La victoire de Nicolas Sarkozy est-elle inéluctable ?
L’électorat de François Bayrou est composite
: une partie a souvent voté à gauche et
a choisi Bayrou pensant que ce dernier constituait le meilleur
rempart contre Nicolas Sarkozy ; une autre plutôt sociale-démocrate ne s’est pas
retrouvée, à tort ou à raison, dans le choix de Ségolène Royal ; enfin sa base, électorat
de droite modérée traditionnel, s’est élargie à droite à quelques effrayés du
Sarkozysme ainsi qu’à des expérimentateurs du renouveau.venus de toutes parts.
Si, comme le
laissent penser les déclarations de François Hollande, la stratégie de la
candidate socialiste était d’une part de rassembler sur un “tout sauf Sarkozy”
et d’autre part de se limiter à ouvrir les bras aux électeurs de François
Bayrou en faisant quelques œillades au centre, il est à craindre que cela ne
suffise pas.
En effet, on
peut d’abord compter sur la plasticité de Nicolas Sarkozy et sa capacité à
occuper le devant de la scène sur de nouveaux thèmes, pour que l’impact du “tout
sauf Sarkozy” dans l’opinion soit atténué au second tour. Il devrait être
capable semer le doute chez une partie d’un électorat qui ne lui est pas a priori
très favorable et tenter de faire passer son extrême raidissement à droite lors
du premier tour pour une caricature exagérée, voire comme un positionnement plus
tactique que sincère. On peut aussi compter sur Nicolas Sarkozy pour piller le
discours centriste et tenter de mettre en évidence ce qu’une partie de l’électorat
Bayrou perçoit comme les limites des capacités politiques de madame Royal.
Par ailleurs
François Bayrou a su fédérer autour de lui un électorat aux motivations
diverses sur une volonté de se ressaisir du terrain politique et sur l’idée
d’une recomposition. Il est vraisemblable qu’une partie non négligeable de cet
électorat ne pourrait envisager un vote Royal autrement que comme un reniement,
sauf à obtenir une contrepartie politique solide. Notons à cet effet que l’offre de débat
proposée par Ségolène Royal à François Bayrou semble être davantage une tentative de mise en scène d’un rapprochement destinée à amadouer les électeurs que la
volonté d’aboutir à un accord politique. On peut penser qu’elle s’inscrit en
toute logique dans la stratégie de l’image développée jusqu’ici par la
candidate.
Quelle
latitude reste-t-il donc à Ségolène Royal ? Elle n’a vraisemblablement aucune
intention de jouer la carte d’un DSK qui
aspire, après une éventuelle défaite, à devenir l’homme fort d’un PS rénové
et qui, au-delà des tensions personnelles, la priverait de toute façon de beaucoup trop d’oxygène. On notera au passage
que son ambition a sans doute amené DSK à claquer un peu trop fort la porte sur
les doigts de François Bayrou sur la dernière semaine de la campagne.
On arrive
donc assez naturellement à cette conclusion : madame Royal a besoin des
électeurs de François Bayrou bien au-delà du “tout sauf Sarkozy” et du vote
perdu de la gauche ; madame Royal a en fait besoin de la “dynamique Bayrou”.
Le levier de
l’électorat Bayrou dans sa globalité, c’est la recomposition politique. Il
reste en fait à madame Royal une option osée mais fracassante. Une option qui
non seulement l’émanciperait définitivement de la tutelle du Parti socialiste,
mais lui permettrait de construire la stature politique dont elle a besoin : madame Royal doit mener elle-même cette recomposition directement avec François
Bayrou, et ainsi lancer la rénovation de la gauche. Elle doit signer un accord
avec le centre avant le second tour, un accord qui verrait des engagements en
particulier en matière de dialogue social et de rigueur budgétaire, en matière
institutionnelle et sur le plan européen. Un accord qui verrait un Premier ministre
centriste et un engagement de désistement mutuel aux législatives. Sur la base réaliste
de la politique que Ségolène Royal peut se permettre de mener une fois au
pouvoir, cet accord est largement possible. Le PS se verrait contraint de
suivre au risque d’apparaître comme faisant le jeu de Nicolas Sarkozy. Madame Royal
ne perdrait sans doute que très peu de voix de gauche tant, de ce côté-là, le
“tout Sauf Sarkozy” est fort. Elle aurait toute les chances d’emmener l’essentiel
d’un vote Bayrou satisfait d’avoir pesé constructivement sur les choses, et la
victoire ainsi obtenue ferait d’elle la figure incontournable de cette
rénovation politique française tant attendue. Elle deviendrait une figure
d’équilibre entre une gauche qui ne pourrait exister sans elle et un centre
qui ne pourrait se passer d’elle sans se saborder. Le crédit des réformes
entreprises et d’une paix sociale retrouvée lui serait acquis pour de longues
années.
Sarkozy élu
pour cinq ans, ce ne serait, certes, pour les ambitions personnelles de beaucoup
au PS qu’un rendez-vous pris pour 2012, mais cela serait surtout l’assurance
d’une régression sociale et d’un tournant ultralibéral qu’il ne sera plus
possible d’inverser dans cinq ans. Espérons que Ségolène Royal se donnera les
moyens d’une autre ambition que celle que le Parti socialiste semble vouloir
lui imposer : se limiter à ne pas se
faire voler la défaite.
Ne pas tout faire pour empêcher la victoire de Nicolas Sarkozy consisterait à envoyer aux électeurs le message que, finalement, Nicolas Sarkozy et son projet ne sont peut-être pas si dangereux, et laisser ainsi la porte grande ouverte à une victoire inéluctable.
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