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« INFO POPCORN » : deux journalistes suisses à contre-courant de la mythologie médiatique

« INFO POPCORN, enquête au cœur des médias suisses  », est le titre sarcastique du livre salutaire que viennent de publier deux journalistes suisses, Christian Campiche et Richard Ashinger (1). Le ton est donné. Quand on est face au désastre ou on se lamente ou on en sourit jaune. Passé le seuil de l’insoutenable, seule l’ironie permet de se protéger et de ne pas désespérer. Ainsi « l’information » est-elle par image ravalée aujourd’hui, selon les auteurs, au rang d’une sucrerie, comme ce maïs soufflé qu’on picore à la foire ou à l’entracte dans une salle de cinéma. 

Les médias suisses, un champ de désolation
 
Les deux journalistes sont, en effet, devant le champ de désolation que sont devenus les médias suisses. Le lecteur français transpose sans peine le même constat dans son propre pays.
 
1- Disparitions et rachats en série
 
Les journaux d’hier qui faisaient l’honneur de la profession journalistique, ont, les uns après les autres, disparu ou, ce qui revient au même, été rachetés et digérés par de grands groupes comme Ringier, Tamedia, NZZ et même Hersant Média, le fils de papa bien connu qui avait en son temps écumé la presse française. Les deux journalistes n’hésitent pas à parler par exemple de « la presse romande assassinée  » (page 75 et sq.).
 
2- Expansion de la presse gratuite gangrénée par la publicité
 
Parallèlement, s’est développée une presse gratuite qui contrairement aux idées reçues fragilise les médias qui résistent : non seulement elle leur prend leurs lecteurs, mais elle en fait des cérébro-lésés. Dans sa chasse à l’audience dont dépendent pour sa survie les recettes publicitaires, elle use d’une batterie de leurres qui visent à la seule stimulation des réflexes des lecteurs, tant innés que socioculturels conditionnés  : l’exhibition du malheur et du plaisir d’autrui – ou de leur simulacre - vise à susciter le réflexe inné de voyeurisme ; et l’argument d’autorité notamment par la séduction de la star stimule les réflexes d’indentification et de soumission aveugle à l’autorité. Dans les deux cas, la réflexion rationnelle du lecteur est paralysée par la sidération provoquée.
 
L’aveu cynique d’un patron de presse
 
Une interview d’un des patrons de presse régnants, Pierre Lamunière, président d’Édipresse, est atterrante, car l’individu ne fait aucunement mystère de son cynisme. À la question : « Inutile de vous demander si la qualité est ce qui prime dans vos journaux ? Vous me répondrez par l’affirmative comme tous les éditeurs  », il rétorque en riant sans se démonter : « Demandez-le quand même. (…) La qualité est bien sûr un élément essentiel. » Mais il ajoute aussitôt : «  Toutefois pour un éditeur soumis à des contraintes économiques, elle ne peut pas être non plus l’unique élément. » (page 102) Comprenne qui pourra comment la qualité peut coexister avec son contraire sans disparaître comme un bon vin mélangé à du vinaigre ! Le pis est qu’on ne saurait le contredire : on a les médias que la majorité des citoyens demande.
 
La co-responsabilité de l’École et des médias eux-mêmes
 
C’est ce qui devrait amener les journalistes, du moins les plus conscients dont font partie les auteurs de ce livre, à réfléchir sur le niveau culturel moyen des citoyens aujourd’hui. Tous les citoyens ou presque ont été aujourd'hui scolarisés. Or comment se fait-il qu’ils lisent des journaux, écoutent des radios ou regardent des chaînes de télévision attachés quasiment à ne stimuler que leurs réflexes à leur insu ? Il y a un truc ! L’École n’est-elle pas grandement responsable d’inculquer à ses élèves des erreurs qui les désorientent une fois que, devenus citoyens, ils ont à s’informer ? (2)
 
Les deux auteurs rappellent avec raison l’enjeu : la démocratie est en danger quand les citoyens plébiscitent des médias dont ils n’ont pas appris à analyser les procédés subtils utilisés pour circonvenir leur réflexion par la stimulation intensive de leurs réflexes. Or, la responsabilité des journalistes eux-mêmes n’est pas moindre. Ne diffusent-ils pas depuis des lustres, en croyant faire leur promotion, avec la complicité de l’École qui l’a inscrite à son programme, une mythologie de l’information dont les erreurs désorientent durablement les futurs citoyens ?
 
Un sujet tabou de la profession enfin abordé
 
Comment des journalistes aussi exigeants que ces deux auteurs, restent-ils encore, par exemple, si pusillanimes devant l’opposition factice entre « journal d’opinion  » et « journal d’information  ». Ainsi parlent-il, page 59, de la « neutralité très relative du « journal d’information »  » quand il est établi que cette neutralité est rigoureusement impossible : « un journal d’opinion  » est un journal qui annonce clairement son opinion, et « un journal d’information  », celui qui croit plus malin de la dissimuler pour être plus persuasif. Qui peut contredire ?
 
Les deux auteurs le savent pourtant bien : ils ont le courage d’admettre que « dans tout média, le simple choix d’un sujet n’est pas anodin  » (page 60). Il est rare de lire sous la plume de journalistes la reconnaissance de cette contrainte manifeste. Leurs collègues amusent en général la galerie en attirant l’attention seulement sur le devoir de vérification de l’information, son recoupement, qui n’est en fait que le premier temps du traitement de l’information. On ne les entend guère s’expliquer sur le deuxième temps, ici évoqué, qui est celui de la décision ou non de publier l’information vérifiée.
 
On se réjouit donc de voir ces deux journalistes commencer à aborder ce sujet tabou de la profession, fût-ce précautionneusement : car que veut dire cette litote « le choix d’un sujet n’est pas anodin  » ? Comme on aimerait plutôt lire sous leur plume que la seule décision de diffuser une information est un jugement dont l’information diffusée est aussitôt implicitement assortie, et selon lequel elle a été jugée digne d’être diffusée, quand d’autres ne le sont pas ! Il s’agit donc bien d’une opinion. Il n’existe donc que des « médias d’opinion  » dont "la représentation de la réalité est plus ou moins proche ou éloignée de la réalité".
 
Les signes précurseurs d’une renaissance venus de Suisse ?
 
On voudrait prendre le livre de Christian Campiche et de Richard Aschinger comme une hirondelle venue de Suisse qui annoncerait un prochain printemps des médias. Même s’il le fait un peu trop prudemment, il entame, en effet, la révision générale nécessaire de la mythologie de l’information que les médias n’ont cessé de répandre depuis longtemps pour, ont-ils cru, faire leur promotion avec la complicité de l’École, et dont on a sous les yeux aujourd’hui les résultats désastreux. Ils ont beau avoir été presque tous scolarisés, les citoyens désorientés sont devenus des proies faciles pour des médias préoccupés seulement de stimuler à leur insu leurs réflexes.
 
Apprendre à distinguer, à l'école de Magritte, "une pipe" de "la représentation d'une pipe", « un fait  » de « la représentation d’un fait  », ou les variétés d’information, donnée, indifférente et extorquée, est - nom d'une pipe ! - aussi vital que de savoir distinguer un champignon comestible d’un hallucinogène et d’un mortel. De même, enseigner au poisson à repérer les leurres du pêcheur, n’est-ce pas lui rendre le plus grand des services ? 
 
Contre des patrons cyniques genre Lamunière cité plus haut, les journalistes ne peuvent trouver meilleurs alliés que des citoyens avertis des leurres en usage dans la relation d’information : on ne raconte pas de bobards à qui peut les reconnaître. On en a un exemple sous les yeux ces jours-ci : c’est tout le drame du pauvre PPDA qui est accusé aujourd’hui d’avoir plagié une biographie américaine d’Hemingway, et dont le numéro d’illusionnisme sur la chaîne  Public Sénat , le 26 janvier 2011, fait autant illusion pour sa déconfiture que celui d’un gamin qui, pris le doigt dans un pot de confiture, s’écrie « C’est pas moi ! » (3) Paul Villach
 
(1) Christian Campiche, Richard Ashinger, « IINFO POPCORN, enquête au cœur des médias suisses », Éditions Éclicta Estelle Gitta, Genève, 2010.
 
(2) Paul Villach, « La désorientation méthodique des élèves par l’Éducation nationale  », AgoraVox, 24 janvier 2011.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-desorientation-methodique-des-87671
 
(3) Paul Villach, « PPDA, les doigts dans le pot de déconfiture !  », AgoraVox, 31 janvier 2011.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/ppda-les-doigts-dans-le-pot-de-88035

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5 réactions à cet article    


  • Christian 1er février 2011 12:50

    Tout espoir n’est donc pas perdu, il y aurait donc des journalistes en Suisse, qui prennent conscience du désastre ! Mai en amont, il y a l’enseignement en sciences humaines et particulièrement en Histoire car c’est là que les connsaissances essentielles devraient être diffusées, si possible en dehors des idéologies. On n’en est loin, très loin.


    Ci-dessous l’accès aux archives de la Gazette de Lausanne, journal qui a existé depuis 1798 avant d’être « exécuté » par des ....comme le Journal de genève
    http://www.letempsarchives.ch/Default/Skins/LeTempsFr/Client.asp?Skin=LeTempsFr&enter=true&AppName=2&AW=1296561325218


    • Paul Villach Paul Villach 1er février 2011 14:02

      @ Christian

      Si les cours d’Histoire ont à prendre leur part dans l’apprentissage de l’analyse de l’information, l’enseignement du Français en devrait être l’axe central, puisqu’une langue est le vecteur de la transmission de l’information.
      - Les prétendues « figures de style », il serait bon de les revoir sous l’angle des « leurres ».
      - Des auteurs comme La Fontaine sont d’autre part des maîtres en relation d’information avec les leurres qu’elle met en oeuvre. Paul Villach


    • dogon dogon 1er février 2011 13:27

      La validité de ces réflexions ne fait auccun doute.
      Mais force est de constater, aujoud’hui, que les mass-médias servent de la soupe à une population de plus en plus ignorante et mal instruite.
      On est rentré dans l’âge du fast-foos journalistique, de la quick radion et de la « télé-réalité » qui n’a jamais été aussi loin ... de la réalité.
      Les médias, et le journaux en font partie, ne sont plus vraiment là pour informer mais plutôt pour orienter le lecteur vers des sujets superflus pour qu’il ne regarde pas ailleur ou ça pourrait être plus génant pour ceux qui prennent les décisions politiques, économiques et sociales.


      • joelim joelim 1er février 2011 15:57

        Le pire c’est que c’est vrai.


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