Le film « made in France » censuré : quand les tabous ont la vie dure !

Il faudra encore patienter pour visionner en salle le thriller d'anticipation de Nicolas Boukhrief, "Made in France", qui devait sortir en salle en... novembre 2015, et dont l'arrivée est repoussée au printemps 2016 suite aux évènements dramatiques qui correspondaient traits pour traits au scénario de ce film.
On remarquera tout d'abord que le titre s'inspire sans doute du "Made in Britain" sorti dans les années 1980, drame social qui dénonçait l'explosion de la délinquance juvénile dans l'Angleterre thatchérienne. Boukhrief a donc repris le synopsis, adapté à la situation actuelle des poudrières urbaines françaises, où communautarisme, refus d'intégration, délinquance et abandon des pouvoirs publics ont poussé les jeunes vers l'islamisme radical. Cela sur fond de dénationalisation de l'hexagone, où le rejet d'une éducation au patriotisme républicain et à la conscience collective sont encouragés par nos oligarchies, ultra-libéralisme oblige. Le capitalisme sauvage n'a ni identité, ni loi, ni frontière. Ses valeurs, fric et égocentrisme, se sont concrétisées par le rap "nique la France" et le retrait des services publics des quartiers. C'était sans compter sur l'invité surprise depuis les années 1990, l'islamisme...
Contrairement à l'opus britannique, la "fabrication à la française" n'est pas seulement à dominante sociale, fin de l'époque de la lutte des classes oblige. C'est l'ethnico-religieux, on l'aura compris, qui est de mise. Puisque l'on a empêché enseignants et éducateurs de former des patriotes, les jeunes se tournent vers les repères traditionnels, ceux de leurs origines familiales. Une donne non anticipée dans les années 1970, lors des premières vagues d'immigration nord-africaine, quand le patronat voulait remplacer les prolos syndiqués par une main d'oeuvre docile, analphabète et sous-payée. Et athée, à l'époque. Qui s'est soucié des diatribes prophétiques de Malraux ?
Donc Nicolas Boukhrief a tourné un long-métrage nerveux et sans concessions, qui reprend point pour point toutes les phases de la jihadisation des jeunes, de l'endoctrinement au passage à l'acte. Il nous rappelle que les attentats étaient prévisibles, qui peut feindre d'avoir été surpris par les horreurs du 13 novembre ? Il est vrai que le syndrôme de non-acceptation des réalités frappe de plein fouet une bonne partie des français, il n'y avait qu'à constater le peu de réaction de ces derniers au lendemain des tueries. Passivité, surprise ou surtout peur de l'avenir ? Car la situation sociale et nos poudrières urbaines n'incitent pas à l'optimisme.
On remarquera que ce n'est pas un policier mais un journaliste qui infiltre les islamistes dans le film. Ce choix de Boukhrief n'est peut-être pas innocent. Comme beaucoup de français, il doute de l'efficacité de nos services de police. Qui pourrait lui donner tort ? Les Amimour, Mostefai et compagnie étaient connus mais mal surveillés, certains sortaient de prison (ou pire, l'avaient évité contre... engagement à ne pas partir en Syrie !). Abdeslam Salah a pu fuir en franchissant trois barrages de police sans encombre. Certains de ses potes s'exerçaient au tir dans les clubs de la police nationale ! Incroyable de naiveté et d'imprévoyance, quand il ne s'agit pas de négligence à la française. Au passage, on ajoutera que personne n'a exigé la démission du ministre de l'intérieur Cazenave qui pourtant allait de soi après un tel ratage.
Mais l'intention première du film semble être une mise en garde face à l'avenir. L'absence de perspectives pour les jeunes engendre la violence, ce qui n'est pas nouveau. Seule la nature de l'idéologie, l'islamisme, est inédite en France. Un pays qui a su éviter le terrorisme "rouge" il y a quarante ans, quand il sévissait en Italie et en RFA. Mais à l'époque nos services publics, dont la police et la justice, étaient efficaces. C'était avant les années désastres Chirac-Sarkozy, prolongées avec Hollande, où le retrait de l'état était la priorité. Au passage, le remplacement des éducateurs par des imams bénévoles dans les prisons, ce n'était pas un calcul fiscal ? Hypocrisie quand tu nous tiens...
Sombre avenir en tout cas, au moment où des marées de migrants risquent de venir renforcer nos problèmes sociaux. Sans croissance économique, sans politique d'assimilation des jeunes, une classe dirigeante à côté de la plaque et un conformisme ambiant figé, notre pays doit se préparer à un bien difficile XXIè siècle. Merci toutefois à Nicolas Boukhrief d'essayer de faire bouger les choses, en relançant le cinéma "coup de poing" à la Boisset et à la Ken Loach. On concluera en rappelant que l'absence de culture est hélas le trait commun de la plupart des extrémistes. D'ailleurs le message du tueur en chef Abaoud, qui exibait sa kalachnikov et son coran (qu'il était probablement incapable de lire) devant son pick-up trainant des cadavres de soldats syriens, n'était-il pas "quand j'entends le mot culture je sors ma kalash" ? Un message parait-il très bien reçu dans les prisons françaises, auprès d'une population sous-éduquée et condamnée à la marginalisation sociale... comme quoi l'Histoire n'est qu'un éternel recommencement.
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