Jean Lassalle, notre « subcomandante » Marcos ?
Il est des hommes qui un jour sortent du cadre et nous surprennent.
Ce fut le cas pour moi ce 1er janvier 1994 à Mexico, quand, avec l'ensemble du peuple mexicain, je fus réveillé, par une nouvelle stupéfiante : Un soulèvement avait lieu sur les hauts plateaux ( los Altos) du Chiapas. Ces descendants des Mayas, qui depuis la Conquista n'avaient plus de voix, saturaient tout d'un coup les médias. A leur tête, le "subcomandante" Marcos qui cachait sous un passe-montagne devenu légendaire la personne d'un professeur universitaire de l'UNAM (Université Nationale de Mexico) de la capitale fédérale México-DF.
A sa mesure notre député marcheur, Jean Lassalle, avec son non moins légendaire bérêt basque, en parcourant cette France que l'on n'entend pas et qui souffre, a aussi sublimé sa fonction en se donnant comme mission d'être "la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche" ( Aimé Césaire ).
LE SUBCOMANDANTE MARCOS, 20 ANS DEJA !
Ce soulèvement de 1994 a lieu le jour même de l'entrée en vigueur de l'ALENA, traité de libre commerce entre les États-Unis, le Canada et le Mexique. Ce traité a été imposé par les Etats-unis au Mexique pour la "libre" circulation des marchandises "made USA " fabriquées pour une grande partie dans les "maquiladoras" de la frontière avec une main d'oeuvre composée de ces indiens contraints d'abandonner leur terres. L'ALENA ou North American Free Trade Agreement, NAFTA, a été signé par le gouvernement mexicain corrompu de Carlos Salinas de Gortari (1) , champion de la privatisation entre amis (Carlos Slim, une des première fortune mondiale, peut le remercier pour la cession par l'Etat à vil prix de Telmex ), il n'a eu de cesse durant son mandat, sous couvert de modernisation, de démanteler l'industrie nationale et d' accélérer la mort de la petite paysannerie mexicaine avec une monnaie surévaluée accrochée au dollar américain ( cela ne vous rappelle rien ? ). Le mouvement de l'Armée Zapatiste de Libération, au delà des évidentes références historiques, marque le début d'une résistance sourde mais bien réelle au néolibéralisme et à la mondialisation des échanges qui en découle. Le subcomandante Marcos en prenant la tête de ce mouvement a rendu la parole à ces natifs des hauts plateaux des Chiapas que l'histoire a toujours tenté de rendre muets depuis ce funeste jour du 22 avril 1519 où Herman Cortes débarqua à Cozumel sur les côtes mexicaines, accueilli comme il se devait alors par les Mayas avec de la nourriture, des plumes et de l'or. Ils ne tardèrent pas à subir la seule loi que respectaient les conquistadores, la domination par la violence.
Ce 1er janvier 1994, les combattants zapatistes, au visage caché par des passe-montagnes, ont déclaré la guerre au gouvernement fédéral et à son armée, et sont parvenus à occuper divers chefs-lieux de l'État du Chiapas parmi lesquels San Cristóbal de Las Casas. Après douze jours de combats menés par l'EZLN ( l'armée Zapatiste de Libération Nationale), le gouvernement décrèta un cessez-le-feu unilatéral sous la pression de la société civile nationale et internationale. Depuis, le "subcomandante" Marcos et les combattants des hauts plateaux ont déposé les armes et sont devenus à l'échelle internationale le symbole de cette résistance au tsunami du libéralisme. Se posant en véritable alternative à l'économie mondialisée, les zapatistes ne recherchent pas l'indépendance des peuples indiens mais bien leur autonomie pour la sauvegarde d'une économie locale qui depuis des siècles a fait ses preuves. Depuis 2003, dans les villages chiapanèques des systèmes alternatifs de justice, de santé, d'éducation, de police, de gouvernance se substituent à ceux que l'Etat fédéral ont laissé à l'abandon. Ainsi des écoles primaires et secondaires, des cliniques autonomes sont les réalisations concrètes de cette volonté de se prendre en charge et ne plus attendre du pouvoir central des solutions qui de toute façon ne répondront pas aux besoins particuliers de ces populations.
Etrangement, 20 années après, la longue marche sur les routes de France du Député Lassalle - ce "défenseur des territoires ruraux et d’une écologie humaniste"- entre en résonance avec la démarche de ce professeur d'université de l'UNAM - éduqué dans un collège jésuite et adepte de la théologie de la libération - qui, il y a vingt ans, décida de rejoindre les montagnes des Chiapas pour devenir ce mystérieux et inclassable subcomandante Marcos.
UN DEPUTE QUI PREND LA CLE DES CHAMPS
Que s'est-il passé dans la tête de Jean Lassalle, ce 10 avril 2013, pour quitter l'assemblée nationale et partir sur les routes de France ? Quelles sont ses motivations profondes ? On ne le saura peut-être jamais. Dans un article du Monde du13 décembre, on y lit "que le député de 58 ans a voulu aller à la rencontre du pays, car des signes d'un délitement généralisé l'ont inquiété. « Je voyais que notre pays s'enfonçait dans l'individualisme et le repli sur soi. Après la crise économique, nous étions face à une crise morale, une crise de confiance »". Il semble bien éloigné des préoccupations partisanes de ces ami(e)s centristes et c'est peut-être la peur de se retrouver seul qui l'a poussé à prendre l'air de ce Modem abandonné par tout le monde et en premier lieu par son chef. Neuf mois après on le retrouve à l'Assemblée Nationale, avec ces 256 " cahiers de l'espoir" sous le bras,(déposés au fil des jours sur le site "le depute qui marche" ),à l'occasion de journées citoyennes, pour donner la parole à ces désespérés, ces silencieux qui ont des idées plein la tête mais peu de mots pour les dire.On y parle de la désertification des campagnes, de la désindustrialisation et la dévitalisation des villages et petites villes de province, on y parle de cette jeunesse que l'on peine à respecter et à lui faire une place, on insiste sur cette école fondamentale à reconstruire, sur la nécessaire refondation de notre système social par l'allocation d'un revenu universel, on dénonce cette Europe des affaires et du Grand Marché à la monnaie surévaluée ( comme vingt ans auparavant au Mexique) qui s'oppose à une Europe des peuples. Il reste à relier tous ces cahiers de l'espoir et ce ne sera pas une tâche facile.
Avec cette aventure hors des salons parisiens, en prenant le temps et le risque de rencontrer au cours de son périple ceux que les médias ignorent, il ne peut pas les trahir. Il lui revient maintenant la charge d'être un de leurs représentants. A lui maintenant de mettre en perspective cet espoir que beaucoup ont posé sur ses épaules.
Dans quelques mois, il ne restera peut-être rien de cette aventure solitaire. Mais peut-être que, à la condition que d'autres, d'horizons politiques divers, acceptent de marcher ensemble, on assistera à la naissance d'un vaste front de résistance, humaniste et bienveillant, qui saura enfin redonner espoir au citoyen dans son propre quartier ou son village en les détournant de ce front du refus, du repli,de la peur et de la haine que tente d'organiser le Front National.
Je n'ai jamais fréquenté de près ou de loin les centristes de quelque sensibilité que ce soit, qui au grè des divers gouvernements ont fait et défait des majorités, mais je salue l'homme debout qui, à sa façon, à su tracer un chemin de l'espoir. De toute façon, il nous faudra bien, comme ce fut le cas pendant la deuxième guerre mondiale avec le Conseil National de la Résistance, devant l'urgence , apprendre à respecter nos différences et à nous unir pour mettre en place un programme d'actions capable de se poser en alternative à ce capitalisme total que l'on nous impose et qui nous anéantit.
Vingt ans après le soulèvement indigène des Chiapas,faisons le voeu que 2014 soit l'année de l'insurrection des consciences qui nous permette d'élaborer une alternative à cette jungle mondialisée où tout est permis et où chacun est condamné à réussir aux dépends de son voisin, où "cette guerre de tous contre tous " nous prend toute notre énergie et nous vole notre conscience.
Un jour, on ne sait pas pourquoi, le simple battement des ailes d'un papillon peut déclencher une tornade à l'autre bout de la Terre ; c'est aussi ça la mondialisation.
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(1) Voir cet article du Monde à son sujet
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