non-assistés, considérés à tort ou à raison comme « marginaux » de la société au sens de « quotité négligeable » (c’est terriblement cynique de dire les choses comme ça mais c’est la réalité du point de vue d’un entomologiste), la subsistance est aujourd’hui pratiquement assurée pour tous. L’essentiel étant garanti, le superflu prend dès lors une importance très surfaite qu’il n’avait pas auparavant chez nous, ni encore actuellement dans les sociétés où ce minimum vital n’est pas assuré chaque jour.

                  Le monde de la consommation est basé sur ce décalage des valeurs. Celui des medias également. C’est d’ailleurs le même.

                  On observe également que la religion est bien plus présente dans les pays pauvres à faible niveau d’éducation. Ce n’est pas non plus un hasard et on peut se demander lequel des deux entraîne l’autre... L’Islam par exemple, ne fut jamais plus aussi rayonnant qu’à ses débuts, quand il avait un rôle libérateur pour l’homme en lui enseignant à s’adresser à son dieu directement, sans hiérarchie intermédiaire. Aujourd’hui les mollahs de tous poils l’entraînent vers le désastre sociétal, tout comme les églises chrétiennes l’ont fait et le font encore.

                  L’INDIVIDU est le centre de toute société, et CHAQUE individu est un « centre ». Hors la simple « régulation » des rapports entre individus par des lois collégialement adoptées, toute hiérarchie spirituelle ou philosophique est perverse et contreproductive pour la société.

                  Si on observe l’évolution des sociétés primitives, on se rend compte que la solidarité de groupe y est à la fois beaucoup plus forte et en même temps, paradoxalement beaucoup moins efficace que chez nous. Si le groupe a une valeur plus grande chez les pygmés les papous ou les amazoniens, la mortalité infantile y est tout de même largement au-dessus de la nôtre, pour ne citer que cet inconvénient — et je ne parle pas des guerres tribales—. Ces populations vivent depuis la nuit des temps dans une tradition sociale de type tribal qui les bloque à leur état de sous-développement.

                  Il faudrait donc penser que l’individualisme a du bon puisqu’il permet à chacun d’être récompensé selon son mérite, et donc encourage les « percées » en tous domaines, scientifiques, technologiques, philosophiques, qui en fin de compte profitent au groupe, tandis que les sociétés collectivistes de type fourmillière ont tendance à stagner au seul niveau de la survie (quand elles s’y maintiennent).

                  D’une certaine manière, le bolchevisme de l’ex URSS était, idéalement parlant, une forme de société primitive qui n’est pas parvenue à évoluer, contrairement à la société chinoise qui, malgré tous ses défauts, avance à grands pas vers un individualisme forcené qu’il ne faut pas confondre avec le capitalisme américain. Si les Droits de l’Homme y sont encore bafoués, c’est au nom de la Société. On regrette bien sûr ces débordements, mais toutes choses étant relatives, ça n’entraine pas pour l’instant la tentation hégémonique de domination du monde que les sociétés « bien-pensantes » du monde occidental, basées sur un « individualisme dirigé », s’acharnent à mettre en oeuvre depuis les débuts de la colonisation.

                  La société est constituée avant tout d’individus et c’est précisément leur diversité qui fait sa richesse. Il ne s’agit donc pas d’opposer un principe à l’autre mais d’allier les avantages de chacun. Et ça ne semble pas facile parce que c’est politiquement déstabilisant. Mais contrairement à ce qu’on croit généralement, l’équilibre est un état figeant. Seul le DES-équilibre est dynamique : On marche en mettant un pied devant l’autre, en perpétuel état de « dés-équilibre », et c’est ça qui fait avancer.

                  Il apparait donc qu’un savant dosage entre le collectif et l’individu soit primordial pour conserver un « déséquilibre social dynamique ».

                  Cet état n’est pas encore atteint en Chine. L’est-il dans nos pays occidentaux ? Le chemin est long et celui que nous avons pris nous-même est-il le bon ?... Dans leur inconscient collectif, il semble que les français aient trouvé la formule. Depuis quelques décennies, l’alternance a porté au pouvoir des tenants de chaque vision, allant jusqu’à les faire « co-habiter ». C’est peut être ça, le bon sens ?

                  Il serait temps que les uns et les autres tirent enfin autre chose que la couverture à eux, et utilisent le meilleur de ces expériences pour « remettre la France en marche ». En remettant l’humain, « l’individu », au centre de la « collectivité ».

                  .


                  • Christophe (---.---.58.18) 27 janvier 2007 16:52

                    J’avais exprimé que j’interviendrai plus longuement, je ne sais si je pourrais aller jusqu’au bout. En effet, le sujet est très intéressant tout en étant très complexe.

                    Tout d’abord, il me semble que dans l’expression doctrine individualiste me pose un problème en tant qu’individu. Un individu suivant une doctrine est-il lui-même ? n’y a-t-il pas la une ambiguité, voir un contresens ?

                    L’individualisme est à mon sens lié à l’épanouissement de l’individu. Il ne peut donc être totalement décorrélé de l’état de l’individu lui-même, de l’état du monde à un instant donné ni de l’historicité de l’individu, de toute cette histoire personnelle qui lui a permis de se construire.

                    Pour l’individu, il n’existe qu’une seule réalité, la sienne propre, intérieure, son être. Il me semble important de dissocier l’aspect spirituel, le libre esprit de l’aspect matériel, la forme des actions de l’individu ; distinction entre l’être et le paraître. Il en résulte que notre vision du monde est le résultat de la confrontation entre le seul espace de vérité, l’esprit de l’individu, à d’autres esprits individuels par l’intermédiaire de la communication ; c’est le principe de construction de l’individu dans l’ensemble dans lequel il gravite.

                    Nous écarterons l’hypothèse de la construction de l’être isolément de l’ensemble. L’exemple de l’enfant sauvage, les études sur l’autisme par exemple mettent en évidence un non développement du soi ; voir une liquéfaction.

                    Par ailleurs la psychanalyse, et plus particulièrement Lacan, a mis en évidence que si nous croyons souvent que l’individu prend conscience des autres par analogie avec son soi, c’est l’inverse qui est vrai. C’est parce que l’individu prend conscience de l’autre qu’il prend conscience de sa différence, de sa personnalité. L’individu ne peut être que comme l’autre de l’autre. Hegel va dans le même sens ; c’est parce que je vois l’autre comme autre c’est à dire comme différent que je prends conscience par différence de moi. Il montre aussi qu’être soi-même suppose la reconnaissance d’autrui (voir la dialectique du maître et de l’esclave est dans La phénoménologie de l’esprit).

                    Il ne faut pas être seul pour être soi, dans la solitude nous n’existons pas. Appartenir à l’humanité, c’est être cet animal politique (social) qui se constitue dans et par les autres. Mais l’existence sociale engendre le conformisme et n’est donc que la condition nécessaire mais non suffisante pour être soi-même. On peut se demander s’il existe quelqu’un de véritablement lui-même. Ce qui apparaît, c’est surtout notre opacité à nous-mêmes comme l’ont montré la psychanalyse ou la sociologie. La conscience est le lieu d’illusions : illusion de l’indépendance, illusion de l’autosuffisance, illusion d’avoir un être. La conscience est changement, mobilité, dissimulation. Puis-je, dans ce contexte, savoir qui je suis ?

                    Dans notre relation avec les autres, nous devons aborder la communication qui pose le principe double de l’interprétation ; l’individu qui s’exprime construisant un message approximatif sur les bases de son être, celui avec qui il communique devra l’interpréter en fonction de son esprit propre. De la fragilité de ce travail d’interprétation résulte une incommunicabilité fondamentale entre les hommes (thème exploité par exemple par Albert Camus).

                    D’autre part, en référence aux travaux de Sfez, Habermas, Apel, ... nous constatons une déviation du principe de communication ; principe somme toute naturel en l’homme depuis la nuit des temps. Comme le souligne Sfez : On ne parlait pas de communication dans l’Athènes démocratique, car la communication était au principe même de la société. Un citoyen grec ne doutait pas des vertus du langage et de la discussion, mais à ses yeux une idée de ce genre, une société de communication, n’aurait pas représenté beaucoup plus qu’une tautologie sans intérêt. Or le modernisme est à l’heure du tout communication ; comme le souligne Habermas : La communication devient la Voix unique, qui seule peut unifier un univers ayant perdu en route tout autre référent. Communiquons. Communiquons par les instruments qui ont, précisément, affaibli la communication. Voilà le paradoxe où nous sommes jetés

                    Il semble que nous ayaons une double problématique. La première est levée par Habermas, soulignant que l’autonomie des sphères de rationalité issues de la modernité (celles de la science moderne, du droit positif, des éthiques profanes et de l’art devenu autonome) ne réclame ni fondation ni justification. Mais elle pose des problèmes de médiation que les grâces bénies de la science et de la technique ne permettent certainement pas de résoudre à elles seules. Et que la philosophie moderne a déserté le champ de l’explication. L’autre est levée par Revel : Dans notre tradition philosophique, telle que l’imposent les quelques milliers d’ouvrages qui la contiennent matériellement, une inversion de sens a donc fait que les philosophes ne nous invitent plus à comprendre que leur propre système. Or, un système philosophique n’est pas fait pour être compris : il est fait pour faire comprendre ; la phisophie sortant du champ explicatif du monde.

                    On construit aujourd’hui les individus sur la matière, sur les bases utopiques de la transposition des universaux de la pensée en universaux de l’action. Le résultat, nous le constatons aujourd’hui, dans une société qui ne sait plus communiquer avec elle-même, dont la cohésion est contestée, dont les valeurs se délitent, que des symboles trop usés ne parviennent plus à unifier.


                    • Théophile Kouamouo Théophile Kouamouo 9 août 2007 14:48

                      L’Afrique, ce n’est ni une ville ni un pays. Votre lieu de résidence est vachement large !

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