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Accueil du site > Tribune Libre > Le droit à la lenteur

Le droit à la lenteur

Puisqu’au temps des cerises a succédé le temps des crises, ne nous précipitons pas pour ramasser les fruits pourris qui nourrissent nos appétits zélés depuis tant d’années.

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Journal satirique de 1878
 
Le temps, c’est de l’argent, paraît-il. Time is money, comme ils disent là-bas. Et si l’on arrêtait de croire à cette assertion, à ce dogme, puisque le mot est à la mode ? Non, le temps, c’est du sable qui s’écoule, c’est de l’eau qui suit son cours, c’est du futile, des sensations, des sentiments, des pensées, des rêves, du repos... Le temps, c’est la vie ! A quoi bon aller toujours plus vite si c’est pour ne plus avoir le temps de vivre ? Osons ridiculiser à ma gauche ce vieux Stakhanov qui séduit encore quelques camarades endurcis et à ma droite cet agité de l’Elysée qui devrait travailler un peu moins pour sa propre santé autant que pour la nôtre.
 
Récemment, la palme d’or du dernier festival de Cannes, Oncle Boonmee, a été raillée pour sa lenteur et le profond ennui qu’il a procuré à certains critiques. Je ne jouerai pas dans la même cour que Lionnel Lucas (le publicitaire UMPiste du film Hors la loi), à parler d’un film que je n’ai pas vu, mais je trouve assez curieux de reprocher à une œuvre d’art de s’attarder trop longtemps sur certains plans ou d’être trop silencieuse. Un film doit-il bombarder des images dans tous les sens pour nous intéresser ? L’art ne mérite-t-il pas le temps de la contemplation ? Tant qu’on y est, pourquoi ne pas snober la Joconde parce qu’elle ne bouge pas assez ou parce que sa poitrine n’est pas en 3D ?
 
En plein débat sur la retraite à 60 ans, la partie de poker disputée entre les syndicats et le patronat, dans laquelle la droite et la gauche manquent de clarté, occulte quelque peu la réflexion à mener sur la place croissante qu’occupent les "vieux" dans notre société. A quoi bon parler de retraite à 62 ou 63 ans si les salariés sont considérés comme trop âgés passés 50 ans et finissent bien souvent à la poubelle (non recyclable) ? Trop vieux, trop lents, pas assez productifs donc pas assez rentables : On en revient au même problème... Pourtant, l’expérience et le recul ne constituent-ils pas un avantage certain dans un contexte difficile ? Honnêtement, je me sentirais plus rassuré (et les grecs avec) avec des seniors dans les salles de marché plutôt qu’avec ces jeunes traders surexcités. Certes, on ne serait pas à l’abri d’une confusion entre francs et anciens francs, mais les erreurs entre millions et milliards ne se limitent pas au vieil âge, comme a pu s’en délecter Wall Street début mai. A l’heure du chômage de masse des jeunes, ne faudrait-il pas encourager la coopération, la formation, voire la colocation entre les petits cons de la dernière averse et les vieux cons des neiges d’antan ? Allez, je l’ose, et si la réponse à la crise résidait dans la fraternité entre les générations ? Fra-ter-ni-té, qu’on vous dit ! Allons enfants, formez vos scrabbles géants facebook !
 
La question de la vitesse se pose également dans d’autres domaines. Je n’irais pas jusqu’à proposer des courses d’escargots à la place des Formule 1 ou de remplacer Usain Bolt par Fidel Castro, mais ne devrait-on pas mettre un terme aux mythes prométhéens qui inondent notre imaginaire ? Peut-on encore rêver à conquérir l’univers et à atteindre la vitesse de la lumière quand on n’est pas capable de boucher un foutu trou dans un puits de pétrole ou lorsqu’un misérable nuage de cendres provoque une panique générale chez les classes aisées de la planète ? Le mythe de la connaissance universelle et instantanée qu’apporte Internet me paraît également très magnifié : Certes, on a accès gratuitement aux plus grands chefs d’œuvre, mais qui prend encore le temps de les découvrir ? De la même manière, le débat politique surfe sur l’actualité et ne s’attarde que rarement sur des questions qui mériteraient de s’étaler sur une durée plus importante. A qui la faute ? Aux hommes politiques, aux médias ou aux moustachus judéo-bolchéviques égorgeurs de moutons ? Peut-être est-ce tout simplement cette préférence naturelle des électeurs pour la grossesse de Céline Dion plutôt que pour le sort du Rachel Corrie (ou pour la mémoire de la jeune américaine, victime d’un bulldozer israélien à Rafah en 2003, qui donna son nom au bateau) qui pousse à jongler d’un sujet à un autre. Je propose toutefois aux retraités oisifs, aux hommes pressés, aux chômeurs patentés et à tous les autres d’investir la scène politique pour remettre au goût du jour la démocratie participative chère à Jean-Jacques Rousseau et à Ségolène Royal et pour en finir avec cette démocratie représentative qui ne vit qu’au rythme des élections. Prenons le temps d’inventer notre avenir !
 
Alors évidemment, on va me prendre pour un doux rêveur, pour un utopiste rousseauiste, voire pour un obscurantiste partisan de la décroissance. On va m’objecter que les armées d’invasion chinoises et indiennes rigolent bien de notre douceur de vivre et de nos vœux pieux. Mais qui est à l’origine de cette conception du développement fondé sur la quête de rentabilité et de croissance à tout prix ? Il s’avère que notre modèle ne semble pas aussi durable que nous l’aurions imaginé. Eh bien, crions-le sur tous les toits du monde. Aurions-nous perdu toute foi dans notre capacité à imposer nos idées ? Va-t-on continuer à appuyer sur l’accélérateur en prétextant que nos voisins nous rattrapent tout en se rapprochant dangereusement du mur ? Il ne tient qu’à nous de rouler à une allure de retraité et de proposer un chemin de traverse plus paisible à nos concitoyens du monde...
 

Moyenne des avis sur cet article :  4.8/5   (20 votes)




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25 réactions à cet article    


  • ZEN ZEN 9 juin 2010 10:56

    Bonjour
    J’ai bien aimé votre article, qui ouvre de nombreuses pistes de réflexion
    Prenons le temps d’inventer notre avenir...

    Tout est là , et jamais les conditions pour le faire n’ont été si défavorables, drogués que nous sommes à la vitesse, toujours dans l’urgence, effet d’un système économique qui a fini par façonner notre perception du temps et notre vie intime
     Paul Virilio a bien analysé ça
    Quoique la crise puisse peut-être créer un choc salvateur de ce point de vue


    • Peachy Carnehan Peachy Carnehan 9 juin 2010 12:57

      Pareil que Zen. Rien a ajouter.
      Excellent article que j’ai pris le temps de lire.
      +1


    • sisyphe sisyphe 10 juin 2010 00:17

      Pas mieux. 

      Très bon texte, qui incite à prendre le temps d’y réfléchir ; double effet kiss cool 

      Ca fait du bien..


    • JoëlP JoëlP 10 juin 2010 09:10

      Je prends le temps por mettre encore un + pour cet article.
      La vrai modernité se trouve là, dans la lenteur, le temps de vivre, une consommation moindre. Ceux qui nos parlent de compétition, de travailler plus, de gagner plus... sont des gens ringards, dépassés, d’une autre époque. Il n’ont pas intégré le fait que, depuis des décennies, la production d’objets n’est plus le problème. Le problème, c’est la distribution et la sauvegarde des ressources de la planète.

      Pour une économie distributive et vraiment économe !


    • slipenfer 9 juin 2010 12:01

      Le TGV : syndrome du toujours plus

      Tout le système du chemin de fer est destiné à des gens qui sont toujours
      pressés et donc ne peuvent rien apprécier.Aucune personne qui pourrait
      l ’éviter d’une manière ou d’une autre ne voyagerai de cette façon.
      Elle prendrait le temps de voyager à son aise par les collines et entre
      les haies,et non à travers des tunnels et des remblais. Et celui-là ne
      possèderai pas un sens assez développé de la beauté,pour que nous devions
      lui adresser ensuite la parole à la gare.Dans cette perspective,le chemin de fer
      est une affaire sans intérêt dont on se débarrasse aussi vite que possible.
      Il transforme l’homme qui était voyageur en un paquet vivant. J.Ruskin
      Les avions n ’en parlons même pas.
      les autoroutes (effarent) Mise en service prévue entre 2010 et 2015 Lien 
      Verdissement des aéroports (MDR)  : Lien
      Les économies d’ énergie c ’est a vous de les faire arfffffffff !!!!
      memento mori

      http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:StillLifeWithASkull.jpg


      • marie81 9 juin 2010 12:20

        sur Agora c’est pareil,les articles qui défilent
        combien d’entre nous prennent le temps de les lire entierement,ouvrir les liens,rechercher les nôtres eventuelement qui pourraient apporter quelque chose
        quelques commentaires pour se défouler et on passe à autre chose

        n’avez-vous pas remarqué que les idées « géniales », de bonnes trouvailles nous viennent dans les moments de calme ,loin de la précipitation..

        à part le samu et les pompiers ,je ne vois pas l’interêt de la vitesse


        • ZEN ZEN 9 juin 2010 13:11

          Sarkospeed nous montre la voie...


        • ZEN ZEN 9 juin 2010 13:13

          Le bon lien est ici


        • Antoine Diederick 9 juin 2010 22:46

          exact Marie, le temps est à la vitesse , je n’ai pas lu cet article, mais j’aimerai tellement qu’il soit possible de faire l’éloge de la lenteur et l’auteur le fait pas trop mal....c’est comme les transmissions de savoirs , les transmissions des usages, il faut du temps au temps pour comprendre et aimer.


        • Antoine Diederick 9 juin 2010 22:48

          un bonsoir rapide à Zen le sage pour mon passage rapide et pas lent sur Avox... smiley


        • Antoine Diederick 9 juin 2010 22:55

          a Zen, oui mais Miterrand avait inventé avec Séguéla la « Force tranquille »....



          • Lucien Denfer Lucien Denfer 9 juin 2010 13:26

            Oui d’accord mais...

            La lenteur et prendre le temps de vivre, les Français l’ont déjà connu avant de quitter leur campagne et de venir s’entasser dans les agglomérations. Je ne crois pas que ce soit par gaieté de coeur qu’ils aient abandonné leur terre et de tels paysages. 

            • Don Gavroche De La Serna Don Gavroche De La Serna 9 juin 2010 20:37

              Vous avez raison, ils se sont arrachés à leurs racines pour venir trouver du travail, et c’est bien normal de chercher à améliorer ses conditions de vie, mais je pense qu’on doit désormais réfléchir à un autre modèle que celui du bien-être matériel à outrance sans sombrer dans le retour aux cavernes.

              Je me trompe peut-être mais on croit entendre une chanson de Jean Ferrat entre vos lignes : La montagne


            • Lucien Denfer Lucien Denfer 9 juin 2010 22:21

              Ah quel artiste nous venons de perdre. Cette chanson d’une quarantaine d’année qui n’a pas pris une ride, elle est intemporelle...

              trois minutes de pur bonheur

            • ZEN ZEN 9 juin 2010 14:12

              Résister au bougisme

              Il est arrivé à Taguieff d’écrire au moins un bon livre

              Lucien
              Pourquoi aller d’un train d’enfer ? smiley


              • Lucien Denfer Lucien Denfer 9 juin 2010 15:54

                L’enfer c’est les autres, alors restons zen...

                un trait d’humour vaut bien le détour. merci

                Taguieff plaide pour une démocratie forte qui sache se défendre face au globalisme, mais c’était en 2002 si je ne m’abuse.



              • Gavroche Gavroche 9 juin 2010 20:08

                @ l’auteur : bonjour cousin. 

                Article agréable, pas très loin de l’Eloge de la paresse.

                Mettre un pied devant l’autre,

                S’arrêter à une fontaine,

                Reprendre le sentier qui serpente,

                Cueillir des baies sauvages,

                Voilà la bonne vitesse smiley


                • Don Gavroche De La Serna Don Gavroche De La Serna 9 juin 2010 21:16

                  Toujours le nez dans le ruisseau ?
                  Ce doit être la faute à Rousseau...

                  A vrai dire, mon titre fait référence au pamphlet de Paul Lafargue, Le Droit à la paresse, publié en 1880.

                  Bonne route, fils Thénardier...


                • Antoine Diederick 9 juin 2010 22:57

                  Rousseau, c’est le droit à la flanerie créatrice...merci Jean-Jacques.


                • ChatquiChouine ChatquiChouine 9 juin 2010 21:19

                  Ah l’éloge de la lenteur.

                  Au cinéma, cela peut rapidement devenir pénible....sauf si c’ est filmé avec maestria, joué par des acteurs hors normes, et accompagné par une bande son exceptionnelle.

                  Alors là seulement, la lenteur d’une partie d’echecs peut devenir un grand moment de cinéma...


                  • Antoine Diederick 9 juin 2010 22:50

                    au ciné, la lenteur c’est l’ennui, pour les âmes ardentes ainsi que pour les esprits de feu , la lenteur est définitivement lente....


                  • Antoine Diederick 9 juin 2010 22:27

                    Tout ce qui est grand est lent, il faut de la lenteur pour mûrir les grands desseins....

                    Ce qui est mûri de lenteur trouve son avènement dans l’urgence nécessaire au bon moment.

                    C’est comme si l’Univers et sa force invisible reconnaisait alors ce qui convient.



                    • iris 10 juin 2010 09:28

                      oui et l’aventure n’est pas loin-pas besoin de faire de grands vvoyages en avion -
                      prendre le train -marcher -dans les villes comme dans les campagnes-
                      l’aventure c’st plutot de rencontrer d’autres humains


                      • L'enfoiré L’enfoiré 10 juin 2010 10:07

                        Juste un coup de frein
                        Vous ne parvenez pas à vous endormir. Vous vous retournez et retournez encore, dans ce putain de lit, rien ne se passe et le sommeil ne vient pas. Vous pensez à tout ce qui ne va pas. Aux problèmes qui ne font que défiler dans votre mémoire. Le mot « crise » ponctue quelques phrases au hasard.
                        Vous vous énervez et pourtant c’est le moment de vous rendre compte que le temps existe vraiment et qu’il peut être long. Écouter s’égrener les secondes à l’horloge vous donne enfin l’impression et la conscience qu’il existe autre chose que la vie trépidante. Au plafond, le faisceau de l’horloge projette l’heure et les minutes.
                        - Alors, c’est quand que tu vas passer à la minute suivante ? Quelle idée d’avoir acheté ce compteur de temps qui n’a que les heures et les minutes à bord. Avec les secondes en plus, on aurait pu croire qu’il vit encore.
                        Comptez les moutons qu’ils disaient. Ils ne savent pas que cela oblige rester éveiller pour n’en passer aucun.
                        Cette pensée de l’existence du temps vous permet de rêver au passé tout proche, aux bons et mauvais moments de la journée écoulée. Rendre en fait le temps au temps. La nuit est conseillère, espérons qu’à votre réveil, il en restera quelque chose.
                        Insensiblement, insidieusement, vous ne pensez plus à cette horloge de malheur.
                        Un déclic, une inattention et Morphée reprend ses droits.

                        Pourtant, au matin, la routine reprend le dessus, avec ses obligations stressantes.
                        Par habitude, vous voulez dépasser la voiture qui vous précède dans la file et qui vous semble se traîner lamentablement (il a peut-être lu cet article avant vous).
                        Un conseil ? Restez bien sagement derrière lui et regardez à gauche et à droite. La nature vous a probablement échappé jusqu’ici, les choses ont changé sans que vous en ayez pris conscience. Un coup de frein s’impose très vite de peur de rater la marche décisive.

                        Au bureau, prenez le temps de planifier votre travail. Réservez-vous des temps de vie (non des temps morts, quelle drôle d’idée) pour espacer vos actions journalières.
                        Votre patron vous relance et vous replonge dans le stress habituel. Qu’à cela ne tienne, restez zen. Et comme vous avez programmé votre temps, vous aurez une vue plus claire des objectifs de la journée et de ce qui reste important à votre vie. Refusez la fuite en avant.
                        Au besoin, faites lui lire cet article. Malgré ses impératifs, peut-être réfléchira-t-il aussi à son propre intérêt en temps qu’Homme, qui calmerait son stress et épargnerait sa santé.
                        Montrez lui la fenêtre qu’il n’a plus pris le temps d’ouvrir. Le monde extérieur qui prend encore le temps d’y jeter plus qu’un coup d’œil distrait.

                        Le livre de la vie se lit et se savoure mot à mot, phrase par phrase, chapitre après chapitre.
                        Ne tournez pas une page sans en avoir compris tout le sens.
                        Contrôlez le déroulement de l’histoire avant de passer au chapitre suivant.
                        Au fur et à mesure que vous avancerez dans la lecture, vous éprouverez peut-être des envies d’en connaître la suite, d’en deviner une part du dénouement.
                        Surtout évitez de brusquer les choses, car ce livre-là est à sens unique. Pas question de relire une page non assimilée et qui vous a fait perdre le fil.
                        Le livre n’a pas un nombre de pages illimité et ce serait dommage d’approcher de la fin en vous retrouvant tout désorienté sans savoir si le temps n’est pas passé au dessus de votre tête à votre insu.
                        Un autre livre est un luxe que nous ne pouvons pas nous payer, et arrivé à la dernière page, nous pouvons espérer que le résumé du livre soit à la hauteur de nos espérances.

                        Ce soir, en allant vous coucher, en repensant à tout cela, vous verrez que les bras de Morphée vous seront grand ouverts et que la journée fut bonne.

                         smiley

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