Pourquoi la Révolution a écarté les femmes (1)
Cette question est évidemment dérangeante. Les femmes ont-elles été délibérément écartées de la politique et confinées à des rôles subalternes ? Un site intitulé « Les femmes dans l’Histoire » présente les choses ainsi : « ...les femmes vont se retrouver exclues de ce qui aurait pourtant pu les extirper de leur monde domestique, auquel elles sont confinées depuis des siècles. »
L’Histoire biaisée
Avant de documenter le sujet, observons d’emblée un biais de la lecture de l’Histoire, une tournure réductrice et dépréciative de la place des femmes dans le monde : « ...les extirper de leur monde domestique auquel elles sont confinées... ». Cette présentation des faits est démagogique et idéologique, tordue, et de plus méprisante pour la place traditionnelle des femmes.
Les femmes ont été reines de la maison et les hommes rois des champs, selon une formule ancienne. Je rappelle ici un extrait de l’étude réalisée par Vincent Rautureau sur la vie dans une petite ville de France au XIXe siècle :
« Il existe une répartition des espaces et des tâches selon les sexes : la maison est le domaine des femmes, le dehors celui des hommes. Les femmes détiennent dans leurs poches les clefs des coffres et des marchepieds. Elles préparent les repas et parfois les portent aux champs pour les travailleurs. Sans elles, les hommes seraient littéralement perdus au foyer.
Le mari étant souvent à l’extérieur, l’épouse accueille les visiteurs et sauvegarde la maison. A sa porte, elle coud, elle répond aux questions des étrangers ou des voisins et parfois leur donne à boire. C’est très souvent elle qui prend seule la décision d’offrir le gîte et le couvert aux vagabonds. Plusieurs fois, nous assistons à la même scène. Le soir, le mari rentre chez lui et découvre un vagabond à sa table, une famille errante dans sa grange ou un blessé dans un lit, que son épouse a décidé d’héberger par charité.
Le domaine de l’épouse s’étend aux alentours de sa maison. C’est pourquoi elle a une part très active dans les querelles de voisinage. Le lavoir est un espace spécifiquement féminin, où les femmes bavardent, médisent et parfois se battent. Au bourg de Juigné, l’épouse d’un laboureur reproche à ses voisins leur mauvaise utilisation de son four à pain, en présence du mari passif. Les femmes sont aussi les protagonistes des querelles autour des puits et fontaines. »
Le site « Les femmes dans l’Histoire » dit encore :
« On ne leur octroie aucune possibilité d’exercer des fonctions officielles, elles n’obtiennent pas le droit de vote ni celui d’avoir un poids, par voix délibérative, dans les décisions des assemblées. »
D’une part si l’on se place dans le contexte de l’époque, la répartition a donné à chaque sexe un domaine de maîtrise. Combien de femmes laissaient les hommes s’occuper de leurs tâches ? Très peu. C’était leur fierté et leur pouvoir de tenir la maison, et leur aura sociale. Chacun sa part : l’homme devait être courageux à la tâche et la femme devait savoir tenir la maison. Par ailleurs les hommes n’avaient pas plus le droit de vote que les femmes, du moins collectivement. Le vote censitaire n’était accordé qu’à certains hommes sous certaines conditions. Le vote universel des hommes n’est venu qu’à la révolution de 1848, et n’a vraiment été appliqué qu’au début du XXe siècle. Historiquement c’est peu de temps avant les femmes.
Femmes actives et impliquées
Sur la répartition des espaces et des tâches selon les sexes, j’ai déjà avancé l’idée qu’elles est la conséquence logique, le prolongement, de la fonction biologique de la reproduction : les femmes enfantent, nourrissent et soignent, pendant que les hommes protègent et pourvoient. Cette spécialisation a été l’économie de développement de l’espèce. La maison (domus -> domestique) est le lieu fondamental de la vie, plus que le dehors. Elle protège contre les bêtes et la météo. Elle assure un développement paisible des enfants. On peut y cuisiner - c’est-à-dire soigner la santé de la famille - en toute quiétude. Elle crée l’intimité qui renforce la cellule familiale et la constitution des personnalités. On y réfléchit, on y joue, on s’y aime, à l’abri du monde. On s’y retrouve autour du repas, moment convivial par excellence. On s’y invite mutuellement. On y crée des ateliers d’artisanat, de musique, d’enluminures. On y reçoit des voyageurs, des blessés. C’est la fondation de la famille. Tenir la maison, nourrir la famille, alimenter les relations sociales, éduquer les enfants, n’était certainement pas un rôle subalterne. Et dans cette société à 90% paysanne, les hommes, aux champs, n’avaient guère de pouvoir politique, sauf lors des assemblées communales. Le schéma homme puissant et dominant tout / femme soumise et taiseuse a du plomb dans l’aile.
Le pouvoir sur la maison est un pouvoir considérable. En comparaison, le pouvoir sur les champs, dépendant de nombreuses circonstances non maîtrisées, est plus aléatoire. On peut se demander si les femmes, abandonnant la maison, ont réellement gagné du pouvoir : elles sont salariées donc dépendantes, stressées, ne font plus rien de spécifique ni d’admirable qu’on pût leur attribuer en propre, comme un domaine d’excellence. La reconnaissance familiale et sociale ne consiste plus qu’en sentiments affectueux obligés, comme le « Maman je t’aime » de la Fête des mères.
Les femmes de l’aristocratie et de la bourgeoisie ont été en première ligne dans l’avancement d’idées nouvelles pour la société. Toujours selon le même site :
« Il serait néanmoins médisant de dire que ces femmes n’apportent rien à la société. Bien au contraire. Elles sont généralement très ouvertes aux pensées nouvelles qu’elles tentent de mettre en pratique et c’est grâce à elles, souvent, que les idées, telles que celles des Lumières, s’implantent dans les mœurs. Par ailleurs, le XVIIIe siècle a vu l’apparition de salons, presque exclusivement tenus par des femmes de la noblesse et de la haute bourgeoisie, à Paris tout comme en province. Ces réunions mondaines et intellectuelles, où sont invités et protégés philosophes, artistes et écrivains ouverts aux idées inédites, sont de véritables vecteurs de diffusion culturelle, à tel point qu’elles prennent le nom général de « République des Lettres. »
C’est aussi au XVIIIe siècle que ces femmes riches et ne travaillant pas commencent à se plaindre de leur sort, préfigurant le bovarysme à venir et cultivant déjà une insatisfaction qui culminera dans le féminisme du XXe siècle :
« Manon Phlipon, future Mme Roland, en 1776 : « En vérité, je suis bien ennuyée d’être une femme […] Mon esprit et mon cœur trouvent de toutes parts les entraves de l’opinion, les fers des préjugés, et toute ma force s’épuise à secouer vainement mes chaînes. »
Et Lucille Duplessis, future Mme Desmoulins, décrit aussi son état d’esprit dans son journal intime : « 24 juin 1788. Que les mois, les jours me paraissent longs, quel triste sort que celui de la femme, combien a-t-on à souffrir ! »
Les préjugés, les hommes les subissent aussi. Quant aux paysannes : « ...le travail des femmes est extrêmement fréquent dans la France d’Ancien Régime. Dans les campagnes, on sait que la vie des paysannes est éreintante. Soumise aux travaux pénibles des champs et d’entretien de la ferme, elles sont usées par le labeur. Leur quotidien est en majorité celui d’êtres soumis à une société patriarcale. » Pas le temps de s’ennuyer ni de se plaindre. Quant à être « soumises à une société patriarcale », ce biais stupide et idéologique, qui montre les femmes comme des potiches idiotes, ne tient pas devant la réalité : les femmes de la Révolution n’étaient pas soumises !
A titre d’exemple, cette déclaration de Renée Bordereau dite Langevin (extrait) :
« Je vis périr quarante-deux de mes parents successivement ; mais le meurtre de mon père, commis sous mes yeux, me transporta de rage et de désespoir. Dès ce moment, je pris la résolution de sacrifier mon corps au Roi, d'offrir mon âme à Dieu, et je jurai de me battre jusqu'à la mort ou la victoire. J'achetai d'abord un fusil à deux coups, avec lequel je tirai au moins vingt-cinq fois dans un blanc, pour m'apprendre à ajuster, et dès que je vis que je ne manquais presque pas un coup, je me procurai des habits d'homme ; je me réunis à cinq cents hommes de ma paroisse, avec M. Coeur-de-Roi, que nous avons nommé commandant. Je pris le nom de mon frère Hyacinthe ; mais comme mes camarades ne s'en rappelaient pas bien, ils me donnèrent le nom de Langevin, que j'ai toujours gardé. »
Image 1 : Madeleine Arnold Tetard, Paysanne au 18e siècle. 2 : Jean-Baptiste Greuze, Jeune Femme Portant un Chapeau Blanc, 1780. 2 : Jean Raoux, Portrait de Madame Boucher, née Marie-Françoise Perdrigeon, 2e quart 18e siècle. 4 : Mémoires de Renée Bordereau, XVIIIe siècle.
A suivre.
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