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Remarques sur le contexte universitaire

En 2005, quand j’ai eu le plaisir de laisser en ligne et à la disposition de tous, dans la regrettée revue Marges linguistiques, un cours de linguistique modulaire, je n’imaginais pas que cette démarche et les premiers éléments de présentation du cours susciteraient de telles réponses, certes anecdotiques, mais révélatrices d’un reproche significatif. J’en « voudrais » à la sociolinguistique (notamment), je ne souscrirais pas au maintien de certaines filières ni à celui de la section CNU des sciences du langage, je me battrais pour ma « chapelle »... Pour un simple cours, où rien n’est inédit, lequel n’a rien du CLG de Saussure, et qui surtout n’a que la prétention de rendre compte de ce que d’autres ont établi avant moi, ces quelques emportements peuvent paraître incongrus.

Dans les premières lignes de ma contribution, laquelle renvoie à des interventions que j’ai faites dans le cadre d’une collaboration interuniversitaire, de 2000 à 2002 et, par la suite, sous la forme d’une direction de recherche et du suivi méthodologique d’une unité mixte, je convoque la possibilité que la linguistique coïncide sans doute moins avec une science, qu’avec un ensemble de domaines de questionnements et d’appareils méthodologiques en lien avec d’autres champs disciplinaires, que ces derniers soient rassemblés dans le cadre des sciences du langage ou dans d’autres types de regroupements, pour beaucoup, légitimés depuis un certain temps déjà et, pour la plupart d’entre eux, plus que fondés.

La linguistique dispose effectivement, à mon sens, d’une particularité plus qu’opportune, laquelle consiste dans un esprit d’ouverture méthodologique. Rien que pour ce qui me concerne en tant que linguiste et dans la mesure de mes capacités, j’ai eu l’occasion de collaborer avec des ethnopsychiatres (Centre Georges Devereux, Paris 8), des romanistes (EA 4080, Paris-Sorbonne), des didacticiens (CIRDL, etc.), mais aussi des sociologues à Paris 7, des créolistes dans les Grandes Antilles, des maîtres formateurs à Nice. En toutes ces circonstances, j’ai pu assister à ce qu’apporte une recherche pluridisciplinaire, et j’ai pu saisir toute l’appropriété d’une linguistique dont la variété même témoigne d’une productivité de tous les instants.

J’estime pouvoir rappeler que les linguistiques de « trait d’union », tout comme celles dites « restreintes », ont toujours pris la mesure de leurs implications dans les autres domaines de recherche des sciences humaines et sociales, ce que confirment de nombreux programmes du CNRS et de l’ANR dans lesquels leur collaboration s’avère non seulement effective, mais tout à fait incontournable.

Cela étant, je ne disconviens pas que nous sommes confrontés aujourd’hui à une problématique tout autre, laquelle renvoie à des questions beaucoup moins linguistiques, telles que l’attribution des crédits, la gestion des effectifs, la répartition horaire ou, encore, des coupes budgétaires appliquées sans discernement. Ce contexte, nous le déplorons tous, et cela me touche d’autant plus, pour ma part, qu’ayant été élu responsable de filière et directeur d’un département de Lettres-Langage par mes pairs, je me bats toutes les semaines pour que les spécificités des sections 7 et 9 soient prises en compte, dans leur diversité, autant qu’à l’appui de leurs quelques éléments communs, qui plus est, dans mon cas, quand il s’agit de poursuivre un dialogue (déjà bien établi) avec la section 70 dans le domaine de la formation des maîtres.

Au demeurant, ce contexte général mérite d’être véritablement pris en compte, et les filières représentées dans les universités de notre pays méritent mieux que des estimations en termes de services et de coordination de filières. Contrairement à ce qui s’organise dans une économie du court terme et de la concrétude à tout va, le fait que nos universités doivent se rassembler à l’appui de cursus généralistes ne coïncide pas forcément avec une réduction des volumes horaires attribués, pour peu qu’on s’attache à conforter les éléments significatifs de collaboration et de partenariat.

J’entends ici et là la déploration d’équipes qui assistent à des diminutions invraisemblables de leurs effectifs et de leurs crédits de recherche, tout en reportant sans aucune difficulté les questions du devenir de leurs jeunes diplômés, des parcours personnalisés de formation, des liens avec le monde économique et social.

De ce fait, tenter de sauver les sciences du langage pour elles-mêmes consiste, à court terme, à les extraire de tout ce qui fonde leur opportunité. Le pédagogue, en revenant sur les verbalisations des élèves, a besoin du linguiste, l’urbaniste confronté aux représentations communes des « quartiers », le sociologue aux relations interindividuelles, le psychanalyste aux éléments de transfert, le journaliste aux conditions de réception, le politologue à la dispersion des partis, l’industriel aux problématiques de vente, le didacticien à l’accompagnement, l’économiste au moral des ménages, le juge d’application des peines aux mondes fictionnels de l’adolescent, l’archiviste aux formes d’intitulation, le rédacteur en chef à la rubrication de son journal, le pharmacien à une démarche d’automédication, ont tous besoin des apports de la linguistique, qu’elle soit restreinte, de trait d’union ou plus généraliste.

Pour pérenniser des unités de recherche et des filières, il ne suffit pas d’en déplorer l’émiettement ou la diminution. Il convient au contraire de délaisser les apartés, les a priori faciles et les propos convenus. D’une manière générale, c’est aussi en partant d’universités fusionnées qu’il redeviendra possible de conforter la représentation de filières non généralistes dans les municipalités moyennes. De même, c’est dans le cadre d’équipes pluridisciplinaires que les spécificités des uns et des autres se réaffirmeront. En collaboration, et non l’inverse.

L’apitoiement, qui est sans doute l’un des phénomènes culturels les plus marquants de notre pays, ne peut pas se substituer à l’ouverture. Ainsi, le contexte étant ce qu’il est, la réponse de nos universités doit cesser d’être déplorative, à défaut d’être complètement ouverte à ces débats.


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1 réactions à cet article    


  • Leekid 31 janvier 2008 10:35

    La filière des sciences du langage est malheureusement encore trop mésestimée, malgré son étonnante transversalité. Il faut, pour que puisse se maintenir cette filière, renforcer son lien avec les sciences connexes, et elles sont nombreuses : le langage s’inscrit dans toutes les activités humaines.

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