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Accueil du site > Tribune Libre > Le verlan, une tradition bien française (réponse à Nadine Morano)

Le verlan, une tradition bien française (réponse à Nadine Morano)

De Jean-Michel Cadiot.
Nous sommes en plein coeur d’un « débat », nauséeux, sur l’identité française, qui ne peut qu’énoncer de vagues et inutiles définitions opposant certaines personnes ou certaines catégories à d’autres, et procéder à des amalgames et des anathèmes, une aubaine politique pour le Front national. Car les diatribes sans retenues sur la toile se concentrent sur l’Islam, plus exactement s’adonnent à l’islamophobie. Deux saines réactions, le 21 décembre, Alain Juppé constate qu’il « y a un risque, quand vous entendez certaines déclarations, vous vous dites qu’il y a un risque et je crois qu’il ne faut pas prendre ce risque, il faut tout faire pour essayer au contraire de favoriser le dialogue, la compréhension mutuelle ».

 Pour lui, la véritable question est de savoir si "oui ou non nous sommes prêts à continuer à assumer cette tradition (d’accueil, ndlr) et en particulier vis-à-vis de la communauté musulmane. Et moi, naturellement je réponds oui à cette question".
 "A partir du moment où on a en France des musulmans qui parfois sont nés sur le sol national, Français par naissance qui appartiennent à des familles parfaitement intégrées, au nom de quoi les stigmatiserait-on et leur refuserait-on le droit d’exercer leur religion ?", s’est-il interrogé.
 Et il y a François Bayrou : "L’identité de la France ne serait pas ce qu’elle est si nous ne respections pas les valeurs républicaines qui ont fait de nous un peuple de citoyens. La République, c’est un projet en soi et pas seulement un slogan au fronton des édifices publics", a-t-il dit le 6 décembre à Arras. "Liberté, égalité, fraternité, à l’intérieur de nos frontières et dans le monde, tel est le projet de la République française. Et chaque fois que nous y manquons, et spécialement chaque fois que le président de la République y a manqué, il a porté atteinte à l’identité nationale française", a-t-il ajouté.
 
 Dans ce contexte, une ministre, très bon chic, très bon genre, Madame Nadine Morano, a demandé au "jeune musulman" de ne pas mettre sa "casquette à l’envers" et de ne pas parler "le verlan".
 Si la casquette à l’envers est une habitude des jeunes Américains et des jeunes Cubains, et de bien d’autres jeunes ou moins jeunes du monde entier, elle ne s’impose pas à la vue des habitants ou des passants des banlieues parisiennes ou lyonnaises, n’en déplaise à Madame Morano. Ce n’est pas très grave.
 Ce qui me semble une bien mauvaise querelle, c’est celle concernant le "verlan", ce langage codé inversant de façon savante, presqu’académique les mots ou les syllabes, et qui s’est incrusté dans les banlieues, certes, mais pas seulement. C’est plutôt un langage moderne que se sont appropriés les banlieues.
 Ecoutons Alain Decaux, historien et ancien ministre, en tout cas académicien de renom s’il en est, tel qu’il s’exprimait le 16 octobre 2001 lors de la "cérémonie de rentrée" des cinq académies. "Ce que nous imposera le XXIè siècle, c’est l’intégration de verbes, de substantifs et d’adjectifs nés du nouvel argot : le verlan. Ainsi trouve-t-on déjà, dans Le Petit Robert comme le Petit Larousse, le mot "ripou", verlan de pourri (...) En lui accordant le x au pluriel, les producteurs (du film "Les ripoux", note de l’auteur) l’ont introduit dans l’inoubliable série : bijou, chou, genou. " (...) L’argot d’aujourd’hui, véhiculé par la toute-puissance des medias, s’impose bien au-delà des banlieues et l’attraction qu’il exerce sur les milieux scolaires de toutes classes sociales, ne fera que confirmer, au XXIè siècle, la force grandissante du langage parlé. Il sera vain de vouloir le combattre car le langage parlé est celui qui, depuis les origines, a précédé le langage écrit".
 Je laisse crédit à Mme Morano de n’avoir pas voulu s’inscrire dans une telle problématique, et d’avoir eu à l’esprit, certainement, d’aider ces musulmans (pour quoi "musulmans", en quoi la religion a-t-elle à voir avec tout cela) à combattre cette "caricature, cette stigmatisation" dont ils seraient l’objet en parlant verlan. Bref, là où M. Decaux voit un apport, une richesse, Mme Morano décèle un danger. Peut-être de bonne foi. Mais de mauvais conseil, de mauvaise culture. La vraie question est : Pourquoi le verlan, sous ses différentes formes, et qui n’empêche nullement, en cas de besoin nombre de ses locuteurs de s’exprimer en un français fort classique, est-il stigmatisé ? 
 Déjà, le roman de Tristan et Iseult, en 1190, s’amusait à inverser les noms. L’amant était parfois appelé Tantris. Comme le souligne la linguiste Nadia Bouhadid, de l’Université Mentouri de Constantine, "au XVIè siècle, l’écrivain le plus classique des français, Voltaire, a également eu recours à ce procédé : son pseudonyme Voltaire est la forme verlanisée d’Airvault, ville dont est originaire sa famille". En 1690, le Dictionnaire universel de Furetière souligne : "On dit, c’est verjus ou jus vert pour dire : c’est la même chose".
 Le verlan serait apparu, comme langage dans une lettre de bagnard surnommé "La Hyène", en 1842. ll s’y trouve beaucoup de mots de langage carcéral notamment inversés, comme "jobard" ou "barjot". La même année sont publiés "Les mystères de Paris" d’Eugène Süe, qui met en scène des gens sans doute misérables, mais sachant à merveille composer avec les mots.
 Mais c’est Auguste Le Breton qui donne ses lettres de noblesse, "vers 1940-1941", assure-t-il dans Le Monde du 8-9 décembre 1985 à ce langage nouveau. En 1975 le verlan, remplace "officiellement" ce qui fut longtemps appelé "versl’en", ou "verlen". Dans son dictionnaire : "L’argot chez les vrais de vrais", Le Breton assure : "L’argot, lui, vivra toujours, puisqu’il est le langage des rues. Des mots disparaissent et d’autres naissent sans qu’on sache bien d’où ils sortent. Parfois, il suffit d’une réplique d’un titi d’un camelot, d’un ouvrier pour enrichir la langue. Parfois, un mot de fille ou de soldat fait mouche et est aussitôt adopté".
 Dans les quartiers et les banlieues chic, le verlan fut, dans les années 60, un jeu de construction, une distraction. C’est sans doute là, peut-être à Neuilly, que fut inventée "meuf". Dans les cités, ce parler l’emporte désormais sur le français "académique", sans doute parce que les jeunes Beurs (Arabes en verlan, qui a donné Rebeu, verlan de Beur....) s’accommodaient mieux d’un langage à eux, eux qui étaien discriminés et dans leur terre d’accueil ;et dans leur terre de naissance -ou celle de leurs ancêtres. Cela peu à peu devient un fait de société. "Depuis la fin des années 80, le verlan a été porté à l’attention du grand public lorsque les deux de l’actualité se sont tournés vers les banlieues chaudes et les observateurs de la jeunesse ont constaté qu’il y avait une langue et une culture propres aux cités déhséritées. Cette langue et cette culture se sont diffusées parmi les franges les moins intégrées de la jeunesse parisienne, et même plus loin jusqu’aux grands lycées et aux universités", affirme l’écrivain Rania Adel Hassan Ahmed.
 Lorsque Renaud chante "Laisse béton", en 1976, il s’adresse à tous les jeunes, à tout le monde. Il est compris de chacun. Fait-il du verlan ? Je n’en suis pas sûr, au sens où l’entend Madame Morano.
 
 Au fil des ans, le vocabulaire s’est enrichi, de façon inattendu, les "keufs" (flics), ou "kiffer" (aimer, qui viendrait de l’arabe). Ne disait-on pas "bled" ou "toubib", ou encore "gnole" dès les années 1920 ? Tous ces mots, comme ceux du verlan, ont cours dans les banlieues, Sarcelles, Garges-lès-Gonesse ou d’autres. Dans ces grandes et belles villes, on parle peu d’argent, mais de "thune". Sait-on que ce mot existe depuis 1620, qu’il signifiait au départ "aumône", et provient du mot "Tunis", sait-on, Madame Morano sait-elle que Victor Hugo l’utilisait dans Notre-Dame de Paris ? 
 
 Une langue n’est pas figée. La langue française, qui unit le gaulois (langue celtique), le latin, le grec, le germain, l’anglais, l’arabe, le perse et tant et tant d’autres langues s’épanouit chaque jour de nouveaux apports.
 
 Et le verlan existe bien ailleurs qu’en France. En Argentine, en Suisse. Le pachtoune, parlé par une majorité d’Afghans est une sorte de verlan du dari, parlé par la minorité....
 
 Une société n’est jamais menacée par son langage populaire, par son argot et par son verlan.

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10 réactions à cet article    


  • furio furio 23 décembre 2009 11:04

    En se penchant sur l’arbre généalogique de mme Morano, on trouve ...un certain Noramo né en Espagne !! Etonnish nein ?
    Ce brave Noramo qui en voulait terriblement aux sarrasins car l’un deux avait engrossé sa femme décida de s’appeler Morano. Et voila ! Pire même il se mit à porter casquette à l’envers, parler verlan, et quitter son emploi !!!
    Etrange non ?


    • LONESOME COW_BOY ludwig 23 décembre 2009 11:18

      Le verlan est un procédé de codage ancien dans la langue française et une simplification du jargon des bouchers : « Le louchebem ».

      A l’origine, il s’agissait pour les professionnels de la viande de pouvoir converser entre eux sans être compris par le client, à une époque ou il était bon de ne pas trop faire remarquer certains détails, la conservation de la viande avant l’invention de la chambre froide n’étant pas optimale.

      Comment fonctionne le « Louchebem » ?

      On inverse, comme dans le verlan, les syllabes.

      Boucher devient ainsi « Oucheb »

      Puis l’on ajoute une « L » devant le mot une terminaison en « EM » pour les noms communs et « OC » pour les adjectifs.

      « Boucher » devient ainsi « LOUCHEBEM »
      « Fou » devient ainsi « LOUFOC »

      Le verlan, que remit un temps au goût du jour le chanteur Renaud, est une tradition à inscrire dans « l’identité nationale » si ce concept est à considérer comme une sorte d’inventaire du patrimoine.


      • Gabriel Gabriel 23 décembre 2009 11:58

        Et Morano devient nasseco !


      • Surya Surya 23 décembre 2009 19:44

        Ce qui a donné le mot « loufoque », désormais passé dans le langage courant.

        Autant interdire le principe même de l’argot, puis ensuite l’apport de mots étrangers... puis tant qu’on y est, faisons la chasse à tous les mots étrangers apparus dans la langue française depuis le énième siècle, et ils sont très nombreux, et remplaçons les par des néologismes... ah mais non, impossible, puisqu’on n’aurait plus le droit d’inventer des mots nouveaux...

        L’argot, le verlan, et toutes les inventions langagières montrent que leurs auteurs ont une sacré imagination et un vrai sens créatif, même si on n’aime pas les mots qu’ils ont inventés. Par exemple, je ne trouve pas que le mot « meuf » sonne bien à l’oreille (en plus j’ai toujours pensé, peut être à tord, que ça a un côté péjoratif) mais libre à ceux qui n’ont pas envie d’utiliser ce mot de ne pas le faire.

        Et en quoi le fait de mettre sa casquette à l’envers serait-il répréhensible ?? C’est considéré comme un manque de respect envers qui exactement ? Et puis, la casquette à l’envers, ça remonte à loin, jugez plutôt : « Le bon Roi Dagobert, a mis sa casquette à l’envers... ». Ah non, mince, c’est pas ça, mais bon, on peut toujours adapter... Quand j’étais ado, la grande mode c’était de prendre des gros marqueurs indélébiles de toutes les couleurs et de tagger nos blue jeans avec des signes (genre peace and love), des slogans, des dessins, des paroles de chansons... on avait vraiment l’air cradingues même quand le jean sortait de la machine (en plus dès fois le marqueur ça coulait quand même un peu avec le lavage), et pourtant personne ne nous a jamais demandé de changer de fringues. Que se passe-t-il, de nos jours ?


      • Surya Surya 23 décembre 2009 19:46

        Changer de « vêtements », pardon...


      • BALLOUHEY BALLOUHEY 23 décembre 2009 13:13

        Parfaitement d’accord. Cette déclaration de Morano est d’une grande bétise. Le verlan fait partie de la langue donc de culture trançaise depuis la fin du dix-neuvième siècle. Quant à la casquette à l’envers, c’est de la physique élémentaire, quand on est à vélo, à moto, en rollers, sur la plateforme d’un camion, en tracteur ou en cabriolet si on a la casquette à l’endroit le vent de la vitesse la fait s’envoler, c’est con mais c’est simple. La casquette à l’envers la plus célèbre du monde est celle de Louis Blériot, et alors là si Blériot c’est pas du français grandiose et glorieux. Madame Morano, vous êtes une dinde et je suis injurieux pour les dindes surtout une veille de Noël.
        Ballouhey


        • Marianne Marianne 23 décembre 2009 13:42

          Maintenant, Sarkozy va lui clouer le bec et elle Noramo !


          • Massaliote 23 décembre 2009 14:00

            « Au fil des ans, le vocabulaire s’est enrichi, de façon inattendu » Je ne trouve pas. Le verlan actuel est un jargon assez réducteur. De plus, il s’est dévoyé en devenant très en vogue parmi « l’élite » et « merdiatiquement porteur ».


            • Voris 23 décembre 2009 14:51

              « Morano, we cant’ !

              C’est elle qui marche sur la tête !

              Non les musulmans n’ont pas introduit le verlan en France ni le port inversé de la casquette.

              Voris Bian, lui, défend bien sûr le verlan ! Voris Bian est l’envers en quelque sorte de Boris Vian qui pratiquait les jeux de mots, ayant inventé le personnage de Jean-Sol Partre. Il signait parfois »Bison Ravi" (anagramme de son nom)


              • MICHEL GERMAIN jacques Roux 23 décembre 2009 19:06

                Et les « Apaches » du début du XXème, plus de 30 000 selon « le petit journal ». Ca parle argot et verlan, une casquette vissée sur la tête, jeunes, très jeunes moins de 20 ans. Ca use du surin, fils des prolos (la canaille) de Belleville et de Ménilmontant laminés avec les autres par la guerre qui vient. 

                Casquette, verlan, quelle nouille ! Elle a certainement fait une terminale « S » expérimentale...

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