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La psychose autour d’Internet recommence en France...

J’étais la semaine dernière sur le tournage de l’émission "La planète des autres", qui a été diffusée dimanche soir, sur France 5. C’est une émission mensuelle, présentée par Yves Calvi, par ailleurs animateur de "C dans l’air".

L’émission de dimanche, accessible uniquement sur le câble, le satellite et la TNT, est consacrée à Internet. Mais attention, c’est du lourd.

Le sujet peut se résumer aux "dangers d’Internet", et il me semble qu’on a fait très fort en la matière. Je dois même avouer avoir hésité à quitter le plateau (n’étant pas versé dans les mélodrames télévisuels, je me suis abstenu, mais j’ai beaucoup souffert pendant tout le tournage, effectué dans les conditions du direct).

Les dangers d’Internet, donc. Un talk-show, avec six intervenants spécialistes de différents sujets, dont moi en "spécialiste" des blogs (étiquette qui me déplaît de plus en plus, sans parler du côté absurde de l’expression) et, surtout, Dominique Wolton, en grand inquisiteur des dérives internetesques qui nous menacent. Le tout entrecoupé de reportages relativement longs sur des points particuliers.

Entendons-nous bien : diffuser ce genre d’émission est louable, et sans doute nécessaire. J’aime Internet, dont je suis un observateur attentif
- et l’un des modestes acteurs - depuis dix ans, mais je suis aussi le premier à reconnaître qu’il présente des risques, ou favorise des déviances, qui ne sauraient être occultés. Du reste, les intervenants étaient tous de qualité, et l’ensemble, de facture très professionnelle.

Mais le résultat me semble terriblement - et inutilement - effrayant. Por-no-graphie, pé-do-philie, misère s-ex-uelle et sociale, internautes asociaux, rejet de la vie réelle, addiction aux jeux vidéo... tout y est passé, en un vaste amalgame qui, je le crains, conduira les téléspectateurs les moins avertis à penser que Internet, décidément, est un lieu de perdition, dangereux par essence, pour nos enfants comme pour nos sociétés qui vont mal.

Constater qu’on en est encore là en France, en 2005, me pétrifie. Par biens des aspects, j’ai eu pendant toute la durée du tournage (1h30) l’impression désagréable d’avoir été téléporté dans le passé, quelque part entre 1995 et 1999. Mêmes discours diabolisants, mêmes images chocs, mêmes sujets, même incompréhension. Paul Virilio, jadis grand pourfendeur d’Internet, était remplacé ici par Dominique Wolton, utilisant à peu près les mêmes termes pour souligner les dangers du virtuel, la nécessité de contrôler Internet et les multiples risques qu’il fait porter sur notre monde et nos chères têtes blondes. On a même eu droit à un reportage - lourd, moqueur, et pourtant peu pertinent
- sur les Otakus japonais, le même, en version ratée, que le très bon documentaire réalisé en 1994 par Jean-Jacques Beinex.

Bref, j’ai du mal à me rendre compte de ce que pourra retenir un téléspectateur de ce fatras. Mais je crains d’en avoir une petite idée, et que celle-ci soit très éloignée de la réalité d’Internet. Ce que j’écrivais il y a quelques semaines sur la fracture bien réelle entre Internet et les médias traditionnels, à commencer par la télévision, me semble plus que jamais d’actualité, hélas. A défaut de chercher à comprendre, on incrimine. A défaut de connaître le sujet, on en trace des contours grossiers à grands coups de dramatisation. Et au lieu de se poser les bonnes questions, en cherchant par exemple à savoir ce qui pousse trois millions d’adolescents à tenir un journal en ligne, ou à lire ce qu’il s’y dit, on répond de façon catégorique qu’il faut enrayer cette mécanique diabolique, s’inquiéter, censurer, contrôler, interdire.

Le clou final, si je puis dire, est peut-être la dernière intervention de Dominique Wolton, annonçant en fin d’émission que nous étions en train de vivre "une 2e bulle Internet" et que celle-ci allait exploser dès l’année prochaine. Le brave homme m’a semblé tellement à côté de la plaque, dans quasiment tous ses propos, que je n’ai pas trop insisté, mais comme je l’ai dit plusieurs fois ces derniers mois, je ne crois pas du tout à une deuxième bulle, et je me réjouis au contraire de voir qu’un vent de renouveau potentiellement salutaire souffle sur le Web, en particulier en France. Mais, évidemment, parler de création de valeur, d’innovation, de dynamiques entrepreneuriales, et de tout ce que pourraient apporter les technologies de l’information à ce pays s’il était moins con, tout cela était bien sûr hors sujet.

Le seul point positif, dans tout cela, était peut-être Yves Calvi, à qui je demandais hors antenne s’il serait prêt à faire la même émission, mais mettant cette fois en valeur les aspects positifs d’Internet, me répondant que oui. Et m’assurant qu’il s’intéressait beaucoup aux blogs, et que ceux-ci présentaient sans doute des vertus. Ca fait toujours plaisir à entendre.

Mais malgré l’estime et la sympathie que j’éprouve pour Yves Calvi et son équipe, ou d’autres de mes confrères des grands médias, je crois bien ne plus du tout avoir envie de parler des blogs sur un plateau de télévision. Je préfère concentrer mon énergie sur d’autres choses, en résistant à la tentation de fuir à toutes jambes ce pays de crétins de voguer vers d’autres horizons.


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6 réactions à cet article    


  • Alexandre Santos Alexandre Santos 21 octobre 2005 11:59

    En tout cas évitez d’aller aux EUA ou la fascination de la peur et du sencationalisme règnent (les JTs sont une collection de faits divers morbides) et ou la censure puritaine est bien plus bigote qu’en France, et pas uniquement à propos d’internet.

    Bientôt ces emissions ne seront plus qu’un témoignage folklorique des difficultés de certains à s’adapter aux nouveaux médias. Comme vous le dites les jeunes générations s’emparent d’internet par millions, et ne seront pas facilement manipulées par ce genre d’émissions.


    • dorjee (---.---.61.14) 21 octobre 2005 12:52

      C’est un classique sociologique : une représentation sociale fait barrage à une véritable perception de ce qu’est l’Internet. Il y a aussi le travers tout aussi classique du journalisme : on ne s’intéresse qu’aux trains qui déraillent. Il faut prendre de telles émissions comme de simples délires de personnes dépassées par les nouvelles technologies et qui préfèrent se réfugier dans un discours péjoratif et moralisateur, plutôt que d’évoluer avec leur temps. Les pauvres !-)


      • ANGER-de FRIBERG Véronique (---.---.66.97) 21 octobre 2005 14:44

        « A défaut de chercher à comprendre, on incrimine. A défaut de connaître le sujet, on en trace des contours grossiers à grands coups de dramatisation. » Vous avez mis le doigt dessus ! Je vous rejoins dans votre analyse. Il y a une 10aine de jours, j’ai écouté l’émission « Le téléphone sonne » sur inter (à laquelle vous participiez je crois) avec, dans le rôle de Cassandre, M. Wolton comme les media nous y ont d’ailleurs habitués depuis la naissance du web... Le problème ne vient-il pas du fait que, par facilité, beaucoup d’animateurs se contentent d’enfermer leurs invités dans un rôle unique et inamovible (l’optimiste, le conservateur, l’alarmiste, le provocateur, le pédagogue, le médiateur, etc. D’une émission à l’autre, on retrouve souvent les mêmes personnalités s’exprimant sur un même sujet) en espérant rendre le débat plus agressif. Du coup, l’échange est rarement constructif, quend ce n’est pas un dialogue de sourds ! Je regarde régulièrement « C dans l’air » d’Yves Calvi et il me semble qu’il n’a pas tellement ce travers et veille généralement à ce que chacun écoute les autres et ait le temps de s’exprimer. Dommage que l’équilibre entre le positif et le négatif n’ait pas été respecté cette fois. D’autant que nous savons tous maintenant qu’internet est aussi le reflet de nos sociétés, avec ses aspects positifs, et bien sûr ses dérives perverses. Cela m’inspire une réflexion à propos des blogs : si vous lisez les commentaires figurant dans la plupart des blogs, bien souvent, je trouve qu’il s’agit aussi d’un dialogue de sourds. Chacun donne son avis, mais quel est l’effet véritable ? Pour finir, presque tout le monde campe sur sa position. Je ne fais que constater et me désoler, mais je n’ai pas de solution...

        ps : si vous quittez la France, pourquoi pas le Québec... smiley


        • Pour ceux qui ont loupé l’émission de France Inter avec Dominique Wolton et Joël de Rosnay....


          • Yuca de Taillefer (---.---.152.115) 21 octobre 2005 16:51

            Quelques constats...avec exemples récents

            1/ « La parole d’internet se démocratise »

            (déjà bien sûr avec l’exemple d’AgoraVox).

            Libération/AFP - 11/10/2005 « Yahoo ! mise sur le « journalisme citoyen » Le géant californien teste un moteur de recherches qui permettra de référencer les informations traitées sur les blogs. » « Une nouvelle étape est franchie dans la reconnaissance des blogs comme source légitime d’information. Yahoo teste depuis ce mardi un moteur de recherche qui incluera l’ensemble des informations et des images diffusées sur les « weblogs » référencés par le géant de l’Internet. En plus de celles des médias traditionnels. » « Les blogs sont ces journaux personnels en ligne créés par des internautes. Analyses politiques ou simples commentaires personnels, ils ont fait irruption dans le champ médiatique à l’occasion de grandes catastrophes que les organes de presse traditionnels n’ont pas eu le temps ou les moyens de couvrir. Comme récemment à la Nouvelle-Orléans après le passage du cyclone Katrina. En France, les blogs s’étaient imposés comme référence alternative pendant la campagne pour le référendum sur le Traité Constitutionnel Européen du 29 mai dernier. Une forme de « journalisme citoyen » qui permet un autre traitement de l’information. »

            2/ « La parole d’internet fait peur aux médias établis »

            Ce mardi 18 octobre, Claude Perdriel, PDG du Groupe Nouvel Observateur a tenu conférence aux élèves du Centre de formation des journalistes (CFJ) à l’Hôtel de Ville de Paris. Interrogé par un étudiant sur la montée en puissance du média Internet, la réponse fuse : "Internet est le plus grand danger pour l’éthique et la défense de ce à quoi nous croyons. Pour le moment, la presse écrite a des sites Internet dans lesquels elle applique ses règles. Mais n’importe qui peut créer des sites, diffuser des rumeurs ».

            3/ « La parole d’internet versus la parole médiatico-institutionnelle ? »

            Le titre est provocant, et n’est pas juste... Car c’est bien sûr bien plus complexe que cela. Le but d’un média voulant exister aujourd’hui est avant tout de parler des évènements ou de les créer , de faire parler, de faire débat (donc beaucoup de thèmes polémiques sont bons.. même « internet » qui peut parfois en faire les frais).

            Il est clair qu’internet fait peur... pas toujours pour ce que l’on croit ou pour ce qui est dénoncer : internet fait surtout peur aux « institutionnels » et aux « penseurs institutionnels » car la parole y est libéré et les aspirations citoyennes se font jour (dans les informations, dans la prise de positions, dans le débats, ou dans l’échange d’arguments) sans contrôle des « maîtres à penser médiatiques », et où l’information qui ne devait pas sortir se trouve su. Comme l’utilisation d’Internet est encore peu répandue, ce médium et ses usages restent mal connus, et d’autre part Internet ne ressemble à aucun autre des médias connus : c’est un réseau, des réseaux hétérogènes et décentralisés - il n’y a donc pas un unique point de contrôle -, et tout individu peut y diffuser des informations, sans passer par un médiateur qui limiterait son expression publique.

            Mais bien sûr, et heureusement pour nous, nous ne sommes pas des pays comme l’Iran, la Chine, ou Singapour... et donc la cyber-citoyenneté peut exister tranquillement.

            La diabolisation du microcosme médiatico-intellectualiste vient surtout de la « menace » d’internet sur leur monde à eux, qu’ils ne veulent surtout pas partager.... Cette diabolisation est bien sûre consciente et voulue, et je pense que le mieux n’est pas d’y répondre : que voulez-vous répondre à la bêtise ! ! ! Néanmoins, Mr Yves Calvi est un très bon animateur (et il a des journées bien remplies) : il sait mener ses émissions tout en donnant la parole : un grand professionnel (de même par exemple qu’Arlette Chabot ou Christine Ockrent).

            Mais bien sûr, dans les médias, il faut savoir trier, il en est de même sur internet, dans les blogs et les billets ; de même pour le choix des émissions télés et des participations aux réunions. On choisit son journal, on choisit ses amis, on choisit ses lectures (blogs & internet). Les dangers d’internet concernent surtout l’enfance, mais là c’est aux parents ou aux tutélaires de jouer leur rôle et d’assumer leurs responsabilités. Mais quel merveilleux outil d’échanges, de connaissance et de savoir ! ! !


            • Lefuret (---.---.145.217) 24 octobre 2005 08:03

              la télé endort , le blog fait parler les gens , et ça fait peur à tous les idiots !!!

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