L’Iran selon les Occidentaux : un pays d’obscurantisme et d’oppression
Ce dimanche, l'émission sensationnaliste Enquêtes Exclusives présentée par Bernard de la Villardière était consacrée à l'Iran, "le pays des ayatollahs" (qui est également celui de l'algèbre, de l'astrologie, des palais et de la tapisserie).
A grands renforts de clichés galvaudés et de sentences lénifiantes sur le fanatisme religieux ou la condition féminine, les journalistes de M6 ont tenté de nous faire plonger dans "l'enfer du pays de mollahs", rien que ça !
A travers des "témoignages chocs" et des "images exclusives filmées au péril de [leur] vie en caméra cachée" (sic), l'émission tente de nous dévoiler la vie quotidienne des Iraniens. Sans même évoquer l'enquête menée exclusivement à charge qui laisse planer le doute sur le parti pris desdits journalistes, nous relèverons le vide général qui en ressort : en effet, on n'y apprend rien de nouveau que ce que l'on sait déjà par le truchement des autres médias, et l'on reste sur sa faim, une fois le reportage terminé. On regrettera également que les représentants de l'état et du clergé iranien n'aient pas été interviewés par ces journalistes qui se sont contentés d'assembler
On y apprend que les femmes sont astreintes au port du voile intégral dans les lieux publics ; qu'elles risquent la lapidation en cas d'adultère ; que les pauvres jeunes – par peur de la "police religieuse" – se cachent dans des grottes pour y boire de l'alcool et forniquer en écoutant de la musique étasunienne ; que le pays applique la peine de mort par pendaison ; que l'opposition est muselée par un régime qui a fait de la religion sa pierre angulaire… un régime qui voudrait bien détenir l'arme nucléaire pour peser davantage dans la région… un régime qui soutient Bachar el-Assad et le Hezbollah.
A cela, il est impératif d'y apporter quelques corrections. Premièrement, la peine de mort en cas d'adultère concerne aussi bien les hommes que les femmes, même si étrangement les cas les plus médiatisés par l'Occident sont ceux qui concernent les femmes. Il s'agit en outre d'une peine inscrite dans la loi iranienne : son application n'a donc rien d'un lynchage ou d'un arbitraire, les contrevenants savent au moment du délit qu'ils violent la loi et risquent gros. Idem pour ces jeunes qui vont s'alcooliser et forniquer secrètement, en connaissance de cause. L'affirmation selon laquelle "ces jeunes risquent la mort pour avoir fait la fête" (répétée au moins trois fois dans le reportage, avec des trémolos dans la voix) est également fausse : ils risquent une amende, ou tout au plus, dix coups de fouet.
Quant à la pratique de la peine de mort, on se demandera sur quoi se basent ces journalistes pour asséner de manière péremptoire que "la majorité des personnes exécutées sont innocentes" et qu'il s'agit là d'exécutions "politiques". D'autre part, l'Inde et le Japon pratiquent également la pendaison sans que le bien fondé des exécutions menées par ces pays ne soit questionné.
Les affirmations quant aux pressions politiques dont souffrirait l'opposition sont certes exactes, bien qu'exagérées. Il n'a cependant pas été relevé que nombre d'opposants adoubés comme "démocrates" par l'Occident entretiennent des liens flous avec les États-Unis. Silence également sur les chercheurs nucléaires iraniens qui ont été liquidés par la CIA entre 2005 et 2010.
Enfin, nous ajouterons que ce "régime d'obscurantisme religieux" ne persécute pas les Chrétiens, qui peuvent pratiquer leur culte à condition de ne pas faire de prosélytisme. Le président Rohani avait ainsi souhaité un joyeux Noël aux chrétiens d'Iran le 25 décembre 2016… ce que le président français n'a pas fait pour la majorité catholique de son pays. En Iran, la fête de Noël touche également les Musulmans qui ont pris l'habitude, depuis quelques années, de décorer des sapins et de s'échanger des cadeaux, sans que ce soit interdit par les autorités.
Parlons également de la communauté juive qui peuple Téhéran, une communauté de 25 000 personnes qui vit et exerce son culte en toute légalité. Ils ont même un député au Parlement, un député qui ne ménage pas Israël et demande la condamnation des "crimes commis par les sionistes". Les Chrétiens, dont nous avons parlé plus haut, ont également deux députés qui les représentent.
Enfin, on ne peut parler d'Iran sans évoquer les païens mazdéens et zoroastriens qui célèbrent en toute quiétude des cérémonies issues du fond des âges. Environ 40 000 dans tout le pays, ils sont reconnus comme "minorité religieuse" par la Constitution de 1979 et bénéficient à ce titre d'une protection. Leurs lieux saints sont classés. Ils élisent un représentant au parlement et peuvent, comme tout citoyen, faire carrière dans l'armée ou la fonction publique. Aucun observatoire international n'a recensé de persécution à leur encontre, pas plus qu'envers les chrétiens ou les Juifs. Les bahaïs n'ont pas cette chance : considérée comme une "dissidence de l'islam" leur secte est interdite en Iran et ses membres risquent de fortes amendes, mais pas la mort contrairement à ce qu'ont pu prétendre certains journaliste malavisés.
Nous ne remettrons pas en cause l'honnêteté des journalistes français qui sont allés tourner ce reportage "au péril de leur vie" (sic). Peut-être craignaient-ils que le fait de montrer des aspects positifs et humains de la vie en Iran ne les exposât à la critique et aux accusations de collusion avec le régime iranien… Il est vrai qu'aborder de manière objective et neutre des pays comme l'Iran, la Corée du Nord, le Venezuela et d'autres contrées classées au rang de "territoire ennemi" par l'oncle Sam, peut être interprété comme de la sympathie envers lesdits régimes.
Car, ce n'est pas la première fois que l'on diffuse en France ce genre de reportage. Il y a plusieurs semaines, LCP a ainsi diffusé le film Persepolis suivi d'un débat où étaient conviés l'écrivaine Abnousse Shalmani, l'écrivaine Chahdortt Djavann et le chercheur Thierry Coville, spécialiste de l'Iran. C'est ce dernier qui a eu l'attitude la plus objective ; et pour cause, les deux écrivaines susnommées étant des opposantes assumées au régime iranien, ce qu'elles n'ont eu de cesse de clamer tout au long de l'émission. Il était donc regrettable qu'un débat oppose des personnes en tout d'accord entre elles… Parler du "régime" iranien sans donner la parole à ses soutiens ou représentants pose un problème de sources : tout journaliste doit savoir que les sources doivent être multiples et non procéder d'un même camp.
Or, ces reportages idéologiquement orientés sur des pays comme l'Iran, la Venezuela, la Corée du Nord et d'autres contrées classées au rang de "territoires ennemis" par l'oncle Sam traduisent un parti pris journalistique débouchant sur un reportage à but uniquement sensationnaliste : les envoyés spéciaux qui les filment ne cherchent pas tant à chercher le vrai qu'à chercher les preuves accréditant ce qu'ils tiennent pour vrai.
Loin de nous l'idée de blanchir le régime iranien de son autoritarisme et des crimes avérés qu'il a commis. Le propos est simplement de démontrer la partialité dont font preuve les médias occidentaux en traitant de ces pays. Que l'objectivité tienne lieu de complicité est une chose grave. On se souvient par exemple qu'une journaliste étasunienne avait réfuté le mythe selon lequel les talibans afghans couperaient les mains des petites filles qui se mettent du vernis à ongles. CNN s'était alors immédiatement séparée de la journaliste, l'accusant de collusion avec le régime du mollah Omar. La thèse de la reporteuse a par la suite été confirmée et la légende noir du coupeur de mains est bel et bien considérée comme un mensonge à l'heure actuelle.
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