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Partir, c’est mourir un peu par Alexandre Page

Franck ABED

Alexandre Page est né en 1989 à Clermont-Ferrand. Il est docteur en histoire de l’art. Il a publié plusieurs ouvrages et articles consacrés à la gravure et la peinture du 19ème siècle. Son premier roman intitulé Partir, c’est mourir un peu revient sur l’histoire étonnante et tragique des derniers Romanov à avoir régné sur la Russie.

Son personnage principal, Igor Kleinenberg, est un jeune professeur d’allemand d’origine estonienne. Il devient précepteur à la Cour de Russie. Effectivement, l’administration impériale lui confie la charge d’enseigner l’allemand aux grandes duchesses, Olga, Tatiana, Maria, Anastasia. Par conséquent, Kleinenberg voit de l’intérieur la vie de Nicolas II et des siens, loin des fantasmes de la presse et des médisances d’une certaine frange de la noblesse. 

Le héros tient un journal intime, dans lequel il consigne des anecdotes passionnantes et des souvenirs de la plus haute importance. Le livre se montre extrêmement bien documenté et nul doute que l’auteur a fourni un considérable travail de recherches pour nous proposer un tableau aussi complet de ce règne troublé et troublant. Troublé, car les agitations révolutionnaires jalonnent indiscutablement les dernières années de l’Empire pour se clore par la catastrophe finale d’Iekaterinbourg. Pourtant, Nicolas II disposait d’un pouvoir immense, mais il ne sut ou ne put aplanir les difficultés qui s’égrenèrent tout au long de son règne. Troublant, parce que le tsar fut loin d’être le tyran dépeint par la propagande bolchévique et la tsarine ne ressemblait nullement aux tristes portraits établis par les adversaires de l’Empire. 

Au cours des premières pages, Kleinenberg raconte rapidement son histoire familiale, en consignant sur le papier des éléments biographiques et le vécu de ses ancêtres. Cela nous permet de comprendre comment un estonien d’origine se retrouve en situation de côtoyer les enfants Romanov. Grâce à ce statut de précepteur, Kleinenberg nous décrit avec des mots touchants le quotidien de cette famille impériale. Celle-ci, loin de se vautrer dans le luxe, vit plutôt normalement comme nous le découvrons au fil de la lecture. Nicolas II espérait surtout mener une vie bourgeoise loin des rigueurs de l’étiquette et des considérations politiques, mais sa naissance en avait décidé autrement….

En définitive, nous considérons que le livre est découpé en quatre parties : avant la guerre, pendant la guerre, la guerre et la révolution, l’exil. Dans la première partie, il se dégage une légèreté, une réelle douceur de vivre, parce que la vie se développe dans une paix profonde. Bien évidemment, le narrateur n’assiste pas au Conseil ou aux différents entretiens que Nicolas II mène avec ses principaux ministres. Cependant, Kleinenberg ressent souvent le trouble qui s’empare de l’Empereur quand ce dernier termine ses discussions politiques et revient profiter du bonheur familial.

Malgré tout, l’existence se déroule avec joie et en toute simplicité pour la famille impériale. Nous la suivons dans sa résidence d’été, lors de croisières, au cours de ses différents voyages dans l’Empire. Nous lisons donc : « Il est difficile de s’imaginer que quelques semaines seulement avant le début du premier conflit mondial, nous menions la vie la plus calme qui fut ». 

Seule la maladie du tsarévitch provoque des tensions et des soucis au sein de la famille Romanov : au grand chagrin de ses parents, celui-ci souffre d’hémophilie. A l’extérieur, en dépit des agitations populaires, Nicolas II tente, vainement, de réformer les institutions impériales. Mais la révolte gronde depuis plusieurs années dans l’Empire. Certains ne veulent plus de l’autocratie et désirent la mise en place d’une monarchie constitutionnelle, d’autres souhaitent l’établissement d’une république voire même d’une démocratie. De fait, les parties deux, trois et quatre, nous entraînent véritablement au cœur du chaos, des drames et des larmes…

L’Empereur, nous semble-t-il, ne fait pas toujours les meilleurs choix. Son entourage politique n’est pas composé de ministres disposant d’une réelle envergure. Il arrive que Kleinenberg se promène parfois dans les jardins des châteaux en compagnie du Tsar. Il va de soi qu’il ne pose jamais de questions à l’Empereur. Toutefois, à travers quelques mots dispensés ou de phrases à peine voilées de Nicolas II, Kleinenberg saisit parfaitement qu’il ne parvient pas à résoudre les problèmes se présentant à lui sur la scène nationale. De plus, au niveau international, la situation s’envenime aussi dans les Balkans avec cette montée des tensions qui provoquera « la guerre civile européenne ». 

Par le jeu des alliances diplomatiques, l’Histoire s’accélère, et l’Europe plonge littéralement vers les abîmes. Néanmoins, alors même que les Russes tombent par milliers, l’Empereur conserve toute la sympathie et bien plus du peuple russe qui le voit vraiment comme l’incarnation de Dieu sur terre. En 1915, alors que le conflit s’enlise, Nicolas II visite « la plus grosse usine de Petrograd, avec 18 000 ouvriers fabricant des munitions ». Kleinenberg écrit : « L’accueil fut excellent et le tsar ne tarit pas d’éloges sur ces ouvriers, qui en dépit des fêtes de Pâques, continuaient d’œuvrer au service de la patrie. Rien ne rappelait que dix ans plus tôt la révolution de 1905 avait trouvé ici sa principale étincelle, et rien ne prédisait qu’elle se rallumerait en 1917  ». 

Nonobstant les contraintes de la guerre, Kleinenberg reste au service de la famille impériale et constate son dévouement pour le peuple russe. L’impératrice et ses enfants aident dans les hôpitaux militaires : ils soignent et pansent les blessés et les mutilés de guerre. Ils participent également à différentes œuvres de charité en vendant des vêtements ou des objets créés par leurs soins. Même s’ils vivent avec tout le confort de l’époque, la famille impériale reste consciente des souffrances vécues par de nombreux Russes : « Ces malheurs venaient jusqu’à nous d’une façon ou d’une autre et nous faisaient oublier un peu que nous étions des chenilles dans un cocon  ». 

Malheureusement pour la Russie et les Romanov, le conflit prend une mauvaise tournure. Les militants révolutionnaires s’appuient sur les désastres militaires pour demander la paix séparée, une redistribution des terres et la fin du tsarisme. Une partie non négligeable de la haute noblesse propage des rumeurs sur l’impératrice qui la transforment en une traîtresse ou la désignent comme le mauvais génie de son époux. De même, les ministres ne prennent pas les mesures adéquates qui conviendraient à cette situation explosive. Nicolas II paraît bien isolé. 

L’Empereur en dépit de sa gentillesse, de sa foi, et de la conscience droite qui l’anime, ne semble pas être l’homme de la situation. Nous lisons avec intérêt sous la plume de Kleinenberg : « Il n’y a que deux genres de souverains, dit-on, qui s’exposent aux révolutions et aux coups d’Etat : les trop gentils et les trop cruels ». Assurément, Nicolas II fut bien trop gentil. La révolution de février 1917 sonne le glas du tsarisme. Kleinenberg décide de rester auprès de cette famille impériale à laquelle, après toutes ces années à la servir, il est très attaché. Ainsi, grâce au talent de l’auteur, nous marchons avec les derniers Romanov sur la route sinueuse de la séquestration, de l’exil et de la prison…

Alexandre Page nous livre un premier roman très travaillé et magnifiquement maîtrisé de bout en bout. Chaque page fourmille d’anecdotes captivantes et savoureuses. Celles-ci nous offrent la possibilité de vivre intimement avec cette famille impériale qui ne méritait nullement le sort horrible qui fut le sien. Il y a un réel plaisir, lignes après lignes, à découvrir le quotidien des Romanov et cette Russie à la veille de grands bouleversements. Nous apercevons, entre autres, Pierre Gillard et le très intriguant Raspoustine dans cet ouvrage particulièrement émouvant, et en définitive singulièrement attachant. Sur l’échafaud, Louis XVI avait déclaré : « Je meurs innocent de tous les crimes dont on m’accuse. Je pardonne à ceux qui sont coupables de ma mort et je prie Dieu pour que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France  ». A la lecture de ce récit, nous savons que Nicolas II aurait pu tenir exactement le même discours…

 

Franck ABED


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1 réactions à cet article    


  • Opposition contrôlée Opposition contrôlée 26 mai 2020 13:01

    C’est curieux de vous voir publier ça, quand vous produisez ça.

    Les livres dont « chaque page fourmille d’anecdotes captivantes et savoureuses » sont funestes à la compréhension des événements historiques.

    Ces romans historiques « pour dames », touchant des sujets connexes aux révolutions, type Marie-Antoinette, sont de belles histoires esthétisantes qui font pleurer dans les chaumières la ménagère en mal d’un objet d’empathie, mais ne constituent, au fond, qu’un prolongement sentimental de la matraque du CRS.

    Ce mélange des genres est malsain.


    « Nicolas II avait reçu en héritage de ses aïeux non seulement un immense empire, mais aussi la révolution. Ils ne lui avaient légué aucune qualité qui le rendît apte à gouverner soit l’Empire, soit même une province ou un district.  » Histoire de la révolution russe, Léon Trotsky (1930)

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