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La mort de Cora Vaucaire et « trois petites notes de musique… qui n’veulent pas mourir »

 La voix de Cora Vaucaire s’est éteinte à jamais. Cette grande interprète de la chanson française - ignorée aujourd’hui des radios et des télévisions aux mains des barbares pour la plupart - vient de mourir le 17 septembre 2011 à Paris. Cela fait tout drôle d’apprendre que cette jeune femme dont on a gardé en soi le timbre de voix juvénile depuis près de 50 ans, avait 93 ans.

On n’a pas cessé d’identifier Cora Vaucaire à la chanson de l’admirable film d’Henri Colpi, « Une aussi longue absence  », sur un scénario de Gérard Jarlot et de Maguerite Duras. Il avait reçu la Palme d’Or du festival de Cannes qui, pour une fois, en 1961 ne s’était pas égaré. On se souvient encore de la première fois qu’on l’a vu. On était étudiant et Gérard Jarlot était venu le présenter à Angers au début des années soixante.

Un clochard devenu amnésique après la guerre

La chanson, « Trois petites notes de musique  », s’élève à un moment angoissant de l’histoire. La mémoire va-t-elle revenir à ce clochard – incarné par Georges Wilson - qui passe régulièrement dans la journée devant le café de Thérèse Langlois – jouée par Alida Valli ? Cela fait plusieurs semaines que par divers stratagèmes cette femme essaie de raviver les souvenirs enfouis de cet homme en qui elle croit avoir reconnu son mari, disparu depuis la Seconde guerre mondiale. Mais lui ne se souvient plus de rien et ne la reconnaît donc pas.

Une tentative désespérée d’éveiller la mémoire affective

Au rythme de cette valse lente comme un slow, on la voit danser avec lui un soir dans son café désert, l’enserrant dans ses bras, lui prenant parfois la tête entre ses mains avec le fol et dernier espoir que la mémoire affective au moins lui reviendra à l’audition de cette musique sur laquelle ils aimaient tous deux tant danser autrefois. Comme cette femme, on guette sur le visage impassible de cet homme un tremblement fugitif, une contraction fugace, un battement de cils, un éclair dans les yeux qui aux modulations de cette valse annonceraient que point l’aurore du souvenir dans la nuit où son esprit a été enseveli.

On met comme elle tout entier son espoir dans la voix de Cora Vaucaire, au timbre de cuivre, dont les douces inflexions fouillent les regrets d’un homme de n’avoir pas répondu à l'invite d'une fille qui, autrefois, « dans les rues de l’été (…) pour son premier frisson (lui) offrait une chanson à r’prendre à l’unisson ». Ces "trois petites notes de musique" n’en finissent pas de ressusciter en lui le même souvenir, comme en Proust une simple madeleine trempée dans une tasse de thé : il revit chaque fois ce jour d’été où il les a entendues pour la première fois des lèvres de cette fille qu’il s’en veut toujours, bien des années après, de n’avoir pas su retenir.

Une interprétation de Cora Vaucaire inégalée

Si cette ravissante mélodie de Georges Delerue sur des paroles d’Henri Colpi lui-même est à ce point restée identifiée à Cora Vaucaire, c’est parce que nul après elle n’a su la chanter avec autant de profondeur et en même temps de grâce et de légèreté. Elle l’a revêtue du timbre métallique de sa voix si reconnaissable entre tous, sonore et douce à la fois. Rarement chanson, interprète et histoire d’un film se seront accordés à ce point.

 

Les prodigieux médias d’aujourd’hui conservent - quelle chance ! - la voix de ceux et celles qui disparaissent pour toujours. On invite le lecteur à réécouter celle de Cora Vaucaire provisoirement ressuscitée dont on cherche vainement qui pourrait aujourd’hui l’égaler. « Ces trois petites notes de musique  », ce sont les derniers mots de la chanson, « lèvent un cruel rideau d’scène / sur mille et une peines / qui n’ veulent pas mourir  ».

http://www.ina.fr/art-et-culture/cinema/video/I04299093/cora-vaucaire-trois-petites-notes-de-musique.fr.html

http://www.ina.fr/art-et-culture/cinema/video/I04295816/extrait-de-une-aussi-longue-absence-de-henri-colpi.fr.html

Paul Villach


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10 réactions à cet article    


  • Taverne Taverne 22 septembre 2011 10:52

    Bonjour Paul,

    Nous sommes deux à avoir pensé rendre hommage à Cora Vaucaire et nous sommes deux à avoir traité le sujet sous l’angle de la mémoire et son lien avec la musique (voir mon texte de chanson à la fin de mon article).

    En ce qui me concerne, ayant écrit 4 volets sur les paroliers, j’ai aussi évoqué Michel Vaucaire, le mari, qui était parolier.


    • norbert gabriel norbert gabriel 22 septembre 2011 15:20

      On peut rappeler aussi qu’elle a été la première à enregistrer « Les feuilles mortes » ce qui lui a été « rendu » assez tardivement, d’ailleurs. (dans les années 90-95)
      La plupart des gens reprenaient une info erronée donnant à Yves Montand le crédit de l’enregistrement originel. En revanche, on peut lui rendre, à Montand, la persévérance d’avoir chanté cette chanson pendant 4 ans dans une froideur constante du public, jusqu’à 1951, où c’est devenu un succès du disque. Sans qu’on sache bien pourquoi. (Pourquoi c’est devenu un succès après 4 ans de refus du public)


      • Catherine Segurane Catherine Segurane 22 septembre 2011 15:32

        Une pensée pour cette grande dame dont le talent nous manquera.


        • Richard Schneider Richard Schneider 22 septembre 2011 16:20

          Sur d’autres sites j’ai déjà rendu hommage à cette grande dame de la chanson française. Je le réitère bien volontiers sur AgoraVox.

          Cora Vaucaire n’a pas seulement magistralement interprété ces fameuses « trois petites notes de musique », mais aussi d’autres belles chansons, comme La complainte de la Butte :

          • A. Nonyme A. Nonyme 23 septembre 2011 00:15

            A noter la très belle interprétation de Rufus Wainwright dans Moulin Rouge...


          • Micka FRENCH Micka FRENCH 22 septembre 2011 20:34

            De l’Ecossaise...

            Dans ma prime jeunesse, j’ai eu l’insigne honneur de travailler avec Cora Vaucaire, comme je l’ai fait avec Bernard Dimey, Pierre Nicolas, Eric Burdon, Kraftewerk, Les Compagnons, Rufus ou Jean-Roger Caussimon.

            Que de belles figures ! Que de beaux artistes.

            JE COMPRENDS MIEUX POURQUOI LE RAPPEURS ME FONT VOMIR ET DAVID-ALEXANDRE WINTER OU VAL............ RIGOLER.......

            Micka FRENCH sur le Web...
            http://mickafrech.unblog.fr


            • Catherine Segurane Catherine Segurane 23 septembre 2011 09:00

              @ L’Ecossaise


              Moi aussi, j’ai observé ce triste phénomène : après une jeunesse baignant dans la musique d’artistes exceptionnels (on aurait dit qu’il en pleuvait ; on finissait par croire que c’était banal d’avoir un tel talent), ce fut le désert artistique pendant des décennies.

              Je crois que c’est en train de changer grâce à Youtube, qui permet aux artistes de mettre en ligne leur propre travail.

              La chape de plomb des maisons de disques qui nous imposaient de rap est en train de se fissurer.

              Plus d’une fois, au hasard d’une promenade sur Youtube, j’ai entendu des artistes corrects mais inconnus. Certains perceront.

              Merci internet !

              Et pas une larme sur ceux qui pleurnichent sur leurs droits d’auteurs perdus.


            • Annie 22 septembre 2011 21:01

              Un hommage qui devait être rendu, et cela s’adresse à Taverne aussi.


              • MdeP MdeP 22 septembre 2011 23:11

                MdeP Merci à Paul Villach pour cet hommage à Cora Vaucaire.
                Trois petites notes de musique est ma chanson préférée avec l’orgue de barbarie qui donne une beauté particulière à l’ensemble.
                Des amis l’avaient reprise dans leur répertoire de concerts spécialement pour me faire plaisir. Pour moi, c’est la plus belle chanson française.
                Merci encore à l’auteur de l’article.


                • sisyphe sisyphe 23 septembre 2011 10:15

                  Bel et légitime hommage à une chanteuse et une chanson qui restent dans les trésors de la chanson française,... et dans nos souvenirs...


                  Pour Caura Vaucaire, comme signalé plus haut, on retiendra également la très belle « Complainte de la butte », mais également les textes d’auteurs qu’elle fut la première à interpréter : Barbara (avec « Dis, quand reviendras tu ? » Léo Ferré (« les forains », ainsi que « Quand les hommes vivront d’amour » du Québécquois Henrei Levesque, qui sera repris bien plus tard par les chanteurs québécquois..

                  Chanteuse engagée dans les luttes de son époque (elle interprétera « Le temps des cerises » et « l’Internationale » devant des ouvriers d’usines en grève, on lui doit également les interprétations du « Pont Mirabeau (G.Apollinaire - Léo Ferré) , ou »l’écharpe« de Mauice Fanon, et encore »Maintenant que la jeunesse«  ; superbe texte d’Aragon, mis en musique par Lino Leonardi, repris bien plus tard par d’autres artistes, dont Claude Reva. 

                  Pour la chanson, elle sera reprise par Yves Montand, dans sa version la plus connue ainsi que par Françoise Hardy, et bien d’autres..

                  Quant aux auteurs (H. Colpi - G. Delerue), ils laissent également d’autres superbes chansons comme ’Heureux qui comme Ulysse (chanté par Brassens) .
                  Gorges Delerue fut le compositeur de nombreuses musiques de films (voir liste) 

                  Henri Colpi, lui, faut réalisateur ; du film »Une aussi longue absence« (où intervient la chanson »Tois petites notes de musique", dont il écrivit les paroles), qui fut récompensé du Prix Louis Delluc 1960, et de la Palme d’Or 1961. 
                  Il participa également à de nombreux films de Prévert, Resnais, Becker, etc....

                  Que tous soient remerciés pour l’ensemble de leur oeuvre et pour cette chanson, qui reste une merveille d’émotion simple, de nostalgie sans mièvrerie, et qui résonne à jamais dans nos âmes..


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