Pourquoi les partis républicains ont-ils délaissé le thème de l’identité nationale ?
La question de l’identité nationale fait les gros titres de la presse nationale. Chaque candidat à l’élection présidentielle s’est emparé, avec plus ou moins de force, de ce sujet. Nicolas Sarkozy, voulant élargir son électorat, milite pour la création d’un ministère de l’Identité nationale et de lImmigration. Cette annonce a provoqué une indignation dans le reste de l’échiquier politique qui a appelé à coups de formules incantatoires à la restauration et à la refondation de la nation française. Mais les hommes politiques ont largement contribué à effacer des cartes et des esprits l’idée de nation. La question du vouloir vivre ensemble a été pendant si longtemps absente du débat public que les Français ont oublié qu’ils formaient une nation. Voilà qu’aujourd’hui la demande de l’opinion se fait si pressante qu’elle contraint les candidats à parler de ce sujet, ô combien fondamental. Journalistes, hommes politiques et intellectuels rivalisent d’explications - souvent alambiquées - pour expliquer cette sortie du thème de l’identité nationale du débat politique. A croire que l’information est créée de toutes pièces tant les joutes oratoires actuelles semblent être fictives car provoquées par les mêmes hommes qui se sont censurés pendant des décennies. Dés lors, comment et pourquoi les partis dits républicains ont-ils délaissé ce thème de l’identité nationale ? Faut-il l’expliquer par une haine des politiques envers la France ? Par la croyance institutionnalisée que l’idée de nation était dépassée ? Ou encore par un manque de courage politique ?
Tout a commencé dans les années 80 lorsque le Front national est entré dans le jeu politique lors des élections européennes de 1984, puis des législatives de 1986 où le président Mitterrand avait instauré la proportionnelle à la place du scrutin majoritaire. Le thème de l’identité nationale a alors été abandonné aux seuls représentants du parti d’extrême droite. C’est l’origine du problème que nous connaissons aujourd’hui. En avril 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen, devenu entre-temps porte-parole officiel de l’identité nationale, est arrivé au second tour de l’élection présidentielle, il n’est pas venu à l’idée des élites françaises que son parti, loin de détenir la vérité absolue sur le sujet, posait des questions que les Français voulaient voir reprises et commentées par les autres partis politiques. Les journalistes se sont tus et les intellectuels se sont contentés de théoriser sur ce « séisme démocratique » en agitant la résurgence du fascisme en France. Ainsi, ils ont conclu que la France courait un danger totalitaire. Les Français ont été pris une nouvelle fois en otage : les uns seraient fascistes, les autres républicains. Mais le Front national n’est pas un parti fasciste. Malgré les inadmissibles déclarations du candidat d’extrême droite sur les chambres à gaz, la shoah ou, la dernière en date, sur l’occupation nazie en France, le parti qu’il incarne est issue du poujadisme, un mouvement né dans les années 50 qui prônait la défense - non sans démagogie - des petits artisans et commerçants. Le Front national est ainsi l’héritier du nationalisme de droite barrésien et maurassien. Encore faut-il distinguer la personnalité du candidat Le Pen de l’histoire politique du parti d’extrême droite, analyse que peu d’observateurs ont étayée. Car sans ce rappel historique, il est impossible de comprendre comment nous en sommes arrivés à cette surenchère actuelle sur le thème de l’identité nationale.
Cependant, nous partons sur de bien mauvaises bases. L’identité nationale n’est pensée qu’à l’intérieur du spectre de la « lepénisation des esprits ». En effet, s’il y a crise de la nation en France ce serait de la seule responsabilité du Front national. Les électeurs de Le Pen ont été assimilés à des fascistes et n’ont jamais été considérés comme des Français désespérés de voir leur nation mal appréciée et rangée au rang des antiquités de philosophie politique. Mais avaient-ils le choix ? Les électeurs du Front national pouvaient-ils faire le tri sans offre politique autre que celle proposée par Le Pen ? Ainsi, revendiquer la permanence de la nation, sa défense et son actualité, n’a pu être possible pour nombre de Français qu’en se ralliant plus par passion que par raison aux thèses du Front national. Mais l’élite n’a jamais songé à faire son mea culpa. Car la plupart des milieux dits autorisés de ces dernières décennies ont conclu hâtivement à la disparition de la nation à l’échelle planétaire. Pourtant, dans le monde entier les nationalismes n’ont cessé de se renforcer. L’explication n’est donc pas factuelle mais idéologique : le milieu politique s’étant rallié au projet européen d’inspiration - du moins à moyen terme - fédéraliste et n’ayant comme horizon que l’instauration d’un gouvernement mondial, il ne s’est plus préoccupé de ce qu’était la France, de ce qu’être français signifiait et, encore moins, de ce que voulait dire identité nationale au XXIe siècle. On ne peut pas nier que la construction européenne et la mondialisation sont de nouvelles données à intégrer dans notre réflexion sur la nation. Mais de nombreux abus de pouvoir se sont produits. L’Europe n’a pas été expliquée aux Français de façon claire : leur a-t-on demandé s’ils étaient prêts à des transferts de souveraineté au profit de Bruxelles, et, si oui, lesquels ? Non, on a préféré imprimer et envoyer à chaque citoyen par deux fois, en 1992 et 2005, deux textes de traités incompréhensibles pour des non-spécialistes. Le référendum sur le traité de Maastricht n’a recueilli que 51% des suffrages exprimés. Mais l’Europe pouvait continuer comme si de rien n’était. Le coup de grâce a fini par tomber en mai 2005 lors du référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe (TECE). Mais qui comprend cette dénomination ? Est-ce un traité qui lie des Etats souverains entre eux ou une constitution qui limite leur souveraineté ?
Le rejet des immigrés est depuis les années 80 le fond de commerce du Front national. Ces derniers auraient dépossédé la France d’elle-même. Bien entendu, cette thèse est à combattre. Mais aujourd’hui que faut-il en penser ? La France n’a jamais dit aux petits-enfants d’immigrés ce qui faisait ses valeurs, ce qu’elle était prête à accepter et ce qu’elle refuserait catégoriquement puisque le discours sur l’identité était absent des débats politiques. Alors, ils se sont emparés - et qui n’aurait pas agi de la sorte ? - de leur propre histoire à l’intérieur de l’Histoire française. Certains ont même consacré une mémoire « d’indigènes de la République ». Mais la France n’a pas revêtu des accents communautaires en raison d’un sentiment de repli sur soi inhérent aux Français issus de l’immigration mais en raison d’un no man’s land politique sur la question nationale. Les émeutes en banlieue d’octobre-novembre 2005 ont été commentées avec le seul postulat des discriminations raciales. En effet, les méchants Français dits de souche auraient laissé les banlieues se « ghettoïser » pour mieux voir mourir socialement et psychologiquement les Français issus de l’immigration. Cette explication a connu un succès retentissant. La Haute Autorité de lutte contre les discriminations (HALDE), qui n’était que la transposition d’une directive européenne contrairement à ce qu’a voulu nous faire croire le président Chirac, fut instaurée et le monde politique a pu regagner ses appartements dans les beaux quartiers de la capitale. Le problème était solutionné. La Cinquième République sortait triomphante de ces deux semaines de tension sans précédent dans son histoire. Mais la question de l’identité nationale n’était toujours pas abordée de front, les politiques préférant sans doute attendre que les Français dits de souche et ceux issus de l’immigration s’entre-tuent dans un futur proche. Il semble aujourd’hui facile de stigmatiser ces Français, pourtant Français à part entière, qui se regroupent en communautés, menaçant, de fait, le projet d’assimilation républicaine. Mais ce ne sont pas eux, ni le Front national, qui ont conduit à la désintégration de l’âme de la France. Mais plutôt les politiques qui par idéologie européiste et mondialiste n’ont pas donné aux « anciens » et « nouveaux » Français les clés pour vivre dans une France unie. Actuellement, les risques de repli généralisé sont très grands car il y a bien des Français racistes. Les racismes sont désormais aux couleurs de la France : black-blanc-beur.
Certains intellectuels pensent résoudre la question de la nation par la perte de prestige de l’Eglise ou par le déclin des grandes idéologies. Ce sont là des thèses passéistes. Il est normal qu’une société évolue et que ses socles se modifient. La nation est elle-même en mouvement et n’est pas une entité figée. Donner ce genre d’explication est purement académique et ne relève pas d’une analyse « de terrain ». Car la crise des institutions sociales, comme l’école, la famille, le service militaire, n’est pas la conséquence d’une évolution de la société en tant que telle mais d’une incapacité des politiques à garantir ces mêmes vecteurs de stabilité. Et quand bien même ceux-ci seraient considérés comme dépassés, n’y a-t-il pas de nouvelles formes de cohésion nationale à rechercher ? La promotion de la culture française et de sa spécificité, la nécessité d’un brassage social au moyen d’un service civil obligatoire et la promotion sociale par l’école sont autant de solutions qui pourraient éteindre la crise nationale que nous vivons actuellement. Mais cet objectif n’est réalisable que si la classe politique cesse de prendre des raccourcis en retrouvant du courage politique et en se sentant enfin responsable devant 60 millions d’âmes qui dans leur immense majorité veulent vivre ensemble et, même, vibrer au son d’une même mélodie : celle qui fut notre sujet d’analyse et qui répond au titre de nation française.
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