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L’écrivain algérien Karim Akouche : le problème algérien est avant tout identitaire

Après sa pièce « Qui viendra fleurir ma tombe », qui a connu un grand succès à Montréal, Karim Akouche nous invite dans son nouveau roman « Allah au pays des enfants perdus » à partager le chaos vécu par les jeunes Algériens d’aujourd’hui. Dans cet entretien, il nous parle de son Algérie et ses démons.

« Le savoir n’a plus cours. La bureaucratie est érigée en éthique et la corruption en morale politique… Tout me dégoute ici ! » Se plaint Zar (p.90). Cinquante ans après l’indépendance, sommes-nous en Absurdistan comme dit son ami Ahwawi ?

L’Absurdistan est une appellation ironique qui décrit l’Algérie d’aujourd’hui, ce pays où la réalité supplante la fiction, où se côtoient bureaucratie et islamisme, où le fanatisme dispute la première place à l’absurde. Aller dans une mairie pour demander un acte de naissance est un parcours du combattant. Quand le droit le plus élémentaire est bafoué, quand il est considéré de surcroît comme un service rendu par l’État, cela s’appelle la bureaucratie. Les signes de corruption sont visibles partout en Algérie. Au port d’Alger, par exemple, les douaniers rackettent les passagers au vu et au su de tout le monde. Une anecdote qui frise le ridicule : il y a quelques années tout Alger puait. L’origine de la puanteur : deux bateaux chargés de pommes de terre pourries. Pourquoi ? Un général les a fait bloquer pendant plusieurs semaines, parce qu’un industriel, un concurrent, a eu le tort d’importer la même marchandise à la même période. Si Kafka revenait au monde, l’Algérie serait son sujet de prédilection. Bref, l’Algérie, c’est l’Absurdistan par excellence, autrement dit, c’est Le Château et Le Procès réunis, multipliés par mille.

« Un peuple qui ne se bat pas pour sa dignité est mûr pour l’esclavage  ». Pouvez-vous approfondir cette belle phrase mise dans la bouche de l’artiste Ahwawi. (p78) Se battre contre quoi, contre qui ?

La dignité, c’est l’honneur ; et la première des dignités, c’est la liberté. Si on ne se bat pas pour elle, on la perd et on devient un être assujetti, un esclave. Les démocrates algériens sont paralysés par la polarisation idéologique où les ont piégés les décideurs depuis la soi-disant ouverture démocratique de 89. Crédules, chacun a choisi son camp, les uns ont soutenu les islamistes, les autres les militaires, alors qu’ils devaient constituer un front pour se battre contre l’hydre à deux têtes, la chéchia et le képi, qui a étouffé – et étouffe toujours – l’Algérie. On ne peut pas dissocier l’islamisme du banditisme d’État, donc du pouvoir maffieux. Ce dernier se sert de l’islam, comme d’une redoutable morphine, pour prolonger la léthargie du peuple. Ceux qui pensent que l’islamisme peut être doux, qu’il est soluble dans la démocratie, se trompent d’analyse. L’islamisme n’est pas une maladie bénigne, mais un véritable cancer qui ronge nos sociétés. L’islamisme, c’est le péril vert, il vise à dominer, à avilir l’être humain.

« À Ath Wadhou, l’espoir est inscrit aux abonnés absents. Les jeunes coutumiers des lendemains qui fuient ne savent plus où aller. » (p.15) Où va l’Algérie ?

L’Algérie sombre, hélas, dans la décrépitude. À l’horizon, ça n’augure rien de bon. Le pays est sinistré, l’économie sclérosée et à l’école, au lieu d’enseigner aux élèves le savoir, on les assomme à coups de versets. Hormis quelques initiatives louables de la jeunesse, rien ne bouge. L’Algérie vit exclusivement de la manne pétrolière. On ne crée presque aucune richesse et on importe de l’étranger les produits de première nécessité, comme le lait, le blé et la pomme de terre. Comble de l’absurde, pour satisfaire les caprices d’un chef d’État défaillant et agonisant, on bâtit la deuxième plus grande mosquée du monde après celle de la Mecque. Plus de deux milliards de dollars seront gaspillés pour ériger un minaret de 270 mètres de haut, une fusée qui ne décollera jamais, comme disait Kateb Yacine, et une salle qui accueillerait 120 000 fidèles. Des chiffres qui donnent le tournis. C’est hallucinant ! Bouteflika croit qu’il va entrer dans la postérité avec une telle réalisation. Quelle aberration ! L’Histoire saura reconnaître les grands hommes, pas les nains.

Et l’identité ?

Le problème algérien est avant tout identitaire. Il y a une identité meurtrière, l’officielle, et des identités meurtries. Le rapport de force entre elles est disproportionné. La première a l’État, les moyens institutionnels, financiers et logistiques, et les autres sont reléguées au rang de figurantes, de folklore. Le génocide au Rwanda vient de la négation de la réalité identitaire rwandaise par les Occidentaux, qui ont essayé de niveler les peuples et les cultures de ce pays, ignorant que la démocratie en Afrique n’a pas la même acception que chez eux. Au Rwanda, c’est le slogan artificiel et creux « un seul peuple, un seul vote, une seule identité » qui a conduit au massacre de plus de 800 000 personnes. Les Hutus et les Tutsis sont deux peuples distincts, avec deux philosophies, deux modes de vie, diamétralement opposées. La politique de l’autruche qu’appliquent les décideurs algériens depuis l’indépendance à l’égard des Amazighs, les Berbères, notamment les Kabyles, est suicidaire. Un conflit des identités, s’il n’est pas réglé avec raison, risque de se métamorphoser en conflit des civilisations. Si l’on veut sauver la maison « Algérie », il y a urgence d’éteindre le feu identitaire.

Karim Akouche, Allah au pays des enfants perdus, éd. Dialogue Nord-Sud, Montréal, 2012.


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8 réactions à cet article    


  • Richard Schneider Richard Schneider 10 novembre 2012 16:31

    Ce que j’apprécie le plus dans cet article, c’est l’admirable lucidité de Karim Akouche.

    Il faut savoir gré à l’auteur d’avoir diffusé les idées et le amères réflexions de l’écrivain algérien - qui gagne à être beaucoup plus connu.

    • Menouar ben Yahya 10 novembre 2012 20:45

      Pour moi la lecture du livre de Lounis Aggoun et Jean Baptiste Rivoire « Françalgérie mensonges et crimes d’Etat » a fait l’effet d’une bombe. Bien sur on se doutait, des manipulations, de la corruption, des massacres faussement imputés aux islamistes mais un tel degré de cynisme, un telle descente dans l’ordure et l’ignoble était pour moi difficilement concevable. Ce livre fait par des journalistes d’investigation, confirme les doutes par exemple sur les meurtres des moines de Tibérine, les massacres d’Algériens assassinées par de faux barbus mais vrais militaires mais aussi l’affaire Kelkal et les attentats qui ont ensanglanté la France…derrière toutes ces « affaires », des généraux algériens et leurs services secrets. Un peuple que l’on a laissé se faire massacrer, la France en premier lieu, complice avec ceux qui ont confisqué la révolution au peuple algérien, de peur de voir un régime à l’iranienne s’installer à Alger et de perdre la relation privilégiée qu’elle entretient avec ces généraux véritable maître de ce pays, un peuple qui avait voté pour dire non à la corruption et oui à la démocratie, la seul fois ou l’Algérie a voté, sa victoire lui a été confisquée, alors qu’il suffisait d’organiser de véritable élections démocratiques en appliquant la loi, sur la non possibilité pour un parti religieux de se présenter. depuis son indépendance, l’Algérie n’avait pas connu d’élection libre, elles ont toutes été truquées par ces généraux qui n’ont pas hésité à faire basculer le pays dans le chaos pour se maintenir au pouvoir et nous savons « qu’il y a tyrannie dés que l’on impose une idée par la force et que le peuple doit gouverner coute que coute ».

      Le printemps algérien a eut lieu en 1988, les militaires ont tiré, des centaines de morts ! L’hiver islamiste aduré plus de dix ans, des milliers de morts, le pouvoir entretient cet islamiste moribond en soufflant sur les braises pour mieux jouer sur les peurs. Si aujourd’hui, l’Algérie sort groggy de ses années sombres, elle se méfie des islamistes car si il prouvé que le GIA et autres mouvances étaient infiltrés et manipulés par les services secrets dans leur guerre à outrance, les islamistes n’étaient pas tous manipulés et ils ont fait couler beaucoup de sang, alors il me semble peu probable que l’Algérie répondent à l’appel de ces sirènes de mauvaise augure.

      Plus que l’identité, le problème de l’Algérie ce sont ses dirigeants, des militaires multimillionnaires qui mettent en place des marionnettes en guise de Président, qui tuent dans l’œuf toutes velléités d’action qui viserait à nuire à leur pouvoir, la démocratie les menace directement puisque dans ce système, le peuple serait habilité à leur demander des comptes !


      • gebybii 10 novembre 2012 21:11

        Ça s’appelle l’indépendance ...


        Entre des militaires véreux et des fanatiques coupeurs de mains de deux cotés votre mal est infini.

        Désolé les francais sont occupés à satisfaire leurs couples homo et à se faire rembourser leur anxiolytiques ....


        • Menouar ben Yahya 11 novembre 2012 10:45

          Si l’on en croit le livre « Françalgérie », une certaine forme de néo-colonialisme a continué a perduré en Algérie mais cette fois il n’était pas le fait seule de l’ancienne puissance coloniale, on peut même dire que celle ci avait un rôle très minoritaire. L’Algérie ne peut plus se cache derrière le fait colonial pour expliquer sa situation actuelle ! C ce sont les généraux, les magouilleurs, les industriels proche du pouvoir qui ont remplacé, les grands propriétaire terrien, les colons d’hier, n’ont pas laissé leur place vide bien longtemps. Cette oligarchie qui fonctionne comme une mafia, a un très grand mépris du peuple comme ont pu l’avoir les anciens grands colons d’hier. Ils sont persuadés que le peuple est ignorant et qu’il n’est pas mur pour la démocratie, exactement ce que l’on avait pu entendre en Algérie avant son... « Indépendance ! »

           


          • Jonas 11 novembre 2012 15:42

            Je salue le courage physique et moral de cet écrivain algérien Karim Akouche. ( nous sommes en Algérie )

            Car il faut du courage pour dénoncer ces régimes dirigés par des généraux qui occupent tous les secteurs de l’économie comme en Egypte.

            Je l’ai dit a plusieurs reprises sur ce site, ce sont les régimes arabo-musulmans pour se maintenir au pouvoir et garder leurs avantages qui ont favorisé l’islamisme. 

            Ils se présentent à l’extérieur , comme des paravents contre l’islamisme aux occidentaux et à l’intérieur , ils les nourrissent et leurs octroient des privilèges considérables. Parmi les pays arabes, l’Algérie et ce n’est pas un hasard est celui qui a construit le plus de mosquées depuis qu’il a recouvré son indépendance.

            Les généraux algériens comme les généraux égyptiens sont une mafia. Une mafia à la tête des plus grandes entreprises soit directement soit a travers des hommes à leurs bottes. Un ingénieur, un médecin, un enseignant , un technicien ou un honnête commerçant mettront des années pour acquérir un appartement . Un homme politique sans études et incapable en moins d’un an, non seulement il peut se payer un appartement dans son pays mais également à l’étranger. Et c’est cet homme politique qui sera le plus violent verbalement contre les occidentaux , histoire de paraître comme un nationaliste pur et dur .

             

            • COLRE COLRE 12 novembre 2012 12:24

              Ce n’est pas la première fois que je lis des articles aussi lucides que celui-ci sur l’Algérie vue de l’intérieur par ses propres intellectuels et qui ne reçoivent pratiquement aucun commentaire. Je pense qu’on est au coeur d’un déni et que personne, en France, n’a envie de lire ces analyses si « contrariantes »… Ni les populations musulmanes de France, ni l’extrême-gauche, ni même l’extrême-droite qui n’a pas envie de se confronter à un discours digne et nuancé comme celui-ci :

              « La dignité, c’est l’honneur ; et la première des dignités, c’est la liberté. Si on ne se bat pas pour elle, on la perd et on devient un être assujetti, un esclave ».

              Seulement derrière cette belle sentence, il y a la critique féroce : 

              « Crédules, chacun a choisi son camp, les uns ont soutenu les islamistes, les autres les militaires, alors qu’ils devaient constituer un front pour se battre contre l’hydre à deux têtes, la chéchia et le képi, qui a étouffé – et étouffe toujours – l’Algérie. On ne peut pas dissocier l’islamisme du banditisme d’État, donc du pouvoir maffieux. »

              Et, pour clore la démonstration : 

              « L’islamisme n’est pas une maladie bénigne, mais un véritable cancer qui ronge nos sociétés. L’islamisme, c’est le péril vert, il vise à dominer, à avilir l’être humain. »

              Je comprends que cela déplaise… Article à lire, vraiment passionnant, jusqu’à la fin.


              • Richard Schneider Richard Schneider 18 novembre 2012 10:20

                @ COLRE :


                Il est en effet regrettable qu’un texte aussi lucide et objectif, écrit par un Algérien, dont le patriotisme ne saurait être contesté, ne suscite qu’un nombre très restreint de commentaires ...
                Les lecteurs d’Agoravox seraient-ils des fanatiques, dénués d’esprit critique ?

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