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Accueil du site > Tribune Libre > Justice : Le procureur peut-il être indépendant ?

Justice : Le procureur peut-il être indépendant ?

Quelle légitimité pour les personnes qui exercent la fonction juridictionnelle, avec quelle finalité ?

Laurent Le Mesle Procureur général de la Cour d’appel de PARIS

Qu’est-ce qu’être indépendant, indépendant par rapport à quoi, indépendant par rapport à qui, c’est toute la difficulté !

Il faut d’abord rappeler la répartition des fonctions au sein de la « sphère publique » (I), avant de rappeler la fonction des procureurs au sein de la « Fonction justice » (II), pour soutenir ensuite que les Procureurs ne peuvent en aucun cas être indépendants (III).

I La répartition des fonctions dans la sphère publique

La sphère publique, les affaires publiques sont régies depuis bien longtemps par le mythe de la « Séparation des pouvoirs », qui permettrait d’éviter l’arbitraire.

Ce mythe nous vient de Montesquieu qui lui-même était magistrat.

Ce mythe a été consacré par l’article 16 de la Déclaration de 1789 qui prescrit :

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »

Le mot « Pouvoir » dans la Déclaration de 1789 doit être interprété au sens de « Fonction ».

La « Séparation des pouvoirs » visée par la Déclaration de 1789, c’est la séparation des fonctions : la fonction législative ; la fonction exécutive (le Gouvernement) et la fonction justice.

Il relève de la plus grande importance de le comprendre, car la « Séparation des Pouvoirs » et la « Séparation des Fonctions » sont des concepts distincts qui reposent sur des plans distincts.

Confondre ces deux concepts revient à se priver de la possibilité de construire une Démocratie car justement ce modèle de société repose sur la combinaison des concepts de « Séparation des fonctions » et de « Séparation des Pouvoirs ».

Qu’est-ce que la « Séparation des pouvoirs » ?

La « Séparation des pouvoirs » suppose deux pouvoirs qui pourront s’opposer s’équilibrer et cet équilibre instable caractérise le concept de démocratie :

- d’une part, le pouvoir d’agir dans la sphère publique : des personnes physiques habilitées agissent par le biais d’acte législatif, d’acte administratif, d’acte juridictionnel ;

- d’autre part, le pouvoir de paralyser une action faite au sein de la sphère publique : dans une démocratie, toutes personnes physiques ou morales doit pouvoir agir pour paralyser les illégalités commises à leur encontre par des personnes agissant pour le compte de l’Etat.

Ainsi, une société démocratique repose sur une " Équation constitutionnel " qui articule deux principes :

- le principe de LIBERTÉ, c’est le pouvoir de tout faire sauf ce qui est interdit (Article 4 de la Déclaration de 1789), c’est le principe d’action d’une personne physique poursuivant un intérêt privé ;

- le principe de DROIT, c’est l’interdiction de rien faire sauf pouvoir, prérogative conféré par une règle de procédure qui permet de faire ceci ou cela (Autres articles de la Déclaration de 1789), c’est le principe d’action d’une personne physique exerçant une mission de service public.

Exemple, depuis l’abolition de la peine de mort, un Procureur ne peut plus requérir la peine de mort, car aucun texte ne lui confère plus ce pouvoir.

Autre exemple : un magistrat décide le placement d’une personne en détention provisoire, cette personne se sachant innocente doit pouvoir actionner une procédure pour « contrer » la volonté du magistrat qui souhaite son placement en détention provisoire.

Une Société ne sera démocratique qui si et seulement si la fonction juridictionnelle est construite de telle manière qu’une action illégale commise au sein de la sphère publique pourra être « contrée », c’est-à-dire empêchée dans les meilleurs délais.

II La fonction des procureurs

Quelle est la fonction dévolue aux Procureurs ?

Leur fonction est de requérir l’application de la loi pour que celle-ci soit appliquée de la même manière sur tout le territoire.

Les Procureurs interviennent pour l’essentiel en matière pénale.

En matière criminel (infraction réprimée par + de 10 ans de prison) et en matière délictuelle lorsque l’auteur est inconnu, en fuite, ou lorsque l’infraction est complexe, une instruction préalable doit être conduite par un magistrat (juge d’instruction) avant renvoie éventuel devant la juridiction de jugement (Tribunal correctionnel ou Cour d’assise).

Mais le juge d’instruction ne pourra « informer » c’est-à-dire enquêter sur une affaire que si et seulement si, le Procureur lui délivre des « Réquisitions », c’est-à-dire une autorisation d’instruire sur tel ou tel fait qui paraissent contraires aux dispositions du Code pénal.

Ainsi, le Procureur joue un rôle essentiel en matière pénale :

- il décide de l’ouverture de poursuites pénales ;

- à l’audience, il requière des condamnations en fonction des dispositions du Code pénal et surveille l’exécution des peines.

III Les Procureurs ne peuvent en aucun cas être « indépendants  »

Le Procureur ne peut en aucune manière être indépendant, car être indépendant c’est faire prévaloir sa propre volonté alors que le Procureur ne peut en aucune manière faire ce que bon lui semble, mais uniquement requérir l’application de la loi, c’est-à-dire l’application des règles de fond instaurer par la volonté générale.

On n’imagine pas un instant qu’un Procureur puisse, face à un crime ou un délit, ne pas requérir l’ouverture d’une procédure pénale et ne pas demander une condamnation à l’audience.

C’est en ce sens que le Procureur ne peut en aucune manière être indépendant, car son action dépend de ce que la loi commande de faire ou de ne pas faire.

Accepter qu’un Procureur puisse faire ce que bon lui semble, c’est-à-dire ne pas ouvrir une information judiciaire en cas d’infraction c’est priver la victime de son droit à réparation, c’est encore accepter le retour de la féodalité, c’est-à-dire accepter que sur les différentes parties du territoire puisse coexister des régimes juridiques différents, sous la coupe d’un « seigneur » ayant le pouvoir de faire prévaloir sa volonté à la volonté générale, sans aucun contrôle.

Le Procureur, parce que sa mission consiste à requérir l’application de la loi, expression de la volonté générale doit nécessairement être placé sous le contrôle d’une autorité à compétence nationale (Ministre de la justice) qui doit pouvoir lui rappeler la finalité de sa fonction, c’est-à-dire requérir l’application de la loi de la même manière sur tout le territoire.

Cependant, une difficulté se pose, lié au fait que le Ministre de la justice est membre du Gouvernement et donc du « Pouvoir exécutif », ce qui peut constituer une entorse au principe de la « Séparation des fonctions ».

La difficulté n’est pas uniquement théorique mais lié au fait que le Gouvernement peut dans cette configuration demander au Procureur d’accorder une immunité pénale à telle ou telle personne ce qui n’est pas acceptable.

Pour éviter cette situation, il faut détacher le Ministre de la justice du gouvernement c’est-à-dire de la « Fonction exécutive ».

IV Détacher le Ministre de la Justice du Gouvernement

Les Procureurs doivent être placés sous une autorité à compétence nationale, un Ministre de la justice, un « Procureur général de la Nation », on l’appellera comme on le voudra, mais cette personne élue au suffrage universel devra pouvoir exercer un contrôle sur le bon exercice de la fonction justice.

Aujourd’hui, le Procureur tient sa légitimité sur le plan organique du Président de la République qui le nomme à sa fonction, cette situation pose nécessairement une difficulté dans une société démocratique

Pour assurer un bon fonctionnement de l’institution « Justice », il faut que le Procureur soit placé sous une autorité indépendante du « Gouvernement ».

Cependant, le Procureur doit rendre des comptes à sa hiérarchie, à défaut, il serait « autonome », ce qui est radicalement impensable dans une société démocratique.

L’autonomie conduisant à ré instaurer la féodalité.


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13 réactions à cet article    


  • morice morice 31 octobre 2009 11:09

    voir l’article de Sylvain du jour où il ne cite pas LeMesle, présent à deux heures du matin au bord d’un étang le 30 octobre 1979....

    Si Pasqua déballe tout, Le Mesle a du souci à se faire...

    • Fergus Fergus 31 octobre 2009 11:38

      Le Mesle et Marin, les deux principaux fossoyeurs des enquêtes contre les membres éminents de l’UMP et de feu le RPR. Amusant d’apprendre que Le Mesle aurait été membre du sulfureux SAC. Cela expliquerait sa culture du zèle en faveur de ses puissants amis et son absence de scrupules.


    • jps jps 31 octobre 2009 11:37

      la Cour européenne de Strasbourg dénie à ce jour au procureur de la République la qualification d’autorité judiciaire indépendante au sens de l’article 5 de la Convention (CEDH, 10 juill. 2008, Medvedyev c/ France )


      • Fergus Fergus 31 octobre 2009 11:49

        D’accord avec l’auteur sur le rôle des procureurs, je ne le suis pas en revanche sur sa conclusion. Certes, on peut imaginer que le Garde des Sceaux se situe hors de l’exécutif, mais il n’en demeurerait pas moins subordonné au bon vouloir du Président et à sa volonté de couper court à toute investigation gênante pour lui-même ou ses amis politiciens ou financiers.

        Je pense que la meilleure garantie, en l’état actuel des institutions, serait de dissocier totalement le Garde des Sceaux (ou un éventuel Procureur général d’état, comme suggéré dans l’article) de la présidence de la république et du gouvernement en le faisant nommer par... le Conseil d’Etat pour un mandat complètement détaché du calendrier politique.

        Aucune solution n’est jamais parfaite, mais celle-ci aurait au moins le mérite d’être conforme à... l’esprit des lois et aux valeurs de la démocratie à laquelle aspire le plus grand nombre d’entre nous. 


        • zelectron zelectron 31 octobre 2009 13:13

          et un système pour moitié (?) d’élus par les citoyens, pour former des binômes judiciaires ?
          Ce débat n’est toujours pas entamé ...
          (inutile de « copier » le droit anglo-saxon : lui non plus n’est pas parfait)


          • plancherDesVaches 31 octobre 2009 13:33

            Excellent article.

            Même si je ne vous suis pas dans la distinction entre pouvoir et fonction. Une fonction contient forcément l’exercice d’un certain pouvoir.

            Bon, sinon, comme écrit ci-dessus, aucun système ne peut être parfait. Si ce n’est que la Justice se fait transformer en système américain par le pouvoir en place.
            Et vous devriez savoir que cela signifie que ce sont les accusés les plus riches qui pourront faire pencher la balance de leur coté.
            Soit, la mise en place d’un système féodal.


            • FLORILEGE1975 FLORILEGE1975 31 octobre 2009 14:24

              "Les garants de l’indépendance de la justice courbent l’échine face au pouvoir exécutif. L’histoire de la justice nous enseigne que, sauf exception, telle celle du premier président de la cour d’appel de Paris, Marcel Rousselet, qui fut mis à la retraite d’office, en 1962, pour un acte d’indépendance face à de Gaulle, la haute hiérarchie judiciaire a plus brillé par sa soumission aux désirs des princes régnants et aux anticipations de leurs souhaits, que par une défense sourcilleuse de l’indépendance de la justice face au pouvoir exécutif. Mais de là à imaginer qu’elle irait jusqu’à s’installer sur le marchepied du carrosse présidentiel..."


              • lord_volde lord_volde 31 octobre 2009 15:12

                Article très moyen qui colporte quelques inepties et omet de rappeler la réelle activité des fonctionnaires parquetiers hierarchisés, soumis aux devoirs de réserve et d’obéissance et dépendant du prince en ce qui concerne leur carrière. Il aurait fallu rappeler par exemple la règle contraire à la constitution de l’opportunité des poursuites qui permet aux procureurs de donner ou pas suite aux dénonciations ou faits dont il a eu connaissance. Ils s’assoient sur la même estrade à la droite des juges du fond en formation de jugement. Il peut faire saisir le juge d’instruction de son choix en fonction du calendrier des roulements et des permanences à partir desquels les affaires sont distribuées. Il possède plus de pouvoir que les parties (victimes ou mis en examen) et peut s’opposer à la remise en liberté d’un individu par la voie d’une procédure d’exception. La CEDH a récemment affirmé que les parquetiers ne sont pas des magistrats en ce sens que la fonction ne remplit les conditions de son indépendance vis à vis du pouvoir exécutif. 
                Ce sont donc des fonctionnaires à la botte du pouvoir Présidentiel. 


                • lord_volde lord_volde 31 octobre 2009 15:14

                  correction : ne remplit pas....


                  • lord_volde lord_volde 31 octobre 2009 16:29

                    Ah oui, j’oubliais de préciser qu’en terme de responsabilité, la magistrature dispose d’une clause d’immunité tacite évidemment non écrite qui, sous couvert de l’existence des voies de recours s’arrêtant par ailleurs devant la cour de cassation, interdit concrètement toutes actions en responsabilité professionnelle. Seul l’organe politique du CSM assez protecteur des intérêts corporatistes de la profession peut infliger des sanctions, mais rarement pour des faits de forfaiture, de prévarication ou d’acte délibéré déguisant un déni de justice flagrant. 


                    • Bobby Bobby 31 octobre 2009 18:33

                      Bonsoir,

                      Pour la théorie, on peut croire à ce billet au dessein vulgarisateur. Mais, dans la pratique on est loin du compte !

                      Les hommes sont hommes et faillibles. Les principes ici rappelés, largement transformés, ne servent plus qu’une dynamique à plusieurs vitesses qui a fait dire à Monsieur de La fontaine en son temps et ce n’était certes pas nouveau : « Selon que vous serez riche où misérable... »

                      Aujourd’hui, la complexité même de l’ensemble du judiciaire érigé en véritable système ne fait qu’accélérer la croissance des augmentations entre les plus démunis et les plus riches (s’il en était encore nécessaire) dans une mouvance politico-sociale qui touche à sa fin. La « crise » cessant d’être viable lorsque les différences deviennent trop importantes ! C’est ce qui semble bien s’amorcer actuellement. La prise de conscience de ce phénomène voit tous les jours se renforcer les régimes « policiers » afin de mieux contrôler une population considérée de plus en plus comme un danger par ceux qui bénéficient de privilèges (qu’on peut comprendre) qu’ils désirent garder par dessus tout.
                       
                      Il est a noter que nos sociétés sont pratiquement toutes basées sur une seule et même reconnaissance d’un droit unique : « la propriété privée »... qui constitue par elle même une faute grave de principe. Faute qui a mené toutes nos « évolutions » dans un véritable « cul de sac » sociétal dont nous allons probablement sous peu, toucher le fond.

                      C’est bien du peu d’aptitude au changement (de mentalité, de système...) qu’il faut attribuer le danger que nos sociétés dites modernes font courir à l’ensemble de la population mondiale, de sa rigidité qui voit le modèle américain redresser aujourd’hui en apparence les effets de la « crise » en se mettant d’autant plus en danger de créer les conditions d’une véritable guerre civile... allant jusqu’à démolir les maisons des personnes qui ne peuvent plus payer au risque de voir ces dernières obligées de se retourner contre cette ineptie rigide qui les met directement en danger de mort.

                      Revoir la finalité d’une mesure, d’un système est à mon sens la seule voie qui permet un simple espoir de survie au genre humain. Ce, à moyen terme.

                      Bien civilement



                        • xray 31 octobre 2009 19:42


                          JUSTICE 

                          L’unique problème de la justice est un problème de mobilier humain. 

                          Trop d’argent va à la justice pour payer des magistrats irresponsables et incompétents. 

                          Les magistrats sont particulièrement sélectionnés parmi des personnes incompétentes en tout domaine. Souvent même, parmi des personnes connues pour leur perversité. 
                          Ce qui n’exclu pas les femmes. Si l’institution judiciaire a ouvert en grand la porte aux femmes, ce n’est pas un hasard. 


                          Dans un tel contexte,  l’irresponsabilité s’impose. 
                          Un procureur de la république a dit un jour : « Si l’on responsabilise les juges, il n’y a plus de justice possible ». Tout est dit ! La notion de justice est une variable qui oscille suivant les intérêts du seul Pouvoir. 

                          Les magistrats n’ont d’ordres à recevoir que de leur dieu imaginaire. Ils sont au service d’un pouvoir qui gagne à pourrir la vie du plus grand nombre. 


                          Des juges irresponsables et incompétents 

                          http://mondehypocrite.midiblogs.com/archive/2009/06/06/trop-d-argent-va-a-la-justice-pour-payer-des-juges-irrespons.html 

                          L’EUROPE des curés 
                          http://mondehypocrite.midiblogs.com/archive/2009/06/22/l-europe.html 

                          Une solution simple n’est pas obligatoirement mauvaise. 
                          http://mondehypocrite.midiblogs.com/archive/2009/06/05/une-solution-simple-n-est-pas-obligatoirement-mauvaise.html 

                          L’injustice est un métier. 
                          http://echomonde2.wordpress.com/ 


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