Lettre ouverte au futur ministre de l’Education nationale
La plupart des candidats à qui l’on a posé la question de savoir ce qu’ils feraient des décrets pris par l’actuel ministre de l’Education nationale ont répondu, y compris celui qui vient d’être élu , qu’ils reviendraient dessus. L’idée assez largement répandue, donc, est que l’on ne change pas les missions des enseignants avant d’en avoir changé la formation. Logique ! Exit, de ce fait, la bivalence décrétée d’en haut par un ministre décidant que dorénavant les professeurs enseigneraient deux disciplines, alors qu’ils ne sont formés qu’à une seule ! Cela avait beau améliorer les possibilités de remplacement en cas de maladie, il ne suffit pas de savoir parler français pour pouvoir l’enseigner, par exemple.
Fort de cette belle unanimité contre le ministre de l’Education nationale, je voudrais permettre à celui qui lui succèdera prochainement de se pencher sur la formation des enseignants avant de jouer au traditionnel « chamboule-tout ». Chacun de nous se souvient encore de ce grand plan informatique très ambitieux dans le début des années 90 et qui a vu arriver des dizaines d’ordinateurs dans des classes où l’on avait tout simplement pas pensé à former les instituteurs !
Ancien professeur d’Ecole normale, je connais assez bien le monde du primaire et je crois que la formation des professeurs du secondaire pourrait s’inspirer avec profit de ce qui existe depuis longtemps chez ceux qui sont en charge de nos jeunes élèves. D’abord, le constat : les professeurs des écoles (nouvelles appellation pour les instituteurs) reçoivent une formation pour exercer leur métier avec des élèves, disons, classiques. Reste que tous les élèves ne le sont pas. Certains sont plus difficiles que d’autres et parfois même beaucoup plus difficiles. Il est entendu que ces derniers requièrent des enseignants particulièrement formés. Bien ! Le ministère permet donc à des professeurs des écoles volontaires et ayant déjà une certaine ancienneté de retourner une année en formation pour apprendre tout ce qui est nécessaire à cette mission. Après cette année supplémentaire de formation, ces enseignants passent un examen et deviennent alors des instituteurs « spécialisés ». Voilà ! Tout semble simple, puisqu’il est admis que faire classe dans un C.P. de Neuilly-sur-Seine n’est pas tout à fait la même chose que d’enseigner dans une S.E.G.P.A. de banlieue difficile. Comment se fait-il alors que ce qui est facilement admis dans le primaire ne le soit plus dans le secondaire et à qui fera-t-on croire qu’enseigner dans un lycée prestigieux de centre-ville est la même chose que dans une « zone sensible » ? Pas aux enseignants en tout cas et certainement pas à ceux qui ont fait les deux ( j’en suis) ! Je serais donc assez d’avis que le prochain ministre de l’Education nationale envisage la création d’un corps de professeurs du secondaire spécialisés, avec la formation correspondante. Cela permettrait sans doute à ce futur responsable d’arrêter la longue tradition des ministres déplorant, sans rien y changer, que les plus jeunes enseignants et les moins préparés à cela se retrouvent traditionnellement sur les postes les plus difficiles, avec tous les dégâts que cela entraînent aussi bien pour les élèves que pour ces professeurs débutants. Ce gâchis a un coût qui n’est jamais calculé, alors que les professionnels de la calculette ministérielle ne se feront pas faute de calculer le coût de cette nouvelle formation !
Deuxièmement et toujours dans le domaine de la formation des enseignants, on continue de recruter ces derniers en vérifiant qu’ils savent des choses, mais non qu’ils sauront les enseigner. Les concours (C.A.P.E.S. ou Agrégation) ignorent sciemment ce que chacun de nous a pu constater dans sa vie : il nous arrive de savoir quelque chose et de ne pas réussir à l’expliquer. Après trois ou quatre années d’études universitaires l’étudiant est donc invité à faire la preuve qu’il sait des choses, mais pas qu’il a les qualités requises pour les enseigner. Cela demanderait, il est vrai, que l’on se penche sur ces qualités et qu’on les précise un peu. Belle empoignade en perspective. Mais avons-nous le choix ? On m’objectera qu’il ne suffit pas de réussir ces concours très théoriques pour devenir enseignant et qu’il y a ensuite une année de stage sur le terrain soumise, elle aussi, à évaluation. C’est vrai, mais est-il bien raisonnable d’attendre cette quatrième ou cinquième année pour bloquer celui qui, tout compte fait, ne convient pas ? Je propose donc au futur ministre de se pencher sur un dossier maintes fois évoqué et où, là aussi, les lamentations des prédécesseurs n’ont pas manqué : celui de la professionnalisation des concours de recrutement ( et que l’on ne me parle pas de la mascarade de professionnalisation des concours internes). Savoir assez de mathématiques pour pouvoir les enseigner est incontestablement une condition nécessaire, mais il est tout aussi incontestable que cela n’est pas suffisant. Alors est-il bien raisonnable de former à la première condition pendant des années et d’attendre la dernière extrémité pour vérifier la seconde ?
Troisièmement et encore en matière de formation. J’ai, comme bien d’autres, entendu de nombreux et successifs ministres de l’Education Nationale encourager les enseignants à innover, à expérimenter de nouvelles méthodes, de nouvelles approches, de nouveaux outils. Fort bien ! Mais qui sait qu’il existe dans ce pays quatre lycées expérimentaux et autogérés qui expérimentent depuis plus de 20 ans ? Le ministre lui-même le sait-il et son successeur le saura-t-il ? Ces lycées sont, bien sûr, publics. Leur liberté de fonctionnement (autogestion) permet des innovations rapides, répétées et multiples (je le sais pour avoir enseigné dans l’un d’eux, il y a quelques années). Ces véritables laboratoires pédagogiques sont-ils correctement utilisés par le ministère ? Certains ministres, et parfois même successivement, ont évoqué alternativement le tutorat pédagogique comme un outil à envisager, le travail en équipe comme une possible solution aux problèmes rencontrés par l’enseignant isolé dans sa classe, la pédagogie de contrat comme particulièrement adaptée à certains cas difficiles. Bien ! Mais tout cela a été testé, évalué, rectifié par ces équipes expérimentales. Elles ont, je le sais, quelques succès et aussi de beaux échecs à partager. Tout n’est pas exportable, bien sûr, hors ces lieux particuliers habités par des équipes particulières et avec des élèves parfois aussi très particuliers. Mais n’y aurait-il pas matière à s’enrichir de ces expérimentations déjà réalisées ? J’encourage donc le prochain ministre de l’Education Nationale à rapprocher ces « laboratoires » de la formation des apprentis enseignants délivrée dans les I.U.F.M. et à multiplier ces lieux expérimentaux, afin qu’il y en ait au moins un par Académie.
Bien sûr, notre système est améliorable et même réformable. Mais commençons par le commencement et parlons formation...
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