Les tests génétiques : une loi obsolète
Article 226-28
"Le fait de rechercher l’identification par ses empreintes génétiques d’une personne, lorsqu’il ne s’agit pas d’un militaire décédé à l’occasion d’une opération conduite par les forces armées ou les formations rattachées, à des fins qui ne seraient ni médicales ni scientifiques ou en dehors d’une mesure d’enquête ou d’instruction diligentée lors d’une procédure judiciaire ou de vérification d’un acte de l’état civil entreprise par les autorités diplomatiques ou consulaires dans le cadre des dispositions de l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est puni d’un an d’emprisonnement ou de 1 500 euros d’amende."
Vous avez bien lu : 1 an d’emprisonnement ou 1500 euros d’amende. La loi ne fait aucune distinction entre test de paternité et test "pour se connaître soi même". Il faut en effet prendre connaissance des faits et savoir de quoi on parle. Les progrès rapides des analyses ADN permettent maintenant de faire des "puces ADN" capable d’analyser de 500000 à 1000000 de polymorphismes génétiques. De quoi s’agit-il ? Prenons un cas simple connu de tous : le système ABO des groupes sanguins. La différence génétique portée par le chromosome qui fait qu’on est du groupe A, du groupe B ou du groupe O peut être testée sur l’ ADN ; sans jamais faire un test de groupe sanguin "classique" vous pouvez connaître votre groupe par un test ADN qui vous donne dans la foulée le résultat de 500 000 autres résultats analogues comme la couleur des yeux et bien d’autres de ces différences dont beaucoup dont nous ne soupçonnions pas l’existence. Ceci est maintenant possible et, par exemple, la compagnie 23andME (http://www.23andME.com) connaît un succès grandissant aux USA et ailleurs. Si l’intérêt de ces tests a été contesté c’est parce que parmi les 500 000 polymorphismes qui sont sur la puce ADN beaucoup sont actuellement difficiles à appréhender. Bref, on a moins (beaucoup moins) d’information utilisable que pourrait le laisser supposer l’étendue du test mais le principe est là et force est de constater qu’il n’y a rien de commun avec la question des tests de paternité et la loi, très restrictive, ne prévoit aucune échappatoire.
Pourquoi les américains se testent-ils tant ? En partie je pense parce que les prédictions de prédisposition à diverses affections dont une part est génétiquement connue est conçue comme un plus que peuvent s’offrir, un peu comme une complémentaire santé ceux qui ont les moyens (un test coûte dans les 400 $). Et puis, en prime, les test du chromosome Y et de l’ADN mitochondrial vous renseignent sur vos lointaines origines et je vais être précis sur ce que ces tests peuvent dire sur les origines parce que c’est méconnu en France.
Il y a 2 types de marqueurs ADN . Les marqueurs STR ( "Short Tandem Repeat") sont ceux utilisés par exemple pour les tests de paternité mais aussi dans les analyses criminelles car ils ne se limitent pas nécessairement au chromosme Y ; on parle aussi d’ "empreintes génétiques" . Les marqueurs SNP (Single Nucleotide Polymorphism) sont les mutations "classiques" où le changement d’un nucléotide dans la chaîne ADN entraîne une différence comme le groupe sanguin différent ; ce sont les marqueurs détectés par les puces ADN comme celle utilisée par 23andME . Dans cet article il n’est question que de marqueurs SNP et de l’intérêt qu’il y aurait à assouplir la loi sur ce type de test. Je trouve à peine croyable qu’une loi révisée en 2007 ne fasse toujours pas cette distinction essentielle car le terme "empreintes génétiques " utilisé dans l’article 226-28 n’est pas vraiment précis et ne permet pas le distingo.
J’aborde maintenant un aspect qui me tient à coeur : l’utilisation des tests SNP pour connaître ses origines lointaines. Je ne veux pas passer sous silence le fait que des généalogistes ne sont pas en faveur de ces tests qui ne portent que sur la lignée patrilinéaire (uniquement de père en fils) ou sur la lignée matrilinéaire (uniquement de mère en fille). Je ne décris que le cas de l’analyse du chromosome Y (et en simplifiant) . Les études (surtout depuis que le génome humain a été entièrement séquencé) ont montré par exemple que la mutation M168 portée par le chromosome Y est présente chez tous les hommes ayant une ascendance hors d’Afrique et chez beaucoup d’africains mais pas tous. L’interprétation est que les premiers groupes humains étaient africains et que la "sortie d’Afrique" n’a été le fait que d’un groupe d’homme issu de la branche ayant la mutation M168 ; cette particularité est la base du modèle évolutif connu sous le nom "out of Africa" . De la même façon d’autres mutations permettent de suivre les points de divergence des différentes lignées d’hommes ; chaque père transmet à son fils son chromosome Y comme on passe un bâton de relai et il n’y a pas de recombinaisons avec un autre chromosome qui brouillent cette continuité. L’analyse de la série des mutations (SNP) du chromosome Y permet de déduire le groupe. Il faut savoir que même au niveau des équipes scientifiques les analyses en France sont peu nombreuses et souvent anciennes. Comme des analyses par des particuliers ne viennent pas "seconder" cette faiblesse la France est un peu comme un "trou noir" par rapport aux pays voisins ; les principales informations venant des Canadiens (USA aussi un peu). La connaissance des groupes de chromosomes Y en Europe est en train de jeter une lumière nouvelle sur la préhistoire, l’arrivée du néolithique en Europe etc.... et il est passablement ridicule qu’une loi trop restrictive laisse les français sur le bord du chemin.
J’en viens à la partie polémique. Les difficultés que peuvent rencontrer des labos étrangers pour obtenir des échantillons français soulignent qu’il y a un blocage car la loi autorise les tests à but scientifique. J’ai l’impression qu’on veut éviter que les tests soient une façon pour une catégorie de français d’affirmer par rapport à d’autres une appartenance ancienne à des groupes européens et si c’est le problème je crois qu’on se trompe car, un peu comme aux USA, ce sont ceux qui sont issus d’une immigration qui sont je pense les plus enclins à se faire tester.
Les progrès techniques évoluent rapidement et il est probable que dans un avenir assez proche (peut-être 5 ans) il sera possible pour un particulier d’obtenir le séquençage complet de son génome (ce qui était une prouesse en 2001 quand le premier séquençage a été réalisé). Une possibilité très éloignée des tests envisagés par la l’article 226-28 . Il est très souhaitable que la législation évolue en France et permette ce que j’appellerai des tests génétiques de confort car c’est notre liberté de nous faire analyser pour mieux connaître notre fond génétique. Bien entendu, la connaissance du groupe du chromosome Y peut être un moyen de détecter que le fils n’est pas du père légal de la même façon qu’un bête test de groupe sanguin peut aussi le révéler (le groupe du chromosome Y est plus précis ) mais ce n’est pas pour ça un test de paternité et la loi devrait prendre en compte cette distinction.
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