Médiocratie et Conformisme
Les plus féroces dictateurs, maîtrisant d’une main de fer les informations, paraissent de doux plaisantins par rapport à ce que l’on peut obtenir grâce aux télévisions, réseaux sociaux et agences de communication dans nos sociétés démocratiques. Par quel miracle ?
Assis face au télécran, je méditais sur les titres du Journal télévisé ce jour là : les causes de la mort de Victorine dans un consulat saoudien, la santé délabrée par la pollution des rats à Paris, le rapport sur les dons versés pour la restauration de Notre-Dame de Paris détournés pour construire un ludo-park, les salons d’art contemporain qui se tiennent dorénavant dans les sanisettes à cause des odeurs. Il manquait bien entendu quelques autres horreurs, une guerre ou au moins un massacre de masse, un assassinat filmé en direct grâce à un portable, un enfant jeté d’un hélicoptère ... Les débats politiques se faisaient quant à eux grâce à des journalistes pugnaces en insistant sur les agressions sexuelles présumées de l’un, les incitations à la haine de l’autre, leurs propositions pour augmenter le pouvoir d’achat avec de l’argent qu’on n’avait de toute façon pas.
Rien que des choses banales !
Toutes les chaînes, tous les journaux, tous les reportages étaient à l’unisson, les mêmes personnes faisaient le prêche dont la substance était : ‘devenez riche vous serez heureux, badigeonnez-vous de Moraline vous serez dans le Bien, le Bien de tous’. Des opinions étalées avec componction, des experts qui passent l’essentiel de leur temps à écumer les plateaux télé, des ‘journalistes qui n’aiment pas les faits, des humanistes qui n’aiment pas les gens modestes’... Il faut titiller l’affect pour écarter l’intelligence, ensevelir sous les émotions pour déclencher des élans de solidarité même douteux. Une de ces brillantes personnes télévisuelles, plus zélées encore que les autres, s’interrogea même un jour s’il fallait assassiner ou faire assassiner un chef d’État qualifié par lui de monstrueux ?
L’instinct grégaire qui anime les individus d’un groupe est en effet puissant et il faut une solide assise personnelle pour s’en défaire ne serait-ce que quelque peu. Faire comme tout le monde évite de penser et permet aussi d’éviter de créer des problèmes avec l’entourage.
Mais d’autres facteurs interviennent.
Les régimes monarchiques, despotiques, républicains qui ont précédé les démocraties telles qu’on les connait actuellement n’empêchaient pas quelques uns d’échapper aux tutelles hiérarchiques ou religieuses du moment. Laurent le Magnifique (en fait le « Généreux ») côtoyait maints brillants érudits, des artistes, des poètes. Mehmet II était curieux de littérature et de beaux-arts, il s’intéressait à la philosophie et à l’astronomie et fit venir à Constantinople beaucoup d’artistes italiens. Yongle un empereur chinois incita Zheng He à explorer l’océan indien et l’Afrique. Les brillants esprits s’épanouirent malgré le despotisme et les contraintes : François Rabelais, William Shakespeare, Érasme, Leonard de Vinci, Jean de La Fontaine, Molière, Baruch Spinoza, Isaac Newton, Maximilien Robespierre, Napoléon Bonaparte, Voltaire, Charles Baudelaire, Lewis Carroll, Fiodor Dostoïevski, Friedrich Nietzsche... Il suivit ensuite au XXe siècle de retentissantes découvertes : Première greffe du cœur, Découverte de la pénicilline, Le premier homme dans l’espace, Le premier homme sur la Lune, La télévision couleur, La pilule contraceptive, Le premier e-mail... Une transition s’était effectuée entre l’Homme et la technique, le premier s’effaçant peu à peu pour la seconde. L’Homme commença à disparaître et laissa la place au groupe, à la communauté, à l’utile plutôt qu’au beau.
Les conséquences furent ravageuses. Tout ce qui ne pouvait pas se quantifier tendit à disparaître : l’honnêteté fut remplacé par le légal, l’amour disparut au profit de l’intérêt, la bonté fut engloutie par la charité, l’honneur fit la place au contrat.
L’intelligence n’est qu’humaine, non pas parce que des processus extrêmement complexes permettent de connecter les uns aux autres d’innombrables neurones, elle l’est car, sans plan déterminé et sans intention discernable, elle s’accommode du hasard, du fortuit. Non seulement l’intelligence peut s’accommoder de l’imprévisible mais elle en tire souvent un extraordinaire bénéfice grâce à une découverte hors du commun ; l’intelligence avec sa part d’impondérable est à la source de toute création, de tout art, de la seule beauté qui vaille. Un androïde peut accomplir des tâches merveilleuses, extraordinaires, mais ne peut pas réaliser cet état que l’on n’atteint que par hasard, formaté qu’il est par ses algorithmes, ses programmes, ses mathématiques.
Transformer l’Homme en humanoïde lui fait perdre non pas des capacités mais l’aptitude à errer, à oser l’improbable, l’impensé. Un Homme va tenter de rester honnête sans qu’il ressente le besoin de définir précisément ce que cela signifie. L’Humanoïde va se référer à un ensemble de lois, de normes, de plus en plus nombreuses, de plus en plus détaillées, tellement nombreuses même que personne ne peut plus les connaître ou les utiliser sans l’aide d’un superordinateur. Respecter autrui ne signifie rien pour un robot : trop imprécis, trop flou, trop sujet à controverse.
Le gigantisme des systèmes sociaux, politiques et économiques interdit une approche qualitative, humaine. Une version altérée des sciences exactes et naturelles envahit le champ des Hommes en tuant tout ce qui fait son originalité et sa puissance de création. Un humanoïde a besoin d’idées générales, d’un cadre général, d’une idéologie générale, alors que l’Humain ne s’occupe que des cas particuliers, de la naissance plutôt que de la mort, et il s’en suit un asservissement général. Mais il faut prendre garde : « Ce n’est pas la technique qui asservit, mais le sacré transféré à la technique. »* Le matérialisme de l’humanoïde transforme la politique en administration comptable et la création s’éteint faute de miracles. La ‘Science des objets trouvés’ est la seule qui puisse faire émerger le merveilleux.
Les humanoïdes bardés de références savent compter mais pas conter, les humanoïdes sont incapables d’être différents, ils se réfugient dans le nombre pour que n’apparaissent pas leur absence de finesse et leur trop grande confiance en la géométrie. La médiocrité est un puissant stimulant à l’instinct grégaire, au conformisme, qui faute de personnalité permet de se protéger au sein de la multitude, celle qui est capable de tout même du pire. Alors la puissance des médiocres atteint son apogée, la médiocratie peut régner allant de pair avec un conformisme à toute épreuve gage de la pérennité de leur Monde.
Il ne s’agit pas de glorifier un Monde d’hier auréolé de toutes les qualités d’une jeunesse passée, il s’agit de mettre en avant que la Nature comme la Vie sont faits de beaucoup de hasards et seulement d’un peu de nécessité... le reste les ingénieurs et les hommes d’affaires peuvent s’en charger.
C’est le conformisme qui a permis toutes les chasses à l’Homme, tous les massacres, tous les étripages. Les individus qui se sont dressés pour dire non furent toujours chassés et pourchassés par les tenants de la bien-pensance.
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