Port du voile : vigilance et paix civile
Rappelons d'abord que la "société de vigilance" évoquée par le président de la République concerne uniquement la détection des cas de radicalisation et de projet terroriste. Elle n'a pas pour finalité de définir la "société souhaitable". Sur ce second point la liberté et le débat doivent prévaloir (des lieux d'échanges sur un long terme, incluant l'islam), tandis que sur le premier point, il n'y a pas à discuter mais à agir avec la plus grande fermeté.
S'en tenir à la conception stricte de "société de vigilance"
La société de vigilance ne consiste pas à interdire le port du voile en allant à l'encontre la loi de notre République qui l'autorise. C'est un contresens de croire que ce concept appelle à la désobéissance civique, à la sortie du cadre du Droit pour imposer au Pouvoir l'adoption de règles liberticides, voire un Droit d'exception.
S'il est, à mon avis, correct de dire, comme l'a dit Monsieur Blanquer, que la société française, telle qu'elle est aujourd'hui, n'est pas compatible avec une généralisation et une prolifération du voile à proximité des institutions de notre république laïque, ces dérives ne sont pas admissibles car la vigilance doit porter sur le danger réel et imminent et sur les terroristes en puissance et non pas sur une partie de nos concitoyens. Ce n'est pas une traque au foulard qui est demandée mais une détection des terroristes et des radicalisations en cours.
Si le ministre donnait son avis personnel, il a tort, mais s'il parle au nom de la société en général et de façon absolue, il a en bonne partie raison.
Comment concilier laïcité et paix civile pour les sorties scolaires ?
Pour toutes ces raisons, je préfère ne pas parler de "vigilance" pour le port du voile lors des sorties scolaires mais de réglementation et de contrôle.
1°) Prendre comme point de départ le texte existant
L'article L141-5-1 du Code de l'éducation
"Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève."
Ce texte est d'une logique juridique et philosophique incontestable. En effet, la loi a pour but de garantir les libertés. Son rôle n'est pas d'interdire et même "il est interdit d'interdire" est la règle générale depuis 1789. Cependant, le port du voile dans les écoles par les élèves ou les enseignants est prohibé. Ceci est conforme au principe de laïcité. L'école républicaine doit enseigner en totale neutralité.
Que dit la seconde phrase de l'article ? Qu'il faut établir un dialogue avec l'intéressé. Et bien, il paraît cohérent et juste de faire de même pour les sorties scolaires et d'établir un dialogue plutôt que de se jeter à bras raccourcis sur les mères accompagnatrices.
2°) Quel type de norme adopter ?
La loi n'ayant pas pour objet d'interdire, ce n'est pas la loi qui doit intervenir pour régir les sorties scolaires. La loi régit une sphère où le principe est la liberté et l'interdiction l'exception. De plus, la solution de l'article précité ne peut pas être transpoée aux sorties scolaires, qui est un cadre médian entre le cadre scolaire et la sphère privée et individuelle. C'est pour cela que ni le législateur ni le Conseil d'Etat n'a pu trouver de solution juridique légale à ce cas. Ce n'est ni une enceinte scolaire ni tout-à-fait une sphère privée. La sortie scolaire est un entre-deux, une chose médiane que la loi ne peut pas régir d'une façon générale, lointaine, absolue, défintive.
C'est une circulaire, et non pas une loi, qui peut permettre aider l'institution scolaire et les personnels scolaires actuellement quelquefois désemparés, à mettre en place des attitudes adaptées pour régler les cas concrets sur le terrain.
Dans le champ de la liberté individuelle, ce qui est "souhaitable" est ce qui est souhaité par l'individu. La loi ne peut venir lui imposer ses choix. Cependant, il convient d'exercer un contrôle général sur les sorties scolaires dans le cadre républicain. Ce contrôle doit se faire dans le dialogue. Puisqu'il y a liberté individuelle, rien n'empêche de créer un formulaire d'engagement écrit : une personne libre a la capacité juridique de s'engager par écrit. Le document, signé par chaque femme voilée, peut dire "je déclare sur l'honneur porter le voile de façon volontaire et non prosélyte". Pour permettre cette démarche, il va d'abord falloir apaiser les esprits et restaurer la confiance.
Il peut aussi être indiqué que le simple voile est préférable au voile moulant qui cache la totalité du cou et de la nuque. Une incitation peut être faite auprès des femmes sur ce point.
Si la loi ne peut pas internir ici de façon préventive ou a priori, elle peut agir a posteriori par la voie des tribunaux en cas de conflits ou par décision administrative (en cas de trouble à l'ordre public). Il n'y a donc pas absence de loi dans ce cadre.
3°) Vigilance en périodes d'élections
L'Etat, qui a failli lourdement (attentat de la préfecture de police de Paris) demande aujourd'hui aux citoyens de l'aider. Mais l'Etat est encore pris en défaut. En effet, il n'a pas établi de points de vigilances sur les périodes électorales, qui sont propices à la polémique. Les uns brandissent le voile comme moyen de gagner les voix de musulmans, les autres interpellent à tort en séance de conseil régional à propos d'une mère porteuse du voile.
C'est à l'Etat de se montrer vigilant et de prévenir ce type de débordement, de faire en sort qu'ils ne se produisent pas. Or, pour le moment, il n'agit qu'après coup : après la diffusion d'un questionnaire polémique ou après le rejet de femmes voilées d'une caserne de pompiers.
Alors, vigilance citoyenne, d'accord, mais vigilance de l'Etat d'abord et étendue aux cas d'élections et des sorties scolaires. A l'Etat de construire les outils nécessaire au dialogue et à la paix civile pour ces cas. Quant aux citoyens, qu'ils demeurent vigilants sur les cas de radicalisation et de violence et qu'ils demeurent respectueux de la loi et de ses concitoyens ! De son côté, que l'Etat n'en fasse pas des justiciers !
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