Petite chronique des flagrants délits
Comme chaque jour, arrivent dans les geôles surchauffées de ce tribunal de banlieue (rassurez-vous : l’hiver, elles sont glaciales), où ne fonctionne qu’une ampoule électrique sur cinq, quelques cohortes de policiers qui vont partager pendant une bonne partie de la journée ces lieux insalubres avec les malheureux qu’ils viennent d’extraire des geôles des commissariats pour qu’ils soient jugés immédiatement, « en temps réel » comme l’on dit dans le jargon administrativo-judiciaire.
Qu’est-ce qui justifie une telle urgence ? Pourquoi n’a-t-il pas été possible à l’issue de l’enquête de remettre une convocation aux intéressés, pourquoi était-il nécessaire de les empêcher de rentrer chez eux, de prendre une douche, de se reposer un peu, de réunir les trois documents qu’ils pourraient remettre au tribunal, de prendre conseil, de contacter un avocat ? Quels faits ont-ils donc commis ?
Le premier a été trouvé en possession d’une quantité de cocaïne représentant environ dix ans de sa consommation personnelle : après trois jours de garde à vue et deux heures d’audience, il reçoit un billet de logement pour six ans et demi.
Le second a un peu trop arrosé la victoire de l’équipe de France en quart de finale d’une compétition sportive. Il a pensé qu’il pouvait rentrer chez lui, mais a endommagé la portière d’une voiture en stationnement : trois mois fermes, un an sans permis. Une consolation : il pourra voir la première demi-finale chez lui, et recevra dans quelques semaines une convocation chez le juge pour déterminer dans quelles conditions il sera incarcéré.
Le troisième comparaît pour la septième fois en deux ans pour avoir sorti devant une petite fille ce que l’on doit normalement conserver à l’abri. A-t-il besoin d’un juge ou d’un médecin ? Quinze jours.
Le dernier présentait au moment de son interpellation un taux d’alcool de 1,38 mg/l (on n’a plus le droit de conduire au-delà de 0,25) ; il avait menacé sa compagne et son beau-père avec un couteau de chasse et un pistolet à bouchon. Les victimes, créditées de un jour et cinq jours d’arrêt de travail, sont venues à la barre dire qu’elles ne voulaient qu’une seule chose, qu’il se désintoxique de l’alcool ; lui ne disait pas autre chose. Le tribunal les a entendus : quatre mois de prison avec sursis s’il se soigne.
Ajoutons un malheureux étranger ne comprenant pas pourquoi il était en prison depuis quinze jours uniquement parce qu’il n’avait pas de papiers, et un juge ne comprenant pas qu’on lui parle de prison alors qu’il s’agissait d’un centre de rétention administrative (belle distinction, en effet !) et nous arrivons à dix-neuf heures.
Soyez rassurés : tout le monde a pu voir le match.
À suivre.
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