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Les derniers touristes après le tremblement du Népal

12 mai 2015, 17.45, Mahendra Highway, Népal

Nous sommes dans le Terai de l'ouest du Népal, ballotés dans un bus local. Nous n'avons ressenti aucune secousse depuis une semaine. Nepalgunj, notre location géographique actuelle, est le point le plus chaud du Nepal ; le mois de mai est également le plus chaud...Hier il a fait 45ºC. Chaleur humide, écrasante, insupportable, témoin de l'approche imminente de la mousson. Pas un brin d'air ne vient troubler la chappe de plomb infernale. De grosses gouttes de sueur se forment sur le visage ; le corps entre dans une transe méditative symptomatique d'un mode physiologique de survie. Chaque mouvement coûte, est-il utile ... ?

Depuis 5 jours nous n'avons dormi que dans des chambres miteuses, sales, la porte moins haute que le sommet de ma tête - et chocs douleureux conséquents ! Les dahl bhat tarkari - riz lentilles et curry de legumes - sont archi-épicés, les klaxons assourdissants des bus menaçant, le cri hélé d'un passant de l'autre côté de la rue à son comparse dans la langue sonore et cassante du népalais. Cette partie du Nepal est culturellement plus indienne. Les pastèques juteuses, les concombres acides, les melon sucrés et veloutés vendus en tranche à 10 NRP, les épis de maïs brulés en surface et cuits à souhaît. Les amortisseurs qui hurlent à la mort à chaque imperfection de l'asphalte ; et leur convoi humain qui encaisse avec résignation et ténacité les chocs de l'unique route défoncée qui rejoint les villes principales de l'ouest et l'est Terai. Le bus ralentit à chaque passager potentiel qui hante les bords de route poussiéreux, pour accélerer de plus belle dans une danse endiablée et rugissante, doubler un autre bus, et de se rabattre prestement tandis qu'en fâce un camion de 10 tonnes lancé à pleine vitesse crache une sirène furieuse et désesperée. Soudain nous sommes les témoins d'un accident de bus, qui, eu égard à la boucherie de la partie avant, a sans doute dû mal évaluer le dépassement respectivement au camion qui arrivait en face ; tohubohu, cris, corps inertes lacérés allongés sur le sol, partout du sang épais et pourpre ; l'horreur est indescriptible ; la mort rôde, le voile noire de sa robe macabre obscurcit le ciel ; ou alors ne seraient-ce que ces nuages lourds, annonciateurs d'une tempête prochaine ... ?

Nous arrivons enfin, démembrés, à Butwal. Chambre dans un hôtel de la station de bus de la ville de transit où nous avons choisi de passer la nuit pour couper la langueur de l'interminable voyage. J'allume la TV ; abassourdissement supplémentaire : un autre tremblement de terre, terrible, à l'ouest de l'Everest. Nous pensons qu'il s'agit d'une rétrospective du tremblement du 25 avril qui a fait 8000 morts ; mais non, la rage tellurique a encore frappé. Une intensité sismique de cette violence – 7.3 sur l'échelle de Richter – était à l'encontre des prédictions expertes internationales...

Nous n'avons rien ressenti ici dans le Terai : l'épicentre est à l'Est du Nepal, à 500 kms ; et les épuisantes vibrations de la mécanique inhérente à l'âge de la machine nous ôtent toute faculté de perception subtile. Nous arrivons à Pokhara, éreintés. C'est donc le sourire aux lèvres que nous apprenons que la chambre à notre habituelle guesthouse est prête, au dernier étage, spacieuse et confortable. La température clémente et presque fraîche contraste agréablement avec la fournaise du Terai. L'un des résidents de la guesthouse, Eric, suisse, témoin de l'époque euphorique et libérale des chemins de Kathmandu des années 70, nous raconte le capharnaum de la journée passée : longue secousse à 12.50, puis à 3.00 du matin. La famille de Vishnu, propriétaire de la guesthouse, est sur le pied de guerre ; ce soir elle dort sur le patio ouvert sur l'extèrieur. Alors, de nouveau, reprise des réflexes dictés par la paranoïa d'un troisième aftershock. Le sac d'urgence est près de la porte, nous sortons avec le minimum essentiel de survie en extérieur, dans le pire des cas... Pokhara est devenue une “ghost city” ; pas un touriste dans les rues. Le dhaba où nous degustons un savoureux chicken tikka, d'ordinaire bondé est vide. Israéliens, chinois, russes, ont fui le pays. Les népalais locaux se plaignent : le business est terminé, et la mousson imminente décidera les derniers touristes téméraires ; la saison recommencera en octobre...Ce qui n'est, du reste, pas pour me déplaire : je peux enfin renégocier les prix ; le trajet en taxi me coûte deux fois moins chers, le prix des mangues jaunes et sucrées fond, les taux de change de la roupie deviennent, en insistant un peu, delicieusement variables...Seuls les locaux profitent des alentours du lac en cette journée ensoleillée ; les barques de location sont accumulées, seules, tristes, sur le quai du lac Phewa. Des jeunes gens grattent une guitare en fumant une cigarette. Les pêcheurs sont venus tenter leur chance en cette fin d'après-midi ; tilipiu et sahar mahseer - poissons locaux - affamés entament leur ronde carnivore au changement de lumière du coucher de soleil. Deux adolescentes habillées en robe traditionnelle me lancent un sourire au charme indo-européen indéniable.

Hier ma soeur m'a appelé au télèphone : les média continuent à diffuser une information incomplète, déformée, tapageuse : tout le Nepal est dévasté, terreur et destruction planent sur le pays. Il s'agit de 8000 morts, pas de trente millions - population du Nepal... Ma famille a subi l'anxiété de ma savoir là-bas, je les previens, à chaque nouvelle secousse, pour les rassurer.

Le mariage du fils de Vishnu, Krishna, est prévu le 20 mai ; Krishna retournera d'ici quelques mois en Australie avec sa nouvelle femme. Pourvu que rien ne se passe ; 300 invités, une fête d'hônneur, un hymne à la tradition culturelle hindue du mariage népalais. Chacun attend sa destinée, celle de vivre ou mourir ici, un jour, demain, dans 10 ans, dans 50 ans. Mais pour l'instant, la vie s'écoule, en espèrant que la Terre retrouvera bientôt sa tranquillité d'antan...


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