La cuisine constitutionnelle
La cuisine constitutionnelle
Une constitution, c’est un peu comme l’équipement d’une cuisine dans un restaurant. La saveur des plats est due à la qualité du cuisinier. L’équipement donne simplement au chef les moyens de faire. Bien, si ce dernier le veut et s’il en est capable ; mal, dans le cas contraire.
Pour continuer sur le même registre … ce qui intéresse les citoyens, ce n’est pas le contenu de la constitution. C’est ce que les politiques leur mettent dans l’assiette.
1./ Que s’est-il passé en 1958 ?
a/ le général de Gaulle (personnalité, désintéressement, conception de l’exercice du pouvoir, …) a réussi à s’installer au pouvoir.
b/ ce dernier a fait le choix d’utiliser les prérogatives attribuées par la (nouvelle) constitution au chef de l’Etat pour faire une politique qui n’était dictée ni par les marchés financiers, ni par l’étranger ( concrètement les Etats Unis). Le changement des règles constitutionnelles (constitution d’octobre 1958) ne faisant que permettre à ce personnage (sortant pour une fois de l’ordinaire), de lui épargner (et d’épargner à la France) ce qui se passait depuis plusieurs décades. Sous la III° et la IV° Républiques l’exécutif n’arrivait pas à jouer son rôle naturel (de définition et d’exécution de la politique) parce que les textes, auxquels s’ajoutaient les intérêts et les habitudes, laissaient les parlementaires faire obstruction. Lesquels arrivaient à rejeter ou à voter ce qu’ils voulaient sous le regard consterné des membres du gouvernement.
2./ Que s’est-il passé ensuite ?
De Gaulle une fois parti, les nouveaux dirigeants ont utilisé le texte de 1958 et les pratiques que celui-ci a engendrées … pour faire le contraire.
a) G. Pompidou a mis la politique interne aux mains des banquiers et des marchés financiers (avec le nouveau statut de la banque de France à laquelle l’Etat n’a plus eu le droit d’emprunter quand les impôts ne suffisaient pas).
b) Les suivants ont parfait et verrouillé la mécanique qui a permis de faire subir aux Français les règles (et les conséquences) du désengagement de l’Etat des affaires économiques, financières, sociales – désormais abandonnées au bon vouloir et aux intérêts privés-. Une première fois avec le traité de Maastricht (F. Mitterrand) et une deuxième fois (après l’éphémère rejet populaire de la « constitution » européenne) avec le traité de Lisbonne (N. Sarkozy, qui a fait annuler le référendum par un vote de la classe politique). Les autres ont suivi.
c) Les uns et les autres ont emboité le pas des Etats Unis :
- troupes françaises remises sous commandement américain dans le cadre de l’OTAN (N. Sarkozy) et soutien des intérêts des USA par la participation à diverses opérations guerrières (N. Sarkozy, F. Hollande, E. Macron).
- acceptation des règles des traités économiques qui ouvraient l’Europe aux intérêts nord-américain (v. les traités ci-dessus), et implication de N. Sarkozy, de F. Hollande, d’E. Macron dans la préparation du CETA.
Conclusion technique :
L’idée qu’en réformant la constitution, les assiettes de tout le monde seront mieux garnies, repose assurément sur une illusion (ou sur erreur de raisonnement).
3./ Que peut-il (logiquement) se passer en 2019 et après ?
Sur le fond, les politiciens actuellement aux affaires, sont, pour la plupart, toujours favorables à la poursuite de la mise en œuvre des règles des traités européens, y compris l’usage d’une monnaie unique.
a) Les partis de droite, naturellement, puisqu’ils ont traditionnellement un ennemi : les ouvriers et les salariés. Surtout quand ces derniers demandent des augmentations de salaires, se syndiquent, font grève et manifestent dans les rues, spécialement lorsqu’on leur applique un peu plus de traité de Lisbonne. (NB. On oublie que les partis d’extrême droite, sont des partis de droite. Donc ont le même ennemi. Le fait qu’ils drainent vers eux des ouvriers et des salariés en faisant vibrer la corde xénophobe n’y change rien ). Et les traités vont pour pour les gens de « droite » dans le bon sens, puisqu’ils organisent la hausse des revenus de ceux que qu’ils représentent et la démolition, pour les autres, de diverses garanties et protections sociales acquises au cours des temps.
b) Les ténors du parti socialiste sont convertis depuis belle lurette à la « mondialisation » ( heureuse pour les forts, et bien qu’elle soit malheureuse pour les autres), ainsi que les décisions prises par F. Mitterrand et celles des gouvernements dirigés par un membre de ce parti le démontrent.
c) A la gauche que les médias présentent comme « extrême », on ne pense plus guère au « Frexit » et on supporte la monnaie unique. Ainsi que les déclarations actuelles du principal dirigeant de la « France insoumise » l’indiquent.
Dans ces conditions, on ne voit guère en quoi un changement constitutionnel qui neutraliserait peu ou prou les Macron d’aujourd’hui ou de demain, pourrait avoir un quelconque effet sur le niveau de vie des citoyens.
D’autant que la classe politique (dont la position n’a pas changé depuis, ainsi qu’il vient d’être dit) a manifesté, de manière solennelle, son attachement à la mondialisation (aux deux effets rappelés ci-dessus). En annulant en 2007, les effets du référendum de 2005 par lequel les Français avaient décidé, ce qu’on a appelé plus tard, le « Frexit ».
Conclusion politique :
A défaut d’évènement (1) déclenchant le changement du personnel en place (2) pour lui substituer un personnel différent (3), les propositions de réformes « constitutionnelles » (4) courent le risque de devoir être rangées dans le catalogue des manipulations.
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités
(1) On ne peut rien prédire. Mais on signalera que l’ordre donné aux policiers et aux gendarmes de tirer, (ne serait-ce qu’avec des « flash balls » / LBD) sur les manifestants hostiles à la politique gouvernementale, pourrait engendrer a) le refus de continuer à subir et à voir subir les graves blessures causées par ces matériels, b) la peur de perdre la liberté de n’être pas d’accord, et celle de manifester sur les voies publiques. Avec, à la clef, des affrontements auxquels seul le retrait des gouvernants pourrait mettre fin. V. sur ce point dans les livres d’histoire, les effets des interdictions de manifester et ceux de la répression.
2) Personnel politique qui, à défaut de code écrit de la profession, respecte (surtout les « sans-autre-métier ») les règles « à part » (non écrites) et les méthodes de la mise sur orbite, de la conservation des fonctions ou de l’obtention de « promotions » (devenir ministre, Premier Ministre, président de la République) L’élection, de son côté, n’ayant qu’un lien indirect avec ce qui vient d’être relevé. Laquelle est d’ailleurs conditionnée par d’autres considérations (entre autres la recherche et l’obtention de financements) et d’autres techniques (entre autres la manipulation).
(3) Les réformes actuellement proposées par les uns ou les autres, peuvent avoir mécaniquement des « effets secondaires négatifs ». Tant sur le fonctionnement des institutions, que sur le rapport pouvant exister entre les citoyens et leurs « responsables » politiques (donc sur le fonctionnement concret et réel de la « démocratie »).
Prenons quelques exemples. Inspirés de l’histoire constitutionnelle et politique française. (sur ces questions, v. notre commentaire de la constitution de 1958 : « Textes et documents constitutionnels depuis 1958. Analyses et commentaires » ; Dalloz-Armand Colin)
A. Réduction du nombre des parlementaires.
C’est une réforme dont l’annonce fait plaisir à l’opinion publique qui a le sentiment que les parlementaires ne leur servent à pas grand’ chose. Mais les rescapés de la réduction n’en feront pas plus. Et ne feront pas autre chose. Et puis, les citoyens qui se sentent déjà peu écoutés le seront encore moins quand ils seront plus nombreux à avoir le même député. Mais d’’un autre côté, la réduction du nombre des parlementaires diminuera les coûts des interventions des lobbys.
B. L’élection des députés à la proportionnelle. Ou avec une « dose » de proportionnelle.
NB. Les politiques qui prônent une « dose » de proportionnelle, le font parce que la « dose » n’est pas de nature à leur faire perdre le pouvoir (les postes et les opportunités y attachées).
La proportionnelle suppose un scrutin de liste, donc une circonscription électorale plus vaste (en général le département). Avec les inconvénients ci-dessus signalés en matière de destruction du lien entre les élus et les utilisateurs des bulletins de vote. (Avec comme « caricature », les listes nationales des élections européennes, caricature qui trouvera sa forme la plus achevée si l’on fait demain des listes européennes). Si les partis politiques qui ne sont pas ou qui sont sous représentés obtiennent les sièges … auxquels l’équité leur donne droit, l’assemblée sera alors constituée de plus de groupes parlementaires. Dont les membres, conformément au génie français attesté par l’histoire constitutionnelle, auront le champ libre pour marchander les postes et négocier chaque vote. Et puis, que l’assemblée comprennent plus de sensibilités ne donne aucune garantie aux citoyens qu’ils seront mieux entendus et mieux traités. (D’ailleurs, quand les politiciens de « gauche » sont arrivés au pouvoir, ils ont fait la même politique que les politiciens de « droite ». En faisant parfois ce que la « droite » n’avait pas eu le temps de faire ou n’avait pas osé faire).
C. Le référendum d’initiative populaire/citoyenne.
Le référendum est, dans notre pays – la France n’étant pas un canton suisse- , une technique qui permet à l’exécutif, en particulier à son chef, soit de conforter sa légitimité, soit de s’appuyer sur le « peuple » « contre » la classe politique. (NB. Et également de « faire passer » des « réformes » qui ne seront pas gelées par les juges ; et qui pourront aller définitivement à l’encontre de l’intérêt des citoyens).
On voit mal que les politiciens en place (le chef de l’Etat ou les parlementaires de la majorité) tolèrent que les citoyens votent des textes qui contrarient leur carrière ou s’opposent à la politique qu’ils ont menée et qu’ils ont envie de poursuivre. Comme on l’a dit ( v. sur Agoravox : RIC : Macron dira « oui ») ce référendum d’initiative populaire ne servira à l’évidence pas à grand’ chose.
D. Réduction des pouvoirs du président.
Enlever des compétences au président de la République recouvre trois choses ( à moins – ce qui ferait quatre- que l’on ne veuille transférer les pouvoirs aux présidents des commissions parlementaires, en s’inspirant de la pratique de la Convention) . 1/ On transfère certaines de ses compétences au Premier Ministre. 2/ On bride le droit de dissolution. 3/ on (re) donne aux parlementaires des armes pour « contrôler » le gouvernement et être associé à la définition de la politique. Dans les faits = pour pouvoir s’opposer à la politique (même quand elle est d’intérêt général et surtout quand elle ruine les efforts des lobbys) qu’il propose . A défaut … on reste dans le système actuel.
Le problème est, ainsi que l’expérience l’a montré, que lorsque les députés exercent leur faculté de n’être pas d’accord … ils laissent les situations de crise sans solution. Ce qui les conduit à se jeter dans les bras d’un sauveur (rappels : Pétain en 1940 ; de Gaulle en 1958 ).
Ce qui, du point de vue du « fonctionnement » des institutions n’est pas particulièrement satisfaisant.
(3) … dont les leaders seraient et demeureraient personnellement désintéressés, qui seraient décidés à changer le contenu des règles : donc, pour commencer, à redonner à l’Etat les moyens de maîtriser ses finances, son économie, ses services publics et le bien être des individus.
(4) Ceux qui proposent de rogner les prérogatives du président de la République et de donner aux parlementaires des armes pour la reprise de la guérilla, pensent en général à l’instant présent. Ou, plus vraisemblablement, aux électeurs du moment. Auxquels ils donnent ce faisant (faussement) à croire qu’une 6ème République assurerait le remplissage de leurs assiettes. Imaginons à cet égard que M. Mélenchon devienne président de la République, et que son organisation gagne la majorité des sièges à l’assemblée nationale. Se pose alors la question : La « France insoumise » se privera-t-elle de pouvoir gouverner en faisant cadeau aux amis de MM. Macron, Wauquiez, Bayrou et autres, des moyens techniques permettant à ces derniers de mettre ses projets en pièces ? Pour trouver la réponse à la question, on a le précédent Mitterrand. Dans son opposition à de Gaulle, F. Mitterrand n’a eu de cesse de vouer le « régime » aux gémonies (v. notamment son ouvrage : « Le coup d’Etat permanent ») et d’en réclamer la fin. Devenu président de la République, il n’a pas procédé à la réforme de la constitution qu’il appelait de ses vœux, … jadis, … dans d’autres circonstances.
23 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON