Deux variétés d’information
Sollicité à ce sujet, l’ancien ambassadeur a donc déploré avec raison la « très regrettable confusion » qui était commise et le « très mauvais procès » fait à Clotilde Reiss, en donnant au passage une brève leçon d’information. Il a distingué deux variétés d’information :
- l’une, a-t-il dit, est « ce qu’on appelle l’information ouverte légitime que chacun recueille en ouvrant ses yeux. C’est le travail d’un journaliste. C’est le travail d’un universitaire. On observe et on raconte ce qu’on observe tout à fait naturellement à ses amis, à ses partenaires. (…) Clotilde Reiss n’a fait qu’observer ce que n’importe quel journaliste, n’importe quel passant pouvait observer, c’est-à-dire des manifestations dans Ispahan. Elle a raconté ça à ses amis de l’ambassade de France. »
- L’autre information est « le travail de renseignement qui est tout à fait autre chose. Le travail de renseignement est un travail que l’on fait couvert, masqué et par des moyens illégaux. »
Il est rare d’abord que cette distinction soit faite publiquement par un homme de pouvoir comme l’est un diplomate qui n’ignore rien de la relation d’information. Le mot « information » n’est pas univoque mais équivoque : il existe deux variétés d’information très différentes. Cela mérite d’être souligné. On regrette seulement que l’ambassadeur n’ait pu développer davantage sa leçon : ses concepts restent, en effet, approximatifs.
Deux critères : moyens d’accès et fiabilité
Les deux critères qu’il retient pour opposer ces deux variétés d’information, sont en revanche très clairs.
1- Le premier a trait aux moyens différents qui permettent d’accéder à l’une et à l’autre. Le diplomate appelle la première « l’information ouverte » : c’est celle qui s’offre. Il suffit, selon lui, de l’observer et de la rapporter. Inversement, l’autre variété qu’il ne nomme pas explicitement, est donc « l’information non ouverte » : c’est celle qui ne s’offre pas parce qu’elle est dissimulée ; elle nécessite d’agir « couvert, masqué », dit-il, pour la découvrir.
Cette terminologie approximative est source de confusion : on sent la rouerie du diplomate qui en dit trop ou pas assez, d’autant que le jugement qu’il porte sur l’une et l’autre variété est infondé. Il juge « l’information ouverte » « légitime », tandis qu’il s’abstient de qualifier « l’information non-ouverte », celle qui est dissimulée, en estimant toutefois que les « moyens (pour y accéder sont) illégaux ». Cette seconde variété serait-elle pour cette raison illégitime ? À l’évidence, non, puisque la défense d’un pays, d’une entreprise ou d’un individu en dépend : elle est donc à ce titre tout aussi légitime.
2- Mieux, l’existence avouée de cette « information non ouverte » qui mérite d’être découverte, suppose que « l’information ouverte », facile d’accès, peut être incomplète, voire erronée ou tissée de leurres. Sinon, on s’en contenterait. L’ambassadeur oppose donc implicitement les deux variétés d’information, « l’ouverte » et « la non-ouverte » par leur degré de fiabilité. « L’information ouverte » apparaît moins fiable que l’autre information qui, elle, nécessite un travail que l’on fait « couvert, masqué et par des moyens illégaux ».
Information donnée et information extorquée
Cette distinction n’est pas surprenante mais rarement reconnue : elle découle tout simplement du principe fondamental qui régit la relation d’information : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Dès lors, « l’information ouverte » de l’ambassadeur est en fait « l’information donnée », c’est-à-dire celle qui est facile d’accès parce qu’elle est livrée volontairement par l’émetteur dans la mesure où elle sert ses intérêts ou du moins ne leur nuit pas.
Elle s’oppose symétriquement à « l’information non ouverte », dissimulée, qui devient « information extorquée » car elle est obtenue à l’insu et/ou contre le gré de l’émetteur. Mais, contrairement à ce que soutient le diplomate, on n’y accède pas forcément « par des moyens illégaux » comme l’intimidation, le chantage, la violence, la torture. Il existe, Dieu merci, des méthodes pacifiques et légales pour l’obtenir : l’une est l’enquête critique méthodique qui réunit un pluralisme de sources pour les confronter ; l’autre est la ruse, avec toutes sortes de leurres comme le quiproquo employé par Günter Wallraff et Florence Aubenas : on sait que, dans leurs enquêtes respectives, ils se sont fait passer pour quelqu’un d’autre auprès des personnes dont ils voulaient recueillir des informations à leur insu (2) .
Si confuse que soit la leçon d’information de l’ambassadeur, elle a au moins le mérite de distinguer pour une fois avec raison sur une chaîne de radio deux variétés d’information : l’une dite « information ouverte » qu’il vaut mieux nommer « information donnée », est facile d’accès mais d’une fiabilité incertaine pour être soumise à l’autocensure de l’émetteur ; l’autre, « l’information non ouverte » qu’il est préférable d’appeler « information extorquée », est difficile d’accès mais d’une fiabilité plus grande car elle est soustraite à cette censure. On mesure donc combien est un leurre l’annonce rituelle qui précède les journaux radiophoniques : « Et voici les informations ! » Le mot « information » est ici présenté comme univoque et synonyme de "vérité", alors qu’il est équivoque et ne désigne qu’ « une représentation plus ou moins fidèle de la réalité ». Paul Villach
(1) Günter Wallraff, « Tête de Turc », Éditions La Découverte, 1986 – « Parmi les perdants du meilleur des mondes », Éditions La Découverte, 2010.
Florence Aubenas, « Le quai de Ouistreham », Éditions L’Olivier, 2010.
(2) Extraits de l’intervention de M. François Nicouleau, ancien ambassadeur de France en Iran, dans "le Journal de 13 heures" sur France Inter, lundi 17 mai 2010.
« François Nicouleau . - (...) Ces propos ont créé vraiment une très regrettable confusion. Entre ce qu’on appelle l’information ouverte légitime que chacun recueille en ouvrant ses yeux. C’est le travail d’un journaliste. C’est le travail d’un universitaire. On observe et on raconte ce qu’on observe tout à fait naturellement à ses amis, à ses partenaires. Et le travail de renseignement qui est tout à fait autre chose. Le travail de renseignement est un travail que l’on fait couvert, masqué et par des moyens illégaux. Et là, Clotilde Reiss n’a fait qu’observer ce que n’importe quel journaliste, n’importe quel passant pouvait observer, c’est-à-dire des manifestations dans Ispahan. Elle a raconté ça à ses amis de l’ambassade de France. Franchement c’est un très mauvais procès qu’on est en train de lui faire à ce sujet.
- La présentatrice Claire Servajean . - Ce sont des discussions et pas de l’espionnage si j’ai bien compris. »