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Intitulé « Aide aux personnels en difficulté », l’hypocrite bréviaire du petit inquisiteur administratif

Après la tentative d’assassinat d’une professeure à Étampes par un élève, en décembre dernier, on s’en souvient, le ministre de l’Éducation nationale, G. de ROBIEN, avait à la fois, en janvier 2006, exonéré de toute responsabilité son administration et annoncé la publication d’une circulaire indiquant à l’ensemble du personnel la marche à suivre en cas d’agression. Trois mois se sont écoulés, et sauf erreur, la circulaire se fait toujours attendre, comme s’il était si difficile que ça ... de recopier une loi qui existe... depuis 1983, mais qu’on refuse le plus souvent d’appliquer.

Serait-ce que le ministre soit devenu un « ministre en difficulté » ? C’est pourquoi on voudrait lui venir en aide. On aimerait, par exemple, s’il en est encore temps, lui demander de ne surtout pas copier sur le recteur de l’Académie de Montpellier qui a déjà signé, le 2 mai 2002 - entre les deux tours de la présidentielle - une circulaire de 36 pages, intitulée “Aide aux personnels en difficulté”, décrivant le dispositif académique mis en place à cet effet.

Qu’on ne se méprenne pas ! Ce beau titre humanitaire n’est qu’un leurre tiré de l’arsenal des stratégies de "communication" : il ne sert qu’à cacher aux aveugles ou aux naïfs les méthodes d’un manuel de police plus ou moins basses ! Les mots aide et difficulté ne renvoient pas du tout - mais alors, pas du tout ! - aux significations usuelles. Comme tout langage illusionniste et hypocrite des "vaseux communicants" d’aujourd’hui, celui de ce manuel demande à être traduit. Et ce n’est pas très difficile, tant les leurres ici sont grossiers.

1- Le procédé de l’amalgame.

On est ainsi stupéfait de découvrir que le terme difficulté est un amalgame qui recouvre dans ce manuel à la fois des fautes professionnelles, les congés de maladie, des délits ou des comportements variés non conformes aux volontés de la hiérarchie, comme l’expression de la liberté de conscience.
- En somme, les difficultés dont il s’agit, ont pour auteurs exclusifs les professeurs et les agents de service. Elles ne sauraient être créées par les autres groupes partenaires de l’Ecole que sont les élèves, leurs parents et la hiérarchie elle-même, tenus pour être en tout point irréprochables sans doute.
- En second lieu, le mot aide, si prisé de l’affairisme humanitaire, désigne, par un second amalgame, aussi bien des assistances légitimes à personnes en danger, que des procédures disciplinaires, policières, judiciaires, voire inquisitoriales. Et forcément, comme les difficultés sont censées ne provenir que des professeurs et des agents, l’aide prodiguée en question leur est jalousement réservée. Elle présente deux volets : 1- L’un est médical, avec une possibilité donnée au chef hiérarchique de choisir une réponse psychiatrique à une difficulté, avec l’obligation pour le subordonné de comparaître devant un comité médical départemental qui distribue et contrôle les divers congés médicaux. La porte, on le voit, est ouverte à la psychiatrisation de l’opposant. 2- L’autre volet, purement policier, est une procédure strictement balisée afin que le chef hiérarchique ne commette pas d’erreur qui empêche la sanction de tomber ou la retarde : l’étape de "l’instruction" est particulièrement détaillée avec la technique d ’élaboration du rapport d’accusation. Les fiches n° 1 et n° 2 indiquent "comment constater les faits et repérer les difficultés liées au comportement général et à l’exercice du métier d’enseignant ou d’agent" ; la fiche 3 traite de " la qualification des faits " : est-ce une faute, ou une insuffisance professionnelle ? Elle met en garde contre la confusion entre les deux qualifications, qui pourrait conduire le juge à écarter la sanction attendue. Enfin la fiche n°5, intitulée "Comment rédiger un rapport ", insiste sur l’importance de s’en tenir aux faits et aux témoignages, et sur la nécessité de conclure par une des quatre demandes suivantes : une aide technique pour éclairer une situation confuse, une inspection, une expertise médicale ou sociale, une sanction. Quant au "traitement d’urgence" d’une difficulté, trois mesures sont rappelées : l’interdiction d’accès à l’établissement, la suspension de l’agent, les congés d’office, afin de donner un délai de 1 à 4 mois pour réunir le comité médical départemental ou le conseil de discipline.

2- Des incriminations sujettes à des définitions arbitraires.

On passe de la stupéfaction à l’ahurissement quand on prend connaissance de la liste des difficultés répertoriées par les fiches n°1 et n° 2. Outre l’amalgame effectué entre les délits (pratiques frauduleuses / racisme / état d’imprégnation alcoolique / usage de drogue / problèmes de moeurs) et des fautes professionnelles (absences répétées injustifiées) - lesquels, évidemment, ne souffrent pas la moindre discussion -, on relève des incriminations laissées à la libre interprétation du chef hiérarchique : qu’est-ce qu’une "difficulté d’adaptation", par exemple, "un isolement excessif ", "une hyper-activité et dépendance au travail " ou bien encore "un refus d’obéissance" ? Faut-il croire à une autorité infaillible pour ne pas frémir devant les illustrations très personnelles qui peuvent être données de ces griefs ! Quant au "chahut dans la classe", qualifié de "difficulté de gestion de la classe", peut-on exclure la responsabilité d’élèves, de parents ou même d’un chef d’établissement qui décident de se payer "la tête d’un prof " ? Ou encore, un chef d’établissement n’a-t-il aucune responsabilité quand, dans ses consignes de début d’année, il interdit expressément toute exclusion ponctuelle de la classe d’éventuels individus perturbateurs, en contradiction même avec la circulaire ministérielle du 11 juillet 2000 qui l’autorise ?

3- Des dénonciations anonymées protégeant le délateur.

L’ahurissement, en tout cas, s’efface bientôt devant la peur, à la lecture de la fiche n°23, des "procédures disciplinaires" qui précisent que l’établissement du dossier d’accusation peut comprendre des témoignages de parents et d’élèves, "intégrés sous la forme de copies anonymes de telle sorte que leurs auteurs ne puissent pas être identifiés. " Le fait que soit requise la signature de l’accusé au bas de divers rapports établis , comme preuve de sa prise de connaissance, ou qu’il puisse adjoindre à part ses propres corrections ou remarques, ne change rien au caractère inquisitorial de la méthode. L’entretien préalable doit se faire en présence d’un témoin : autant dire que si la victime se présente seule, le chef hiérarchique et son témoin peuvent lui faire assumer n’importe quel propos. Quant au "dialogue", il obéit à la règle de “la communication” contemporaine : "Cause toujours, tu m’intéresses ! " Les objections de la victime ne sont qu’éventuellement ajoutées, sans que rien du rapport hiérarchique ne soit retranché. Or, l’expérience montre que la parole hiérarchique prévaut quasiment toujours sur celle du subordonné. Il ne s’agit que d’un leurre pour donner l’apparence avantageuse d’un dialogue, quand le sort de la victime est déjà scellé ! Car les effets de la loi liberticide du 12 avril 2000 qui protège les auteurs de dénonciation au détriment de leur victime, sont, on le voit, activement recherchés : tout professeur jugé indocile peut être accusé désormais anonymement sans qu’il puisse se défendre ; et un dossier secret est officiellement reconnu ! Faut-il nommer les régimes politiques passés qui se sont illustrés par ces méthodes policières ?

4- La dénaturation de la loi qui protège le fonctionnaire.

Un dernier indice confirme la nature inquisitoriale de cet exercice du pouvoir décrit dans ce livret rectoral pour venir en "aide aux personnels en difficulté " ! C’est la dénaturation du texte fondateur en matière de protection du fonctionnaire contre les attaques de toutes sortes à l’occasion de ses fonctions, l’article 11 de la loi 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Ce qui est tout de même le comble de l’impudence ! La fiche n° 6, intitulée humanitairement : "Accompagner un agent victime d’acte de violence", lui est consacrée. Sans doute commence-t-elle par souligner que la loi accorde au fonctionnaire une protection renforcée, mais c’est pour aussitôt dénaturer l’esprit et la lettre de l’article 11, qui stipule pourtant que "la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté." Il est clair que cet article fait de cette protection un devoir. Et toute la jurisprudence le confirme. La fiche n° 6 du recteur de l’académie de Montpellier, elle, la réduit à une simple possibilité ! "Tout agent, est-il écrit, peut bénéficier sur sa demande, auprès du service des affaires juridiques et contentieuses du rectorat, de la protection juridique. Un avocat est mis alors à sa disposition, les frais de justice sont pris en charge par l’administration." Cette différence entre " est tenue de " et "peut "... peut paraître anodine pour un non-initié. Quand on est familier des méthodes en usage, ce remplacement du devoir par la simple possibilité prend tout son sens. À en juger par une expérience de plus de quinze années, rares sont les cas où la protection de la collectivité publique a été accordée à une victime sur sa simple demande, à une exception près, il est vrai : seuls les chefs hiérarchiques y ont eu droit, y compris quand ils étaient en position d’agresseurs et que leur victime les faisait condamner en justice ! Pour bénéficier de la protection statutaire due, le simple professeur doit, quant à lui, ou bien aller devant le Tribunal administratif pour obtenir l’annulation du refus de protection demandée, ou bien menacer de le faire. Alors, seulement, le ministre et le recteur consentent à respecter la loi ! On aurait attendu d’un livret qui se propose d’offrir une "aide aux personnels en difficulté " qu’il copie au moins correctement la loi sans la dénaturer, à défaut d’être un engagement à la respecter scrupuleusement à l’avenir.

Cet hypocrite bréviaire du "petit inquisiteur administratif", grimé en secouriste, est révélateur de l’état d’esprit d’une hiérarchie, mais aussi de celui des professeurs qu’elle prend pour cibles : jamais n’avaient été écrites aussi crûment les directives d’une répression implacable, même si elle se pratiquait depuis longtemps. Il y a des choses que l’on fait, mais que l’on n’écrit surtout pas. Qu’un recteur ait pu vaincre cette pudeur en dit long sur sa certitude de ne pas rencontrer chez ses victimes potentielles la moindre réaction, et sur l’avilissement de celles-ci. C’est tout juste si un syndicat, localement, s’en est ému, allant même jusqu’à lancer audacieusement une pétition pour “exiger le retrait de ce texte” : qu’ est-il advenu de ce mouvement d’humeur ? En trois mois, le soufflé était retombé, et le texte, toujours là. Dans de telles conditions, le ministre peut-il avoir une autre idée de « l’aide au personnel en difficulté » ? Sa circulaire, impatiemment attendue, le dira. Paul VILLACH


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4 réactions à cet article    


  • Icare (---.---.52.146) 26 avril 2006 20:16

    cette affaire est de 2002. et le recteur a changé en juillet 2004... ama, c’est du rechauffé....


    • paul villach (---.---.47.226) 26 avril 2006 20:59

      Singulière façon de fermer les yeux, quand on n’a pas d’argument ! Ce bréviaire en vigueur est en effet réchauffé chaque fois qu’un indocile est en ligne de mire ! Les courtisans, eux, n’ont aucun souci à se faire ! Dormez donc tranquille, cher lecteur ! Paul Villach


    • Leon Bronstein (---.---.232.22) 26 avril 2006 21:51

      Navré de le dire, mais les « profs » ne font que récolter (pour la plupart) ce qui leur arrive !

      Il est interdit d’interdire !!!!

      Et ils pondent des circulaires délirantes...

      Les psycho-pedago ont pris le pouvoir dans cette sorte d’armée rouge ! Il est de bon ton chez les profs de conchier la Police et les Armées qui ne sont -à leurs yeux- le refuge des nuls et des minables, voire de factieux hystériques ! Pourtant dans ces Institution l ordre intellectuel est certainement plus présent que dans le moindre collège du « 9-3 ». J’ai très souvent entendu ce genre de remarques de la part de gens imbus de leur « supériorité » intellectuelle qui mettent genou à terre à la moindre esbrouffe de la part d un gamin de 14 ans qui ne parle même pas le français...

      Alors, messieurs les pédagos, regardez vous dans une glace, et vous y verrez le naufrage qui vous guette !

      Faire de la psycho communication alors qu une paire de baffes, et un renvoi définitif du trublion suffirait.... Ces « braves gens » feraient mieux de restaurer leur autorité selon les modèles anciens, de supprimer la culture du plagiat ( TPE et TIPE....), les QCM, et enseigner, Corneille, Racine, Cicéron en Latin, Thucydite en Grec... Au lieu d entrainer leur élèves à manifester et de les tromper.

      Les américains sont allés sur la Lune en 1969. Eux, ils vont route vers le VII siècle !!!

      Leon Bronstein


      • marino (---.---.237.168) 17 janvier 2007 16:01

        j’ai lu avec beaucoup d’attention votre article qui n’est malheureusement pas un article privilégié par la hiérarchie de l’Etat. je cherchais la jurisprudence en matière de cumul et celle relative à l’article 23 de la loi 83-634 de la même loi du 13 juillet 1983... très intéressée par une jurisprudence qui semble faire défaut... J’ai été malmenée au retour d’un CLD (congé de longue durée) et au bout du bout, après des années de harcèlement moral à mon encontre, j’ai été virée pour « faute grave » (art 25)... Cet article semble très prisé par les autorités et les tribunaux administratifs. Pourquoi les autres articles sont-ils à ce point déniés ?

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