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Quels défis pour l’éthique dans notre société technologique ?

"L’homme est devenu trop puissant pour se permettre de jouer avec le mal. L’excès de sa force le condamne à la vertu". Jean Rostand

La progression considérable de la connaissance, notamment dans les sciences du vivant, et la disponibilité de technologies permettant d’agir au niveau moléculaire sur les organismes, d’en modifier les propriétés, d’intervenir sur le cours de l’évolution et même de transgresser les barrières interspécifiques, apportent leur lot de questionnements nouveaux.

Cette avancée des sciences et des technologies brouille en même temps la frontière entre le vivant et l’inanimé. Une vision réductionniste extrême peut même conduire à nier toute spécificité au vivant, considéré alors comme étant simplement un état particulier d’organisation de la matière.

Les progrès en cours, et ceux à attendre des nanotechnologies, permettent d’envisager maintenant d’agir au niveau atomique sur la matière, et d’envisager la production de matériaux aux propriétés radicalement nouvelles.

Le débat éthique n’est donc plus réservé au domaine du vivant. Même si, dans ce domaine, de nombreuses questions spécifiques restent encore ouvertes :

Y a-t-il quelque chose de sacré, de particulier à reconnaître au vivant ? L’éthique doit-elle faire la différence entre la chimie ou la physique et la biologie ?

Le brouillage des repères concerne aussi l’homme. Le décryptage du génome humain, l’amélioration de la compréhension du fonctionnement du cerveau et du rôle des neurotransmetteurs, ouvrent des perspectives thérapeutiques inédites. Ils ouvrent aussi de nouveaux champs de responsabilité et d’éthique. Les risques de dérives néo-eugénistes ou d’érosion de la solidarité sont toujours d’actualité.

Notre capacité d’agir (et donc, éventuellement, de nuire) prend une dimension universelle (les gènes, les protéines, les molécules n’ont pas de frontière) et potentiellement irréversible. Nos interventions sur le vivant, sur l’écosystème et sur la société, nous engagent et engagent les générations à venir. Nous devons nous interroger sur le droit que nous avons de les "embarquer" dans nos projets, ou du moins nous demander jusqu’à quel point nous le pouvons, sans restreindre leurs libertés de choix. Pour autant, il nous appartient de répondre aux défis du développement durable, et l’immobilisme nous est plus que jamais interdit.

Or, les débats éthiques suscités par l’avancée des sciences ont du mal à trouver une dimension universelle, et sont souvent écartelés entre des approches difficilement conciliables :

- Une approche dite "utilitariste", dominante dans la pensée anglo-saxonne, reposant sur une analyse en termes de coûts et de bénéfices : qui en bénéficie, qui en subit les conséquences ?

- L’approche du marché : si quelqu’un est prêt à payer ce que quelqu’un d’autre est prêt à produire, pourquoi intervenir ?

- Une tradition philosophique européenne qui trouve ses racines dans l’antiquité, à laquelle a notamment contribué Emmanuel Kant ou, plus récemment, Hans Jonas

- L’approche "morale" inspirée par les religions, instituant des droits, des devoirs et des interdits, variables selon la religion considérée et l’interprétation qui en est faite.

L’aspect inédit du débat nous oblige à rechercher, au-delà de ces quatre approches traditionnelles, des "fondamentaux" éthiques susceptibles d’être acceptés par l’humanité dans son ensemble, présente et future.

Dans la diversité culturelle du monde moderne, résultat d’une histoire plusieurs fois millénaire, peut-être faut-il aller chercher ces fondamentaux, non dans le raisonnement, mais plutôt du côté de nos émotions et de nos instincts, bien sûr dans ce qu’ils ont de meilleur : émerveillement devant ce qui est beau, respect de l’autre, humilité, solidarité et sens de la responsabilité. Il est vraisemblable que ces principes constituent un patrimoine commun de l’humanité, peut-être acquis il y a très longtemps, bien avant qu’elle n’accède à l’écriture, et peut-être même avant qu’elle n’accède au langage articulé. Ces principes élémentaires, naïfs en apparence, sont pourtant à l’origine d’un état d’esprit qui a permis toutes les constructions philosophiques, morales, et même légales, élaborées depuis l’antiquité. Cet état d’esprit est aussi celui qui conduit aujourd’hui à la recherche d’un développement durable, fondé sur l’équité, la solidarité et la responsabilité.

Nous sommes à un tournant de l’histoire de l’humanité, à un moment où notre puissance atteint un niveau sans précédent, et de ce fait à un moment où nos obligations et nos responsabilités, envers ceux de notre espèce comme face à l’ensemble de l’écosystème, sont plus élevées qu’elles ne l’ont jamais été. Nous aurions probablement tort d’oublier, par orgueil, ce que nous sommes vraiment, et ce que nos émotions les plus simples peuvent encore nous apprendre.

Il n’est pas trop tard pour se mobiliser et déployer d’urgence, dans chacune de nos actions, l’indispensable triple solidarité : dans l’espace, envers nos semblables qui vivent en même temps que nous sur la même planète ; dans le temps, afin de léguer aux générations futures des conditions de vie qui leur permettent un réel épanouissement ; et une solidarité interspécifique, seule à même de garantir un fonctionnement durable des « services écologiques », qui nous sont fournis gracieusement par l’ensemble des êtres vivants sur cette vieille terre.

Pour mémoire :

Les trois maximes d’Emmanuel Kant :

- « Agis toujours de telle sorte que ta conduite puisse être érigée en loi universelle. »

- « Agis toujours comme si tu étais tout à la fois législateur et sujet de la république des volontés. »

- « Agis toujours de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien en ta personne qu’en celle d’autrui, comme une fin et jamais comme un simple moyen. »

Hans Jonas, dans le « Principe de responsabilité », apporte à ces trois maximes le complément suivant :

- « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre et de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie. »

Voir aussi, sur Noolithic, les articles de la rubrique « Ethique », et notamment « L’Ethique dans une organisation », de Marie-Françoise Clamens.

Merci à Colin Tudge, à qui cette réflexion doit beaucoup, notamment à un essai publié dans la collection « Regards éthiques » : « Le clonage ».


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