Sauver le capitalisme : s’en remettre à ses seins, plutôt qu’à Dieu (XXI)
Nous en sommes à la fin de la vie d'Howard Hughes, celui qui vivait reclus dans des conditions ahurissantes, comme on ne découvrira qu'à son décès. Une fin de vie marquée par des faits très étonnants. Arrivé à Las Vegas, où le désert semblait lui convenir mieux qu'Hollywood, Howard Hughes va s'inquiéter... pour sa santé. Lui qui ne supporte même plus les vêtements (il pilotera à plusieurs reprises son Constellation complètement nu !) vient d'apprendre que Richard Nixon a accepté les explosions nucléaires à deux pas de chez lui. Sa phobie des microbes inclut aussi celle des poussières : c'en est trop, il se voit automatiquement menacé par les résidus atmosphériques des bombes radioactives. Lui qui a participé aux recherches sur la miniaturisation des bombes nucléaires pour ses missiles ne supporte pas d'être ainsi soumis à leurs rejets atmosphériques. Hughes part en guerre contre Richard Nixon, contre l'Armée, qui le nourrit, pourtant, contre l'Etat... Howard se transforme en Don Quichotte anti-nucléaire, jusqu'au jour où il se retrouve seul, son Sancho Panza l'ayant quitté en route. C'est un combat qu'il perdra seul, isolé de tous, sauf de la nuée de mormons dont il s'était entourés comme aide-soignants. Le fou paranoïaque avait remis sa santé entre les mains de religieux apocalyptiques. Il en est mort.
Il est déjà loin, maintenant, le temps ou Howard Hughes faisait la une du Times, triomphant malgré son échec colossal derrière lui. Maintenant, au milieu des années soixante, l'homme qui tombait toutes les starlettes est devenu un zombie, avec lequel le gouvernement doit toujours tergiverser. Mais l'opération de la remontée du sous-marin russe avait redoré son blason, et beaucoup l'admirent à nouveau. La CIA avait alors manifestement besoin de ses compétences, et comme elle représentait un Etat dans l'Etat... Pourtant, le seul hic de cette relation idyllique (de façade, donc, avec le fameux cambriolage) avec le pouvoir sera fort particulier, c'est celui à propos des essais nucléaires, dont ce fabriquant d'armes deviendra un vif opposant pour une raison fort particulière et toute personnelle. En 1966, coup de théâtre en effet : Howard Hughes, dans un ce ces revirements dont il a le secret, vend subitement TWA pour 546 milions de dollars, et part s'installer à Las Vegas : il n'a prévenu personne de ce revirement soudain destiné à montrer à son âme damnée Maheu qu'il ne lui faisait plus confiance. Il est désormais installé au Desert Inn Hotel. A peine arrivé (il n'a prévenu personne de son déménagement) ; il apprend que le 11 juillet 1966, le Nevada va subir l'une des plus grandes explosions atomiques souterraines jamais testées, ce qui à l'art de le rendre fou de rage : l'Amérique en est toujours à vouloir remanier le monde à coup de bombes, comme celles destinées à fabriquer un nouveau canal de Panama : c'est la folle opération Plowshare. C'est dans le même lot que se situera l'opération Gasbuggy, tout aussi irresponsable, forte cette fois de 29 kilotonnes, le 10 décembre 1967, et qui se terminera par un échec patent, du gaz hautement contaminé s'échappant du puits percé. Pour septembre et décembre 1968, l'armée prévoyait d'essayer deux bombes, l'une de 31 kilotonnes et la suivante de 30. Le 26 mai 1970, l'explosion d'une 25 ième bombe de la série culminera à 105 kilotonnes. Ce qui l'inquiête énormément, lui qui a développé une phobie maladive des microbes, parle constamment d'eau "contaminée" et de "poussières radio-actives". Il a beau être fou, sur le sujet il n'a pas totalement tort. Le passionnant livre de Michael Drosnin, le seul à avoir montré avec précision les derniers jours de Hughes..... nous donne le détail de ses préoccupations de l'époque, celles d'un homme complètement perdu face à ses propres peurs :
"Howard Hughes n'était plus la force invisible la plus puissante de son propre empire. La bombe l'avait supplanté. La fission atomique - le comble de la puissance que rien ne peut maîtriser représentait le danger suprême pour quelqu'un comme Hughes, avait un besoin primordial de tout maîtriser. Il ferait arrêter à tout prix ce qu'il appelait « le bombardement ». Cela devint désormais sa principale obsession. Il interviendrait à tous les niveaux du gouvernement et s'il le fallait jusqu'à la Maison Blanche, offrant des pots-de-vin aux présidents et aux candidats à la présidence, prêt à acheter le gouvernement des États-Unis tout entier pour conjurer le désastre. Hughes avait enfin découvert une menace à la hauteur de sa vie. Il avait passé des années à la recherche d'un danger pour justifler sa peur. Il était passé des germes et des Noirs à l'eau polluée et sa paranoïa était si bien réglée qu'elle se brancha sans mal sur le grand fléau de notre époque. Avec dix ans d'avance sur le reste du pays, il se rendit compte de l'incommensurable danger de la puissance nucléaire et, dans sa solitude, en ressentit une terreur mortelle". Des noirs, vous avez bien lu, car Hughes était devenu raciste, et les terribles émeutes de Watts, à Los Angeles, l'avaient persuadé qu'ils viendraient saccager ses chères usines. Effrayé, il avait fait appel au seul qu'on lui avait recommandé comme "intermèdiaire" : Sammy Davis Junior, l'ami des stars d'Hollywood... Et de la mafia, qu'il paiera pendant des années grassement en se sentant ainsi protégé d'une menace inexistante. Contre l'atome, il n'avait en revanche pas de solution...
"Il n'avait aucun moyen de s'en protéger. Et même, les explosions nucléaires étaient les seuls événements du monde extérieur qui l'atteignaient réellement dans sa personne. Son plancher vibrait au neuvième étage, l'immeuble entier en était ébranlé, dans le bureau de ses assistants, le lustre oscillait comme un balancier, les vitres noircies de sa chambre obscure cliquetaient et les ondes de choc qui faisaient trembler son lit lui glaçaient le sang. Tout le reste n'était en fin de compte qu'une émission télévisée, comparé au danger qui s'imposait tangiblement à lui jusque dans sa réclusion. "Quand nous sommes venus nous installer ici, si vous vous en souvenez, j'avais d'abord hésité entre cette région et une autre, écrivit Hughes, rappelant à Maheu qu'il avait failli choisir les Bahamas. Or je me suis finalement décidé pour celle-ci, aussi bizarre que cela puisse paraître, pour échapper aux ouragans. Je vous assure bien que ce n'est pas pour venir subir à la place des tremblements de terre fabriqués par des crétins irresponsables".
"Il y avait plus menaçant encore. L'ennemi silencieux, invisible et intangible - les radiations atomiques. Ce n'était qu'une forme particulière de contamination, certes, mais d'autant plus terrifiante que, comme les bactéries qu'il redoutait tant, elles étaient invisibles. Et il n'existait aucun moyen de garder à distance les rayons mortels, aucun "isolement" possible pour se protéger de la contagion. Les Kleenex et les serviettes en papier pouvaient le préserver des germes. La réclusion solitaire, les gardiens armés et ses loyaux serviteurs mormons pouvaient le défendre contre les êtres humains. Mais rien ne pouvait le mettre à l'abri des radiations. Radiations qui, il en avait la certitude, s'infiltraient dans le sous-sol de Las Vegas, empoisonnant la terre et polluant l'eau dont la pureté l'obsédait tellement. L'opération dans sa totalité me donne envie de vomir, écrivit Hughes. Jamais je n'arriverai à comprendre comment Laxatl a pu permettre à ces salopards de ravager ainsi des kilomètres et des kilomètres de ces magnifiques terres vierges du Nevada désormais empoisonnées et contaminées pour toujours". En fait Hughes, souligne l'auteur, n'était pas contre la bombe atomique en elle-même : ce qu'il souhaitait, c'est qu'on l'expérimente plus loin de chez lui, tout simplement. Mais il avait perçu déjà pas mal de chose, pourtant... Car son armada "d'experts" dépêchés pour espionner toute la régionl'avait averti d'autres dangers possibles. Mêlé aux affaires de la CIA, il se doute bien de ce qui se passe dans le secteur.
Pour Hughes, terrorisé, c'est en effet la pire des menaces : "J'affirme que Las Vegas n'a plus besoin pour assurer sa survie d'avaler avec le sourire des déchets radioactifs plus horribles que les excréments humains." Plus horrible que les excréments humains. Pour un homme fixé au stade anal et affecté d'une constipation chronique, c'était la pire des comparaisons possibles" précise l'auteur ; qui décrit un Hughes qui ne va plus jurer que par l'annonce de l'arrivée de la fin du monde : <"Même avant qu'on eût annoncé l'expérience qui le paniquait, Hughes avait eu des prémonitions d'Apocalypse. Un mois plus tôt, cinq mille moutons avaient péri dans l'Utah à la suite d'une erreur commise dans une expérience de guerre biologique. Le reclus, affolé, s'était immédiatement identifié avec le troupeau sacrifié. Il voyait dans le massacre un présage funeste, le signe clair et net qu'il était en danger lui aussi". Tiens donc, lui qui travaillait la main dans la main avec le FBI et la CIA avait appris ce que les américains ignoreront pendant des années ! Sur la question, il était étrangement lucide en effet : « Je suis sûr qu'il y a bien un expert quelque part pour avoir décrété que l'expérience de l'Utah ne présentait absolument aucun danger, écrivit-il. Mais cela n'avance guère les pauvres moutons étendus morts dans les prés. » Le funeste présage des moutons s'étant réalisé, le prophète de l'Apocalypse, sûr de la justesse de ses visions, imaginait des scènes d'avenir effrayantes « Un jour, écrivit-il, des guides conduiront des touristes à Reno et devant le site expérimental, le guide expliquera "Et sur votre droite vous apercevez l'horreur et l'infamie de la zone irradiée et polluée, épouvantable tombeau de déchets atomiques dont les touristes n'ont pas le droit d'approcher de peur qu'un enfant n'échappe à la surveillance de ses parents et ne pénètre dans le secteur contaminé. "Rome est fière de montrer ses champs de bataille historiques, mais pareille souillure sur la terre qu'a créée Dieu est une si atroce tragédie que nul ne la montre du doigt, nul ne s'en vante, un seul mot convient pour la désigner : Honte." Une Apocalypse dont il était devenu chaud partisan, pour une raison simple : tous les infirmiers qui s'occupaient de lui étaient des Mormons, pour qui il représentait le "client" parfait : givré et fortuné, il y avait une manne à essorer. Certains de ces mormons avaient même été recrutés par la CIA pour participer à des expériences douteuses.
Il écrira au président (Nixon) et aux députés et sénateurs pour leur demander de surseoir aux explosions, via bien entendu Meier, dont la conversion rapide aux thèses écologiques ne semblaient avoir été décidés que pour ça (?), mais il sera forcé de reconnaître que sur ce point il jouait perdu d'avance. Il gagnera néanmoins sur un autre plan, car le pauvre Howard n'en n'avait pas fini de ses déboires avec l'armée. Alors qu'il s'apprêtait à fuir Las Vegas pour rejoindre les Bahamas, dans un de ces revirements express supplémentaires, un flash d'information sur un chaîne de télèvision lui apprend le 7 août 1970 que l'armée américaine n'a rien trouvé de mieux que de lui pourrir ses chères îles. Elle vient effet de constater que les bonbonnes contenant les gaz innervants qui viennent d'être utilisées au Viet-Nam commencent à fuir, et à décidé d'aller les immerger....aux Bahamas, justement ! 12 500 roquettes et 66 tonnes de gaz létal doivent être balancés en pleine mer : un train est déjà en marche pour conduire tout ça en Caroline du Nord et les images ne sont pas rassurantes : tout le monde porte un masque à gaz sur les vues des actualités. Hughes explose alors de rage. Il envoie un de ses sbires à la Maison Blanche, lesté de 100 000 dollars en billets pour le président Nixon "pour ses besoins personnels" spécifie la note qu'il y attache. Comme endroit où déposer le gaz, il propose... Le Pôle Nord. Finalement, la Marine décida de les immerger dans l'Atlantique, mais il semble que les suppliques de Hughes n'aient eu aucune importance sur la décision. Mais lui n'a plus la force de recommencer. C'était une pratique courante dans la Navy. En 1958 le SS William Ralston rempli de 301 000 bombes au gaz moutarde avait été envoyé par le fond juste devant San Fransico même !
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