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Prud’hommes, un anniversaire étrangement oublié

La justice au travail a soufflé ses deux cents ans le 19 mars 2006. Qui était de la fête, ou plutôt, à son chevet ? Apparemment, pas les centrales syndicales...

Occupées depuis un mois à faire plier le gouvernement face à la mobilisation massive anti-CPE, de quelle manière les organisations syndicale fêteront-elles les 200 ans de la juridiction prud’homale, échus depuis le 19 mars 2006 ? Logiquement, et si l’on en croit la bataille électorale qui a fait rage entre organisations syndicales lors des dernières élections prud’homales en décembre 2002, ces deux cents bougies mériteraient bien, quatre ans plus tard, d’être soufflées autrement que dans un anonymat suspect. Las ! A scruter les agendas des syndicats, à éplucher les colonnes de leurs organes de presse ou leur portail Internet, le moins qu’on puisse dire est que le sujet n’émeut guère dans les chaumières militantes et championnes des droits des salariés.

Oubli, paresse intellectuelle, incurie syndicale ou pratique politicienne ? La question mérite d’être posée tant, en définitive, le point névralgique de la fronde anti-CPE semble légitimement résider dans la non motivation de sa rupture. Tant, ainsi que le claironne de plus en plus fort la CFDT, les victimes du CPE pourraient tout à fait saisir les tribunaux de cette juridiction sociale que sont les prud’hommes. La CFDT, dont le jusqu’auboutisme dans la fronde anti-CPE est en grande partie motivé par l’échéance de son congrès en juin prochain et le spectre d’une nouvelle hémorragie d’adhérents, ne se trompe pas en effet sur les possibilités de recours en cas de rupture abusive d’un CPE. La centrale de François Chérèque n’est d’ailleurs pas peu fière d’annoncer être partie prenante dans 25 affaires prud’homales concernant le CNE, autre contrat assorti du même défaut de non motivation au salarié mais pas devant les juges ! Vingt-cinq, le chiffre est impressionnant !

Le hic, c’est qu’à l’instar des quelque 215 000 salariés qui saisissent chaque année ces tribunaux, les victimes du CPE devraient patienter au moins un an, et même deux ou trois ans, en cas de recours, avant d’obtenir, le cas échéant, réparation. Que faire en attendant ? Devenir allocataire des Assedic si l’on a suffisamment cotisé et pendant ce temps, rechercher du travail en déclinant le plus tard possible les postes moins bien rémunérés que le précédent ? Le chômage rongeant, accepter le premier CDI miraculeusement proposé, voire un CDD, un contrat en intérim, un CNE, un contrat « senior » pour les plus âgés, un CPE ou autre trouvaille gouvernementale pour les plus jeunes. Bref, travailler ! Accepter tout, ou presque, en se tenant à carreau et en croisant les doigts pour que ce contrat enfin dégotté ne soit pas à nouveau abusivement cassé. Sinon, bingo ! Retour à la case prud’homale et à ses quatorze mois d’attente en moyenne, dans les cas les plus simples.

Résultat des courses et interrogation de bon sens, pourquoi ne pas dénoncer haut et fort la pauvreté des moyens financiers et fonctionnels alloués à la juridiction prud’homale ? Ah, on les entend déjà, les accents touchants qui serviront à sa défense en 2008, date des prochaines élections qui verront qui de la CFDT, qui de la GGT s’octroyer les premières places, payées par le contribuable, afin de voir défiler les salariés floués. Pour autant, ces derniers le seront-ils moins, floués ?

Quid des dégâts moraux de cette attente qui n’en finit pas ? Quid du coût de cette justice engorgée qui décourage nombre de salariés préférant toper là avec leur employeur pour le prix d’une bouchée de pain et mettre leur mouchoir sur les blessures de l’injustice infligée, de l’humiliation et parfois, de l’infamie ? Quid des explications syndicales sur l’augmentation impressionnante des licenciements pour « motif personnel », autrement dit, pour « faute » supposée du salarié ? Quid, plus encore, de leurs propositions de réforme ? Entre 2001 et fin 2003, les licenciements pour motif personnel ont augmenté de 40 %, selon une toute récente étude de la Dares, passée quasi inaperçue. Trois quarts de ces salariés « fautifs » saisissant les prud’hommes travaillent dans le tertiaire. Les troupes de salariés de plus de 50 ans licenciés pour motif personnel sont passées de 50 % en 1996 à 70 % fin 2003.

En réalité, les tribunaux prud’homaux ressemblent de plus en plus à une décharge finale où viennent s’échouer les éclopés du Code du travail. Sous les yeux pas toujours compatissants de juges élus dans les collèges salariés. Code du travail dont le toilettage, espérons-le salutaire, a débuté il y a un an, et sur lequel les organisations syndicales, pourtant consultées, restent fort discrètes. La CFDT a fait de la prévention de toute atteinte physique ou morale des salariés l’un des ses chevaux de bataille. De la réparation, une obligation. Aux marges du combat qu’elle engage opportunément contre le contrat de travail de première embauche, elle serait bien inspirée, elle et toutes les autres chapelles syndicales, de dénoncer parallèlement l’indigence de la juridiction dans laquelle elles sont amenées à trancher tous les jours sur les contentieux juridiques et humains du travail. Une justice efficace et bien dotée ne pourrait-elle pas se révéler l’instrument idéal de la force de prévention tant réclamée ? En effet, qui paie vite et bien tout contentieux juridique injustifié... châtie moins.

Pour l’heure, pas un mot, pas un communiqué de presse émanant de la sphère militante sur l’état de délabrement de la justice au travail. Silence sinon suspect, à tout le moins coupable. Se battre pour faire barrage à une loi qui risque d’envoyer le sang neuf de la République à l’abattoir est nécessaire, mais pas suffisant. L’enjeu prud’homal ne réside pas seulement dans les élections représentatives syndicales. Il réside avant tout dans le respect des salariés justiciables.

Muriel Bastien, journaliste indépendante en recherche d’emploi, adhérente au Syndicat national des médias CFDT. [email protected]


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8 réactions à cet article    


  • éric (---.---.50.202) 22 mars 2006 11:17

    La juridiction prud’hommale est bien souvent le lieu de l’ultime combat quand tout a été perdu auparavant. C’est le lieu où le salarié vient demander réparation des injustices qu’il a subi pendant des mois ou des années. Finalement c’est là que se soldent les comptes entre employeurs et salariés qui n’ont plus rien à perdre. Le chômage de masse que notre société entretient permet de calmer les ardeurs revendicatives et d’assouplir de fait le code du travail par ailleurs trop critiqué. Je ne suis pas étonné que bien peu de communication se fasse autour de cet anniversaire. Nos dirigeants ne souhaitent pas rappeler aux salariés qu’ils ont des droits et que la justice peut encore les aider à les faire respecter.

    Je vous invite à visiter mon blog, en particulier la rubrique DROIT DU TRAVAIL ? UN DROIT SOCIAL ? et le billet :

    http://classemoyenne.hautetfort.com/archive/2006/02/05/mathematiques-sociales-a-l’usage-des-gouvernants-et-surtout.html


    • Auriault (---.---.172.184) 22 mars 2006 18:27

      les commémorations ou leur absences ont évidenmment du sens, et ce n’est pas neutre que ce bi centenaire ait été oublié. Comme on oublie les dégats du travail, les maladies de la productivité, la santé des salariés qui se dégrade, dans une grande indifférence, alors que défendre l’intégrité physique et mentale des travailleurs a été l’ambition historique d’un mouvement ouvrier dont les premières conquêtes furent sanitaires et qui plaça toujours son action sous le signe de l’émancipation.


      • jer (---.---.98.36) 23 mars 2006 07:45

        Il est symptomatique que cet article n’ait attiré que deux commentaires à comparer avec le nombre supérieur à la centaine consacrés au syndicaliste blessé lors de la manifestation de samedi dernier.

        Pour moi,la justice, qu’elle soit prud’homale ou « normale », rend amer ceux qui la réclament car les délais avant un premier arrêt sont beaucoup trop longs et trop coûteux, donc décourageants. D’autant plus que les adversaires ont le plus souvent de l’argent, ce qui leur permet de faire durer, et qu’on a souvent l’impression que les juges sont du même milieu, et donc plutôt favorables à ces derniers.

        Pour en sortir, il faut recruter en masse du personnel, juges et autres, construire des immeubles, acheter le matériel moderne indispensable. Ainsi les délais seraient raccourcis et si les recrutements étaient nombreux il y aurait enfin brassage de classes.


        • Laurent (---.---.180.194) 23 mars 2006 09:08

          J’ai beaucoup aimé cet article , solide et documenté . Les prudhommes sont une des meilleures illustration d’une gouvernance non contrôlée par l’Etat et qui marche très bien . Le silence sur leur anniversaire est bien significatif .


          • thery (---.---.185.62) 23 mars 2006 15:34

            Dans une époque où le costume de la victime est endossée à tout-va, où les mots de « scandale » et de « tragédie » sont sur toutes les lèvres, on en oublie d’écouter les voix plus discrètes, moins séduisantes, de ceux qui vivent au quotidien les drames du monde du travail ; heureusement, il y a encore des lieux où la valeur de la parole ne dépend pas de sa grandiloquence : les prud’hommes font partie de ces lieux ; s’y offre la parole de victimes qui viennent là présenter leur souffrance, les humiliations qu’ils ont subies sans discourir crânement sur notre crise sociétale ; si les prud’hommes ne sont pas une tribune politique, c’est pourtant là que les injustices apparaissent, que tous les mécanismes de dicrimination, d’exclusion sont révélés. C’est donc aussi là qu’on aperçoit que notre société vacille : comment alors expliquer le silence des centrales syndicales lors de cet anniversaire de la juridiction prud’homale ?! N’est-ce pourtant pas ici un de leurs lieux naturels ? Est-ce à dire que ces instances se sont dénaturées à force de regarder ailleurs ? Mais où regardent-elles alors ?


            • ch07 5 mai 2007 17:28

              Il est vrai qu’il y a de plus en plus de saisie du tribunal des prud’hommes. mais c’est le dernier recours de fin de parcours. Quand vous travaillez dans des petites villes où tous les patrons se connaissent et se rencontre au golf, tennis, squatch clubs, vous savez qu’il vous faudra deménager pour retrouver du travail. Il est vrai aussi que les mouvements syndicaux se sont de plus en plus corporatisés au détriment de tous les salariés.


            • Franck (---.---.202.86) 29 mars 2006 20:31

              Bonsoir

              Il y a bien longtemps que je ne compte plus sur les syndicats. Rappeler vous de cette histoire,les salariés d’une organisation syndicale,de mémoire je crois bien que c’était la cgt (par la fenetre) qui étaient très mal payés, ont été contraints de faire grève,pour obtenir une augmentation,un comble A votre avis pourquoi la cgt à protesté sans grande conviction contre le travail le dimanche,un problème de trésorerie ?? Franck


              • PLR 26 octobre 2007 22:18

                On approche à grands pas des prochaines élections prud’homales (décembre 2008). Et pourtant, le silence syndical sur les prud’hommes risque de rester assourdissant. Certes il va y avoir campagne électorale avec distributions de tracts et affichages. Et pourtant, comme pour les échéances passées, on y parlera de tout sauf des prud’hommes et du droit du travail ! Les élections prud’homales vont servir à parler de la RTT, de la sécurité sociale, de la sécurisation des parcours professionnels... mais pas ou assez peu des questions qui mènent parfois les salariés devant cette juridiction. Et après on s’étonnera que les salariés boudent les urnes ?

                Par l’auteur de « Tout pour gagner aux prud’hommes » (2006) MAXIMA-LAURENT DU MESNIL Editeur.

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