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Accueil du site > Tribune Libre > Les « Élites » et les gens sans importance

Les « Élites » et les gens sans importance

 Une minorité, une aristocratie, un clan, une famille s’est toujours donnée pour tâche de discipliner la multitude. Un groupe n’est fort que par sa cohérence, l’ordre nécessaire est assuré par de multiples strates hiérarchiques qui doivent être acceptées, ou au moins subis passivement, par tous ou presque tous. À la tête de ces couches organisées se trouve un lider auquel on prête les qualités nécessaires pour se déterminer en fonction de l’intérêt général.

 En économie, les modèles utilisés sont autres. On part généralement des comportements individuels pour déterminer les comportements des groupes même si les premiers sont influencés par ces derniers pour de nombreuses raisons, dont les effets de mode, les informations publicitaires, les normes sociales… etc. Les transactions individuelles sont pensées être optimisées en fonction des intérêts matériels réciproques des protagonistes ; l’intérêt général découle de l’optimisation de la somme de toutes les transactions individuelles. Cette approche exclut les déterminants non matérialistes considérés comme pertinents dans le passé : l’obéissance à Dieu, au Roi, aux principes républicains, aux sentiments patriotiques… Le seul respect de Lois, pensées par les Hommes pour les Hommes, s’impose. 

 La construction socio-économique ainsi proposée semble cohérente même si elle peut être contestée en tant que vérité ultime d’une réalité complexe. Le ciment de toujours des peuples, celui qui unissait dans un même destin riches et pauvres, l’Amour, disparaît dans ce nouvel échafaudage. L’amour, vrai ou simulé, pour un monarque déifié, un élu sacralisé, induisait des commandements que chacun devait suivre, une morale que tous, nantis comme misérables, devaient respecter. Dans le nouveau cadre purement financier, aucune transcendance n’est possible puisque chaque transaction est mesurable et quantifiable : ni l’infini, ni les idéaux n’y ont leur place. Les liants ancestraux des peuples disparaissent. La lutte des classes devient dépassée alors que rien ne distingue plus arbitrairement deux être humains que leur degré de richesse. 

 Un idéal, par définition, ne peut pas être atteint à court terme. Une négociation, tout au contraire, doit se conclure à brève échéance. Même si des négociations ponctuelles sont optimisées, il n’est nullement prouvé qu’une suite de négociations sans idée directrice autre qu’un profit personnel puisse à terme conduire à un progrès, à un meilleur vivre-ensemble. La cohérence d’un ensemble de micro-actions doit obligatoirement être assurée par une force externe autre qu’une logique d’intérêt. La loi, les règlements sont censés assurer dans un monde sécularisé la force externe qui donne une cohérence sur le long terme à des opérations qui n’en n’ont pas dans l’instant. L’Organisation des Nations Unies, et les organismes dérivés, devrait assurer un cadre satisfaisant pour guider le devenir de l’ensemble de la planète mais il faudrait que l’ensemble des Hommes se reconnaisse comme un même peuple d’une même planète au delà des particularismes locaux. Ceci peut prendre bien plus de temps que le temps dont on dispose encore pour échapper aux multiples dérèglements tant économiques qu’environnementaux. Les instances globales ne pouvant pas être démocratiques, les Etats-Unis se sont chargés des affaires de l’ensemble de la planète Terre.

 Confier l’ensemble des destinées au secteur marchand présente l’avantage, pour les dirigeants, de pouvoir se décharger des responsabilités stratégiques concernant l’avenir de leurs « peuples » : la main invisible du marché se chargera d’y pourvoir. Le liant moral entre toutes les strates sociales n’étant plus assuré, un autre liant est imposé aux masses par la publicité, nommée communication lorsqu’il s’agit d’imposer des notions sociales ou politiques à une population. Ne pas être homophobe ou raciste n’est pas le résultat d’un cheminement de la raison mais résulte de campagnes publicitaires et médiatiques en négatif : la publicité fait désirer un produit mais peut aussi faire détester une sorte de comportements. Les valeurs morales traditionnelles sont positives : il faut être bienveillant, respectueux, généreux et elles s’acquièrent en suivant l’exemple de proches, de maîtres ou de saints. Le rejet du racisme fait lui appel au dégoût, selon un mécanisme proche de ces images répugnantes ornant les paquets de cigarette pour dissuader les fumeurs de fumer. La publicité sociétale ne permet pas d’acquérir une vertu mais une répulsion vis à vis d’un trait délimité. Le dégoût, la haine sont donc suscitées à l’encontre de personnes ou de groupes d’individus objectivement haïssables. Si le Bien subsiste, c’est seulement par le négatif du Mal.

 L’air du temps associe les « racistes » au petit peuple : ouvriers, employés, travailleurs précaires peu diplômés. Leur manque de culture et de repères philosophiques ferait errer une classe d’individus dans des marigots. Il faut cependant noter que la dite mondialisation a permis d’avantager considérablement le monde du capital sur celui du travail et qu’il est infiniment plus rentable de faire travailler des gens du tiers monde que d’autres possédant une protection sociale plus aboutie. Les investisseurs internationaux ont convaincu les dirigeants nationaux de sacrifier une classe sociale parmi leurs électeurs. La Nation qui servait de liant tend à disparaître au détriment de ceux qui y étaient le plus attachés car ils n’avaient qu’elle pour se sentir partie d’un tout. La Nation est devenue inopportune pour les marchands et les élites, si tant est qu’une différence puisse être trouvée.

 La financiarisation à l’échelle mondiale a permis également la jouissance à crédit des pays occidentaux grâce à l’utilisation sans frein par les gouvernements de déficits publics devant être comblés par des emprunts auprès du monde financier international. Le prix à payer pour ce bien être (relatif et très inégalitaire) à crédit est de permettre des enrichissements considérables pour une infime minorité au détriment de l’économie réelle. Les banques tirent ainsi la plus grande partie de leurs bénéfices de la spéculation et plus guère de la gestion de l’épargne de leurs clients. Les industriels de la pharmacie dépensent plus en marketing qu’en recherche et développement… L’argent-roi est devenu dieu : ce qu’il ne peut pas acheter, l’amour, l’amitié, la droiture voire l’honnêteté, n’a aucune valeur. L’apparence qui permet de plaire prend le pas sur l’essentiel qui permet de vivre.

 Le besoin de plaire pour éviter tout tumulte, toute révolte, devient tellement important pour l’ensemble du microcosme qui tire avantage de tout, de l’élite, des dirigeants, que la recherche d’une ou de la vérité n’est plus le but ni d’une vie, ni d’un peuple. Tout s’achète, tout se vend sans aucun frein moral, la publicité est en charge d’anoblir l’ignoble pour le faire rentrer dans ce qui est désirable. Les Hommes politiques se présentent à des élections pour lesquelles les plans de communication comptent plus que le contenu des programmes. Ajoutons à cela les roueries des plus madrés qui vont assombrir les images les plus brillantes. La guerre toujours tragique, jamais utile n’est en rien à l’abri du faux semblant, de l’approximation, du spectacle scénarisé pour atteindre ses objectifs. Un dirigeant vous dérange, des émeutes au sein de son pays vont survenir spontanément. Les luttes intestines prenant de l’ampleur, vous pouvez penser à l’élimination physique du gêneur mais au nom des droits de l’Homme. Pour préparer l’opération, il convient d’accuser le dirigeant honni des pires atrocités avec de vraies ou des fausses preuves pour désorienter les mouvements humanistes. Les médias une fois emplis d’indignation, vous intervenez brutalement avant que l’on puisse s’apercevoir du montage.

 Ainsi le monde se transforme en un monde virtuel où ce qui est vrai est ce qui est cru. Même la Science dite fondamentale n’est pas à l’abri de cette dérive. Le monde virtuel engendre peu à peu un Homme virtuel exempt de défauts mais dénués de toute espèce de vertu qui peut jongler avec les règlements, les lois, les notices de mode d’emploi, les enquêtes comparatives, les évaluations, le nombre de likes, toutes choses qui permettent de se passer des gens honnêtes.

 Les marchands ont détruit le temple.

 


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20 réactions à cet article    


  • Harry Stotte Harry Stotte 13 avril 2017 18:11

    « L’air du temps associe les « racistes » au petit peuple : ouvriers, employés, travailleurs précaires peu diplômés. Leur manque de culture et de repères philosophiques... »



    Ça me surprend toujours de voir comme le savoir rend vulnérable aux chimères universalistes, aux balivernes pacifistes et aux calembredaines solidaristes.


    Régis Debray, dans L’éloge des frontières, analyse fort justement les raisons du clivage séparant sans rémission les vrais gens des bobos et des intellectuels hors sol, vivant loin des gueux et de leurs prosaïques difficultés.

    • Jean Keim Jean Keim 13 avril 2017 18:34

      @Harry Stotte
      Et oui nous sommes tous indéfectiblement liés à et par nos savoirs, pour vous c’est Regis Debray et pour d’autres c’est Marx ou Coluche, et dans nos duels verbaux, nous nous affrontons à coup de d’idées mémorisées, de citations et d’indécrottables certitudes, et l’autre en face en fait tout autant, le prolétaire est tout autant fier de sa culture que le sorbonnard ou l’énarque, et dans l’aveuglement de ce qui n’est qu’un processus mental, nous avons la prétention d’avoir la raison pour amie, c’est dérisoire et cela empêche tout espoir de réel changement.


    • Harry Stotte Harry Stotte 13 avril 2017 18:52

      @Jean Keim

      « Et oui nous sommes tous indéfectiblement liés à et par nos savoirs... »



      Je ne crois pas qu’à la base, ce soit une question de savoir stricto sensu. C’est plus viscéral que ça, c’est une question de croyance. 


      Votre « réel changement », c’est comme Dieu, je ne parviens pas à y croire. Alors, disons que je n’ai pas la grâce, ni divine, ni progressiste ou socialiste, ou ce que vous voudrez. 


      Ça, ça ne s’apprend ni à l’école ni dans les livres.



    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 13 avril 2017 19:17

      @Harry Stotte
      Je connais bien le « petit peuple » pour de multiples raisons. L’Éloge des frontières est effectivement un livre intéressant.


    • Jean Keim Jean Keim 13 avril 2017 22:50

      @Harry Stotte
      La croyance peut-elle se baser sur autre chose que ce qui est connu ? Celui qui n’a jamais entendu parler ni de dieu , ni de diable, ne peut en aucune façon avoir une quelconque croyance à leur sujet.

      Le changement est dans les faits, ce n’est pas une croyance, sinon imaginer un monde qui ne peut être que le reflet de ce que nous connaissons déjà, mais là ce qui est en place est au mieux modifié mais de changement , il n’y en a pas.

    • Harry Stotte Harry Stotte 14 avril 2017 00:18

      @Jacques-Robert SIMON


      « L’Éloge des frontières est effectivement un livre intéressant. »


      Pour ma part, je le trouve d’une pertinence absolue : « Le fort est fluide. Le faible n’a pour lui que son bercail, une religion imprenable, un dédale inoccupable, rizières, montagnes, delta. Guerre asymétrique. Le prédateur déteste le rempart ; la proie aime bien. »

      Et les termes choisis nous rappellent que ce qui est admirable chez le Viêt-Cong ou le Palestinien, devient odieux lorsque c’est le Français qui s’en réclame.


    • Harry Stotte Harry Stotte 14 avril 2017 00:23

      @Jean Keim

      « La croyance peut-elle se baser sur autre chose que ce qui est connu ? »


      J’ai écrit « savoir stricto sensu ». Ce n’est pas par hasard.


      « Celui qui n’a jamais entendu parler ni de dieu , ni de diable, ne peut… »


      Si nous avions été Mundurukus, je n’aurais pas parlé de « Dieu », mais de ce qui nous en tient lieu dans la tribu


      Quant à la limite que je voulais introduire avec mon stricto sensu, c’est que la croyance, ou l’incroyance, s’impose à nous hors de tout savoir, sans que nous ayons la liberté de choisir entre l’une et l’autre. De ce point de vue, les types qui choisissent d’être païens sont des « folkloriques » qui prêtent à rire.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 14 avril 2017 08:16

      @Harry Stotte
      Bien entendu qu’une patrie peut être un refuge ultime lorsqu’on n’a plus rien, mais c’est aussi un espoir, un repère, un idéal que l’on garde dans le coeur quoi qu’il arrive et qui permet de garder le goût de vivre.


    • Harry Stotte Harry Stotte 14 avril 2017 10:09

      @Jacques-Robert SIMON

      « c’est aussi un espoir, un repère, un idéal que l’on garde dans le coeur quoi qu’il arrive et qui permet de garder le goût de vivre. »


      A mon avis, c’est ce « repère » qui a permis la pérennisation des Juifs depuis la déportation à Babylone (VIe s. av. J.C.), « L’an prochain à Jérusalem ». 


      Sans cette référence qu’ils conservaient tous en dépit des distances de la diaspora, ils auraient sans doute été phagocytés par les populations au sein desquelles ils vivaient,

    • Alren Alren 14 avril 2017 12:04

      @Jean Keim

      nous nous affrontons à coup de d’idées mémorisées, de citations et d’indécrottables certitudes

      Je conteste vigoureusement, en ce qui me concerne, que mes idées soient celles des autres sans avoir subi le filtrage rigoureux de mon analyse.

      Si en effet je constate que beaucoup de commentaires sur Agoravox, se résument à des liens internet comme si c’était l’argument suprême, irréfragable, cela n’est pas mon fait.

      Je n’ai aucune certitude indécrottable si l’on me démontre rationnellement que je me trompe.

      Votre affirmation, assénée ... comme une certitude, n’est pas universelle.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 14 avril 2017 12:54

      @Harry Stotte
      Le peuple juif, comme tous les autres peuples, a besoin de repères.


    • Harry Stotte Harry Stotte 14 avril 2017 14:22

      @Jacques-Robert SIMON

      « Le peuple juif, comme tous les autres peuples, a besoin de repères. »


      D’accord, mais vous en connaissez un autre qui vienne de si loin, historiquement parlant, et qui a tenu, malgré la dispersion, avec un « slogan » de cinq mots ?

    • gogoRat gogoRat 13 avril 2017 20:06

       je retiens en tout cas ceci :
       
      "... il est infiniment plus rentable de faire travailler des gens du tiers monde que d’autres possédant une protection sociale plus aboutie.
        [...]
      La Nation est devenue inopportune pour les marchands et les élites, si tant est qu’une différence puisse être trouvée."
       
       
       Qui donc disait que s’il n’y avait plus de frontières le ’fort’ serait partout chez lui et le ferait payer au ’faible’ qui ne pourrait trouver refuge nulle part ?



      • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 13 avril 2017 20:20

        @gogoRat
        Le faible, ou plutôt le démuni car il faut beaucoup de force pour vivre dans la misère, ne peut trouver du réconfort que dans une transcendance : Dieu, Patrie, Idéal... Sinon il s’agit d’une régression vers la loi du plus fort, en fait du plus bestial. On s’éloigne ainsi de l’Homme.


      • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 13 avril 2017 20:21

        @gogoRat
        Les gens sans importance est un film de Henri Verneuil avec Jean Gabin.


      • Harry Stotte Harry Stotte 14 avril 2017 00:26

        @gogoRat

        « Qui donc disait que s’il n’y avait plus de frontières le ’fort’ serait partout chez lui et le ferait payer au ’faible’ qui ne pourrait trouver refuge nulle part ? »



        Je ne sais pas, mais c’est en substance ce qu’écrit Régis Debray dans Eloge des frontières. Voir ci-dessus

      • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 14 avril 2017 12:57

        @Harry Stotte
        Je ne peux pas vous répondre et « google » ne m’a pas aidé.


      • Alain Renaud Alain Renaud 15 avril 2017 10:12
        Un article fort intéressant qui apporte un éclairage très lucide sur notre monde globalisé.
        Vous montrez clairement les deux principaux travers de notre époque : le règne devenu sans limites de la finance internationale et l’abandon par les soi-disant élites de l’idée de nation.
        Mais les mouvements dits populistes montrent néanmoins un retour vers cette notion d’appartenance.
        Si la thématique liée à la notion de peuple, je me permets de vous conseiller de lire mon article :
        Y a-t-il un peuple français ? . Je vais également publier : Pourquoi l’uniformité menace le monde" aujourd’hui.
        Alain Renaud, auteur de La France, un destin

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