Le rapport rendu (refondonslecole.gouv.fr) après la concertation très pro, très « professionnel de la profession », les « personnalités autorisées » comme avait dit Coluche contient cette phrase p 9 : « nous assistons à un décrochage croissant entre notre École et une société française en pleine mutation – économique, sociale, technologique… – qui empêche notre institution de rentrer dans l’ère de la modernité. » Bigre.
Il faut d’abord remarquer que cette phrase par elle-même est une tautologie. Ce n’est pas un décrochage croissant entre l’École et la société qui est la cause de l’empêchement d’entrer dans la modernité. Cela ne constitue pas une cause et un effet. Il s’agit de deux écritures du même phénomène qui sont présentées comme un ensemble cause-effet. Les rédacteurs auraient pu tout aussi bien écrire : « nous assistons à une sorte d’empêchement pour notre École d’entrer dans l’ère de la modernité qui provoque un décrochage croissant entre elle et une société française en pleine mutation – économique, sociale, technologique… » On n’aurait pas été plus avancé.
Barthes disait que la tautologie était une marque forte de l’idéologie bourgeoise, dans Mythologies (p240. Ed du Seuil).
Il n’y a donc pas d’ouverture, pas de mouvement, cela tourne en rond.
On peut aussi se demander comment cette École qui décroche de la société reste « notre École ». C’est un pansement prodigué avant même de traiter le problème. Si l’École décroche, elle est au moins de moins en moins « notre École ». Jusqu’à pas du tout, me semble-t-il, si le décrochage dure. Où en est-on du développement de cet écart ? de son extension ? de son arrêt ? ou de sa réduction ?
Si l’on fait ce constat que l’École est de moins en moins l’École de la société, ou pour l’exprimer autrement qu’elle n’entre pas dans la modernité, il faudrait ouvrir une problématique, des hypothèses, voire des expériences pour valider ou infirmer les hypothèses, et enfin, élargir les solutions qui ont réussi à réduire ce décrochage.
L’aspect tautologique de cette formulation n’est pas une « maladresse de langage », elle signifie que le problème ne sera pas traité.
En revanche, le rapport traite abondamment des élèves décrocheurs qu’il propose d’appeler élèves décrochés. « La lutte effective contre le décrochage est un impératif. » Cependant, le décrochage de l’école ne sera plus évoqué.
Comme à l’accoutumé des discours sur l’école, ce texte est constitué d’un grand nombre de phrases passives ou impersonnelles. La concertation, la refondation sont souvent les sujets des phrases, comme si elles étaient des acteurs de l’école.
Par exemple, p 20 : « La refondation doit aussi penser l’École dans une dimension prospective. » La refondation n’étant pas une personne et ne pensant pas par elle-même, qui va penser dans cette dimension prospective ? Qui bâtit « Ces scolarités sans chemin de traverse, construites de façon binaire – l’échec ou le succès – et qui constituent trop souvent des impasses » ? Où sont les instructions qui portent cette vision binaire et qui obligent les enseignants à des pratiques idoines ?
p 19 « Transformés en simples exécutants, ne comprenant plus le sens des mesures mises en place, les enseignants – qui devraient être l’énergie des réformes dans les établissements aux côtés des personnels d’encadrement – témoignent aujourd’hui d’une faible confiance dans les cadres politiques et administratifs. » Certes. Mais de quelles réformes, de quelles manières de faire ou d’organiser, dont ils seraient porteurs ou qui auraient sens pour eux, sont-il empêchés d’accomplir ?
p 24 « l’opposition stérile entre instruction et éducation doit être dépassée » Phrase impersonnelle : Qui institue cette opposition ? qui la pratique dans le discours ? D’abord les enseignants.
On retrouve l’écart entre la Nation et l’Ecole p 28, sans que soit rappelé qu’il s’agit là de cet écart : « pour un pays qui se targue de placer l’égalité au fronton de toutes ses mairies, (…) Les inégalités de tous ordres, sociales, territoriales, sexuelles… ont envahi l’école française. »
Bref, le problème énoncé est évité et contourné.