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Accueil du site > Tribune Libre > Nous avons besoin de nouveaux Robin des Bois

Nous avons besoin de nouveaux Robin des Bois

La crise est due à la tectonique des plaques

Le 31 janvier dernier, Michel Serres a tenu une conférence sur « Vivons-nous un temps de crise  », ce dans le cadre des États généraux du renouveau. Il y a insisté sur les mouvements de fonds qui sous-tendent la crise actuelle, faisant la comparaison avec la tectonique des plaques.

En voici, un patchwork personnel et reformulé (voir l'intégrale de la vidéo à la fin) :

« Un événement est d’autant plus important que ce qu’il clôt est long, c'est-à-dire depuis combien de temps l’état précédent datait. Ainsi le passage de la population agricole de 80% à 1% en un siècle clôt une période qui a commencé au néolithique. C’est donc un changement majeur : La campagne est vide et nous ne sommes plus en relation physique avec le monde que nous habitons. »

« La médecine ne sait guérir que depuis la fin de la guerre de quarante. (…) La durée de vie s’allonge et tout se transforme, notre relation avec la vie comme avec la mort. (…) Au moment du mariage, nous nous promettons fidélité pour soixante-cinq ans. (…) Avant, on héritait encore jeune de ses parents, maintenant on est déjà vieux soi-même quand cela arrive. (…) Le corps étant soigné est devenu montrable, alors on se déshabille sur les plages. (…) Nous programmons les naissances, et donc l’apparition de la vie. »

« Avant, notre adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. »

« C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est une espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins de bois. »

« Jusqu’à présent, le renouvellement de la langue française se faisait au rythme de trois à quatre mille nouveaux mots à chaque édition du Dictionnaire de l’Académie Française (tous les vingt ans). Cette fois, trente-cinq mille mots : ceci est lié à la transformation des métiers (par exemple : plus mille mots ont « disparu » à cause du déclin de l’agriculture). (…) C’est un témoin de la profondeur de la mutation : la vitesse est multipliée par dix. Si ceci se poursuit, cela voudra dire qu’en 2030, le français sera aussi différent de celui de 1990, que nous sommes distants de ce que l’on appelle l’ancien français (il y a quatre-cents ans), français que nous ne comprenons plus. »

« Je vous annonce la naissance d’un nouvel être : l’individu. (…) Nous ne savons plus être ensemble : on ne fait plus équipe, on ne peut plus faire classe, on ne sait plus passer la balle au voisin, il n’y a plus d’appartenance, on divorce, on ne se reconnait plus dans les partis. (…) De ce point de vue, l’équipe de France de football lors du dernier mondial en a été une parfaite illustration : c’était une collection d’individus qui ont montré qu’ils ne pouvaient plus jouer ensemble. »

« Sur dix meurtres, six se passent en famille et neuf assassins connaissaient leur victime. Aussi, aimer l’autre quand il est loin est-il facile : il n’y avait pas de problème à affirmer « Aimez-vous les uns les autres ». (…) L’autre ne me gène pas, car je ne le vois pas souvent. Le problème, c’est le proche, c’est le même. Or aujourd’hui, tous les autres sont des proches, sont des mêmes : nous n’avons plus que des prochains. (…) Il y a une sur-morale à inventer »


 

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16 réactions à cet article    


  • Rolly 15 février 2011 11:11

    Vraiment très intéressant, comme souvent Michel Serres. Je ne sais pas trop ce qu’il a voulu dire par « il y a une sur-morale à inventer », à la fin, mais il songeait peut-être au « surmoi » freudien. En tout cas, si « aimez-vous les uns les autres » et « l’homme est un loup pour l’homme » sont un peu dépassés l’un et l’autre, il y a éventuellement une voie moyenne à trouver et à expérimenter, qui pourrait être « ne mords pas la main qui te nourrit » (si elle est de bon aloi), par exemple... !


    • daniel paulmohaddhib 15 février 2011 11:14

      continuons a vivre en competition.....car on a bien le choix, continuons donc...
      rien ne va changer en profondeur..
      10 000 ans de guerres ne semble toujours rien dire....

      we just need to know how deep the rabbit’s hole goes !!!!
      dans The matrix...
      en clair ca veut dire qu ’il faut se connaitre en profondeur , connaitre le monde.....par les faits et pas par l’imagimaire....l’imaginaire qui est le refus de la vie...
      car la vie est totalement impermanente....notre cerveau d’enfant le refuse entre 10 et 20 ans...
      et la demence humaine commence la, car il nous faut traverser le desert de notre peine , de notre souffrance....comprendre la naissance de la souffrance psychologique va nous dire plein de choses....mais la peur d’avoir peur d’avoir mal paralyse entierement le cerveau qui ne fonctionne plus qu’en mode « par defaut », or le mode par defaut est le cerveau animal pure qui pete un cable en voyant ce que la vie offre : l’impermanence .
      il pete un cable parce que sa finalite ultime est la survie du corps...la vie n’est pas la survie du corps mais autre chose...

      alors on quitte le reel pour  : ce que moi je veux....or ca ne marche pas, c’est une illusion....le cerveau animal qui est outil utilise alors la seule chose qu’il sache faire...imaginer....genial pour la vie pratique , mais l’immensite de la vie issue d’un principe sans debut et sans fin, va t’elle se resumer a plaire au medef....apparemment oui..

      nous avons simplement 100 % faux....car notre vraie et unique motivation est la fuite du fait de vivre....car cela implique l’impermanence...on divorce de la VERITE , on essaye de fuir ,mais ca ne marche pas ,et c’est cette fuite qui fait mal , la peur vient de la...la peur est un effet de la fuite,si je ne fuis pas je n’ai pas peur.....essayez..... !!!
      de voir cela , implique de ne plus fuir.....et la ,seulement la le miracle de la vie peut se produire..il sera toujours imprevu...

      nous ne sommes que des enfants mal eleves , insupportables, capricieux, voleurs , hautin et arrogant...
      bref le dormeur doit s’eveiller et quitter les chimeres enfantines qui sont formidables quand on est un.....enfant....


      • L’Ankou 16 février 2011 10:38

        Je ne vois pas bien le rapport...

        D’après vous, il faut faire quoi, alors ?


      • srobyl srobyl 15 février 2011 12:16

        Les technologies actuelles de communication répondent parfaitement à deux besoins contradictoires qui n’avaient pu être satisfaits ensemble jusqu’alors : un besoin social, fait de riches échanges de communications, et un besoin individuel d’isolement .
         : Claude Duneton dans un de ses ouvrages explique l’insuffisance des sécrétions de l’homme actuel, sorte de « rétention volontaire » par le malaise lié à la promiscuité (ex dans les transports) Il affirme que si des hommes d’autrefois avaient à se plier à ceci, ils ne le supporteraient pas...
        Homme est à la fois grégaire et solitaire. Internet concilie les deux. Apparente facilité ...« je t’aime encore plus quand tu n’es pas là... »


        • Robert Branche Robert Branche 15 février 2011 12:24

          Oui, et fortement grégaire : il suffit de voir ce qui se passe au moment des vacances, c’est-à-dire à un moment où les individus sont plus libres de leur localisation... ils se retrouvent massivement au même endroit...

          Concernant le « je t’aime encore plus quand tu n’es pas là », internet a un double effet paradoxal :
          - il permet d’entrer en contact sans avoir un contact physique (ce que vous indiquez)
          - mais il me met aussi en contact avec un très grand nombre de personnes avec qui je n’aurai jamais pu être en relation : il rend « proche » (numériquement), ce qui ne l’était pas (propos de Michel Serres).
          Ce deuxième point rend plus insupportable ce qui me choque et qui est à distance (droits de l’homme, catastrophe...), et agit en propageant les vagues de contestation (au sein d’un pays et entre pays : voir ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte, et dont les suites sont inconnues)

        • worf worf 15 février 2011 15:44

          Propos toujours très intéressants de la part de ce grand penseur.
          Le seul sur lequel je suis moins d’accord avec lui est la naissance de l’individu. Pour moi, l’individu a toujours existé. Chaque personne est en fait partagé entre 2 aspects, son individualisme et le besoin du groupe. Si par le passé, l’individualisme s’est moins exprimé, fut étouffé au détriment du besoin de groupe (protection, besoin identitaire, pauvreté, etc) ; nous sommes maintenant dans une société où de plus en plus de personnes peuvent vivre leur individualisme avec de moins en moins de besoin du groupe.
          Quand je parle d’individualisme, ce n’est pas dans un sens péjoratif, proche de l’égoïsme mais dans le besoin de s’affirmer, de s’exprimer plus en tant qu’individu que membre d’un groupe.
          Je suis parfaitement d’accord avec Michel quand il parle qu’il est devenu difficile de vivre avec les proches, d’accepter leurs différences au quotidien, de vivre dans cette promiscuité quasi permanente. Mais ce malaise ne vient peut-être pas entièrement de notre besoin d’individualisme mais par d’autres aspects comme le stress au travail dont on recrache le trop plein d’agressivité sur ses proches, notre système éducatif en général dont la notion de morale, d’acceptation des différences tendent à disparaître...

          Quant à Internet, je relativise les propos énoncés. Je pense que ce n’est pas tant un besoin social que d’un besoin de s’exprimer sans le regard de l’autre, de chercher sans presque de garde-fous, d’avoir certains contacts mais quand on en a envie et donc sans une pression du groupe et des protocoles à suivre.

          Pourtant la notion du groupe est aussi ancienne que l’humanité et nous ne serions pas où nous sommes actuellement sans avoir réaliser des choses ensemble. Le groupe est indispensable pour de nombreux aspects y compris la confrontation qui peut aussi être source d’évolution.

          Le capitalisme, qui est à la base un système de hiérarchie d’une société, a eu tendance plus à opposer les individus dans des compétitions qu’à leur permettre de bâtir ensemble. Nous sommes peut-être à l’aube d’une nouvelle révolution sociale où la concurrence dans son sens d’origine, courir ensemble dans un même but va redistribuer les cartes !


          • Robert Branche Robert Branche 15 février 2011 17:34

            Je suis d’accord avec votre commentaire, notamment sa fin et la nécessité de construire en groupe de nouvelles solutions, ceci passant sur la confrontation. 

            La confrontation (qu’est-elle ? Pourquoi elle n’est ni le conflit, ni l’évitement ? Pourquoi est-elle nécessaire ? ...) est au coeur de mes réflexions : voir tous mes articles sur ce thème 

          • L’Ankou 16 février 2011 11:49

            Sur l’individu, je suis plutôt de l’avis de Michel Serre. Il est difficile d’avoir un historique du ressenti individuel, notamment dans les classes sociales défavorisées mais majoritaires qui s’exprimaient peu, par exemple au moyen âge (ou qui ont laissé peu de traces de leur expression).

            On suppute avec assez d’indices convergents que certaines tribus dites « primitives » n’ont pratiquement aucune conception de l’individu... Les personnes ne se raisonnent que comme membre de la tribu et attachent une importance très relative à leur propre liberté : ils sont leur rôle social et ne sont pratiquement que ça. Ce sont des sociétés où les règles de vie sont non écrites. Du moins si l’on veut bien considérer que les épreuves, les scarifications rituelles, les rites initiatiques, et les mutilations (dont l’excision, la circoncision et le tatouage sont des réminiscences plus ou moins symboliques) ne sont pas une manière d’écrire les règles communautaires par la douleur à même la chair et le corps des membres. Les membres penses en terme de tribu, de clan, de famille, et il n’est pas dit qu’ils puissent même se raisonner en tant qu’individu. Preuve de l’absence de notion d’individu : il n’y a pratiquement pas de délinquance... Toutes les autres sociétés connues en ont, et il y a peut-être un rapport de causalité entre l’individu libre et la délinquance en tant que fait social.

            Dans notre civilisation, il se peut que l’individu soit malgré tout d’invention assez récente... Si l’individu se caractérise par sa capacité a avoir des sentiments propres, les premiers textes qui marquent cette révolte de l’individu, conscient de l’être, contre les programmations sociales de sa classe, c’est peut-être Héloïse et Abélard. C’est à dire que l’individu aurait moins d’un millénaire d’existence dans ce que nous reconnaissont comme « notre » histoire« .

            Et ce n’est que la naissance et pas la généralisation... Si l’on en juge par la violence des replis communautaristes actuels, on peut penser que ce mouvement n’est pas encore terminé. Mais cette violence peut tout aussi bien témoigner d’une réaction désespérée, un baroud d’honneur de vieilles valeurs à l’agonie...

            En tout cas, ce qui me ravit, avec Michel Serre, c’est qu’il propose toujours une vision dynamique, qui n’a rien de nostalgique ni de défaitiste et - il faut le relire pour s’en assurer - n’implique pas de jugement de valeur sur l’avenir. Du reste, comment juger l’avenir avec une morale du passé (d’où la nécessité d’inventer une »sur-morale« , et Serre ne met peut-être aucun contenu au delà du constat de cette nécessité).

            Serre nous dit que nous ne sommes pas dans la société figée que nous croyons. Il nous dit que même les plus réactionnaires des néophobes n’ont pas conscience des révolutions qu’ils ont vécues et entretenues sans le savoir. Il nous dit que l’histoire a un sens, et, en filigrane, que ceux qui rêvent de revenir en arrière sont... des boulets, des freins, des fossiles.

            Serre nous dit que l’avenir est à construire et que l’expression »vieille Europe« n’a de sens qu’aux yeux des passéistes. L’Europe est jeune de ses changements, de ses évolutions, de ses mutations constantes et irréversibles, de ses croissances et des ses crises... On ne peut affronter l’avenir avec les paradigmes du passé et des idées aussi rétrogrades que, par exemple, le mariage, le canton, la frontière, l’ethnie...

            N’est-il pas idiot de défendre »la culture de nos aïeux« ou »le mode de vie traditionnel de nos ancêtres« , alors que ce que nous croyons devoir à une histoire ancestrale ne date que de quelques décennies et que nous verrons de notre vivant nos propres comportements actuels frappés d’obsolescence ?

            Son discours est au moins lumineux de jeunesse et de dynamisme, ce qui contraste avec un discours ambiant, fataliste, nostalgique, tourné vers le passé, et que tiennent déjà bien des »jeunes" dont déjà certains mineurs !

            C’est quand même fabuleux, cette Europe occidentale où ce sont les vieux qui nous disent « Indignez-vous ! » et les jeunes « à quoi bon... c’était mieux avant... ».

            Serre est l’un des rares « progressistes » qui nous manquent tant, aux côtés par exemple de Onfray ou de De Rosnay, par exemple...

            Dommage que ce courant ne soit plus guère représenté en politique que par des formations marginales.


          • Robert Branche Robert Branche 16 février 2011 12:01

            @Ankou

            Je suis d’accord à 100% (ce qui est rare !) avec votre commentaire qui rejoint l’essentiel de mes travaux et mes écrits.
            Je viens précisément de proposer un nouvel article pour Agoravox (intitulés « les rois sont nus ») très en ligne avec ce que vous avez écrit. Cet article reprend ce que j’ai publié cette semaine sur mon blog (www.neuromonde.fr), y compris l’article à paraître demain.

          • 2102kcnarF 15 février 2011 21:27

            Michel Serres est un vendu .


            • logan 16 février 2011 00:26

              Je suis assez hermétique à ce genre de pensée sans la moindre logique.


              • Robert Branche Robert Branche 16 février 2011 07:33

                Sa pensée est au contraire très structurée, et donc de ce point de vue logique.

                Ici je n’ai mis qu’un « patchwork », d’où, peut-être, votre remarque

              • fredleborgne fredleborgne 16 février 2011 03:16

                De bonnes remarques, qui permettent de comprendre pourquoi les gens se « referment » pour ne pas assumer ces changements déstabilisants. Déjà que certains n’ont pas encore assimilé que Dieu est mort sans héritiers


                • pens4sy pensesy 16 février 2011 07:48

                  Cependant ce qui prospère a notre époque ce ne sont pas les Robins des Bois ... mais bien les tyrans.

                  S’aperçoivent ils seulement de la vitesse des changements et du danger qu’ils courent ?

                  Certains maintenant oui, comme Hosni ou Ali.

                  Le petit Nicolas et sa Marie-Carloinette (entre autres) devraient y réfléchir !


                  • L’Ankou 16 février 2011 10:51

                    Intéressant point de vue... Je me rangerai peut-être à vos arguments si vous aviez pris la peine d’en exprimer. En attendant, le côté péremptoire et laconique de votre opinion me rend plutôt Michel Serre sympathique... Du moins il n’entame pas la sympathie que m’inspire ce vieillard ouvert sur l’avenir. Cet avenir auquel tant de jeunes grincheux tournent le dos, se lamentant précocement sur le passé perdu. Et moins ils l’ont vécu, plus ils le mythifient.

                    Fabuleux... Ce sont les vieux qui nous disent « indignez-vous » et les jeunes qui répondent « à quoi bon... ».

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