May Day à l’école primaire
Laure Bassan
27 Avril 2015
Tu es arrivée ce matin de printemps à l’école, toute frêle, toute petite, les cheveux lisses coupés au carré, tes yeux bridés sans cils grands ouverts, ta chair mâte, l’air triste, un peu renfrogné, sombre.
- « Xuân Lan est très timide », a dit monsieur Le Caër.
L’instit nous a ensuite expliqué que tu as quitté les côtes du Vietnam, ton sud lointain, ton pays, là-bas en Asie. Il a montré où c’était sur une nappe monde. On a rien compris, surtout Monir et Mamadou. Ils n’arrêtaient pas de rire dans le fond de la classe. Y avait en effet beaucoup de bleu, des mers et des océans. L’instituteur - super sérieux - a dit que tu les avais traversés pour arriver jusqu’à St-Malo. On a découvert où était St-Malo sur la carte au passage.
Puis il a parlé tout doucement pour qu’on comprenne bien que tu avais fui avec toute ta famille, enfin ce qu’il en restait, parce que dans la tourmente et les tempêtes, tu as perdu ton grand-père et ton petit frère. Il a aussi raconté que ton papa était encore quelque part en galère…
-« Les Vietnamiens vont arriver par milliers en France », a annoncé la directrice.
Papy confirme même par dizaine de milliers vu la guerre civile qui règne là-bas et qui va durer… Et Papy, il s’y connaît en guerre !
"Ils ont quitté leurs terres, leurs champs de fleurs et leurs Livres sacrés, traversés les rizières jusqu'au grand fleuve salé" Gold
Mamie, elle, elle a les larmes aux yeux quand je lui raconte que Xuân Lan a un drôle d’accent et qu’elle ne comprend pas bien le français. Surtout, quand je lui dis qu’elle s’habitue difficilement à sa nouvelle vie. Mais quand même Xuân Lan vient d’être adoptée.
- oui vraiment ! Adoptée par la classe, et accessoirement par la France ! lancè-je à Mamie.
Avant, Lan et sa famille étaient seulement accueillies. Autrement, elle aurait été tuée là-bas. Mamie, elle pleure quand je lui raconte cela parce que, elle, lorsqu’elle a dû quitter l’Allemagne des Nazes, elle aussi a été adoptée. On lui a même changé son prénom et son nom pour qu’elle soit bien d’ici, je veux dire, de France, et qu’on la renvoie pas à Ghetto.
- « Moi, j’sais pas où se situe la ville de Ghetto sur la carte de l’instit’, mais ça a pas l’air chouette », ai-je expliqué à Wilfried l’autre jour à l’école.
Xuân Lan a eu plus de chance que mamie on dirait. Elle n’a pas changé de nom. Son nom c’est NGUYEN. D’ailleurs, depuis un autre élève Nguyen est arrivé dans l’école, un garçon. Et puis un autre Nguyen dans le quartier : notre nouveau dentiste. Elle a une très grande famille Xuân Lan en France. Ils vivent à Paris-Belleville, Nantes-la Jolie, Strasbourg-St-Denis, Lyon, Marseille. Elle dit qu’ils sont partout, mais vraiment partout dans le monde entier… parce que la France c’est le monde entier !
-« comme les Bretons ! », lui ai-je rétorqué.
L’autre soir au 20h, y avait des images de vieux rafiots, des jonques, avec des centaines de personnes dessus. J’avais jamais vu des bateaux si vieillots, même à Cancale ! Papa m’a expliqué que Lan avait été sur une barque pourrie comme celle de la télé et que les survivants de ces vieilles coques s’appellent des « boat people ». Maman a écrit les deux mots sur un papier parce que c’est dans une langue étrange, languelich si je me souviens bien. Cela veut dire « naufragés », réfugiés de la mer.
Et les gens de mer ça je connais en Bretagne ! D’ailleurs, l’oncle Henry, qui est capitaine au long cours et médecin militaire de la Marine, crie toujours « May Day » quand on est sur son rafyacht (en franglais). C’est pour sauver de la noyade les portés disparus… et surtout pour nous apprendre à nager par moins 10 degrés… parce qu’alors même si on sait nager on a que 60 minutes de survie !
Xuân Lan, nous, on lui a porté secours dans la classe. Nous étions tous solidaires, même Monir et Mamadou, qui lui ont fait retrouver son sourire, tout en continuant à rire dans le fond de la classe … Elle devient de moins en moins timide, d’ailleurs ! Moi, j’aime bien joué avec Xuân Lan. Elle porte un ensemble bizarre avec un pantalon et une sur-robe. Elle a toujours une fleur dans les cheveux – souvent une orchidée – et elle sent bon la fève tonka.
Laure Bassan.
A l’orchidée du printemps
Plus...
Boat People : Personal Stories from the Vietnamese Exodus, ed. Carina Hoang 2013
Un peu plus près des étoiles, Gold 1984 www.youtube.com/watch ?v=WPy0lQp7MqQ
Boat People film passeport vers l’enfer de Ann HUI, 1982
Entre 1975 et 1989, plus de 100 000 vietnamiens ont été accueillis en France, soit une moyenne de 7000 par an.
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